Imagine

Film : Imagine (2013)

Réalisateur : Andrzej Jakimowski

Acteurs : Edward Hogg (Ian), Alexandra Maria Lara (Eva), Melchior Derouet (Serrano), Francis Frappat (Le médecin)

Durée : 01:42:00


Habituellement, j'envoie toujours quelqu'un d'autre critiquer le film d'un ami. On ne sait jamais sur quoi on va tomber et, mon intégrité journalistique étant à la limite du caractériel, ça peut coûter une amitié. Mais cette fois, dans un instant de faiblesse, j'y suis allé moi-même.

Ouf ! Je n'ai pas été déçu.

De fait, cette petite production démontre magistralement qu'il n'est pas besoin d'être milliardaire pour faire de bons films. Évidemment, à aucun moment on ne voit des hélicoptères exploser sur des ferraris au milieu de milliers de figurants armés sur le pont de San Francisco, mais on oublierait presque, aujourd'hui, qu'il peut y avoir de bon films sans tout ça !

En l'occurrence, donc, nous voilà témoins de l'existence d'un modeste professeur d'orientation spatiale au sein d'un établissement pour non-voyants. Lui-même aveugle, il a mis au point une technique révolutionnaire de déplacement sans canne, l'écholocation, qui ne fait d'ailleurs pas l'unanimité dans le centre. On tient là déjà un petit ressort dramatique. Ce jeune homme, au fond, rêve de liberté. Il veut s'affranchir d'un outil qui le sépare des « voyants », et la passion qu'il communique est telle que le moindre obstacle à son cheminement devient une frustration pour le spectateur.

Or ces obstacles ne manquent pas et peuvent être de nature diverse : médecin réfractaire à la méthode, simples dangers de la ville, perplexité de ses élèves qui lui tendent des pièges pour éprouver sa technique, on est en permanence au coude à coude avec l'acteur pour surmonter les contrariétés de son personnage.

D'autant que le scénario prend un malin plaisir à instiller le doute. L'écholocation est-elle effectivement efficace, auquel cas le professeur est à la fois brillant et altruiste dans son enseignement, ou est-ce au contraire la supercherie d'un orgueil qui n'accepte pas sa condition et se révolte jusqu'à l'escroquerie ? Au départ, le jeune homme semble lavé de tout soupçon. Mais progressivement le film justifie son titre en plaçant le spectateur dans un univers presque kafkaïen. L'imagination et la réalité se mêlent si bien à l'image qu'on se prend à mettre en doute notre propre perception. Faut-il croire ces petits vieux qui jurent qu'il n'est pas de port à proximité ou se fier aux bruits des gréements et des cornes de brumes ? Pourtant n'est-ce pas un quai au bord duquel ces deux aveugles s'arrêtent dangereusement ?

Quoiqu'il en soit, il aura fallu un certain talent de réalisation pour parvenir à donner une consistance à l'univers des non-voyants. Celui-ci est sublimé par un travail de postsynchronisation du son extrêmement léchée, qui amplifie le bruitage (la musique est assez peu présente pour laisser s'exprimer les silences et les bruits) et restitue le quotidien des aveugles dans une réalité brutale et angoissante. Alors qu'on aurait largement pu s'ennuyer, on se prend donc à frémir souvent devant ce qui arrive ou aurait pu arriver.

Dans ce contexte riche, une petite histoire qui, pour le coup, aurait mérité plus d'épaisseur. Puisqu'on nous invite à imaginer, on peut raisonnablement supposer qu'il s'agit bien d'une amourette naissante entre Ian et Éva, même si, en fait, les signes extérieurs de tendresse sont très discrets. D'un point de vue scénaristique, la difficulté était réelle. Face au thème de la cécité, l'idylle devait être suffisamment humble pour ne pas détonner, mais suffisamment dense pour susciter l'émotion. Or, à vouloir cultiver le mystère, la production a légèrement dépassé du trait et laisse le spectateur sur une petite faim. On remarquera cependant que cette histoire est traitée avec une délicatesse très rafraîchissante. Tout au long du film, Ian développe un apprivoisement patient dont la quasi-totalité des films d’aujourd’hui feraient bien de s'inspirer.

Un film très bien fait, donc, sur un thème assez rarement abordé dans l'histoire du cinéma. Il est absolument fondamental d'encourager ce genre de petites productions qui plongent délicatement les mains dans une matière résolument humaine, et la pétrit amoureusement pour en faire sortir le meilleur.