Imposture

Film : Imposture (2005)

Réalisateur : Patrick Bouchitey

Acteurs : Patrick Bouchitey (Serge Pommier), Laetitia Chardonnet (Jeanne Goudimel), Isabelle Renauld (Anna), Patrick Catalifo (Roland), Ariane Ascaride (Brigitte).

Durée : 01:40:00


« Imposture » est le deuxième long métrage de Patrick Bouchitey, après Lune Froide (1991). Pour son dernier film il
a choisi de s’inspirer de l’œuvre de José Angel Manas, intitulée Je suis un écrivain frustré. En s’en libérant, car le psychopathe original a été remanié par Bouchitey pour donner matière à un duel de personnalités qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère des films de Hitchcock. Patrick Bouchitey a défini son personnage par ces mots : « Pour moi, l’une des difficultés était de réussir à rendre le personnage de Pommier aussi effrayant qu’attachant. A travers son action condamnable, on pouvait devoir malgré tout sentir des sentiments que nous connaissons tous. Il était important qu’il paraisse à la fois débordé, décidé, dangereux, malheureux ».  Ce paradoxe psychologique, voulu par Patrick Bouchitey, a fait mouche. Mais ce n’est pas la seule ambiguïté du film, car le duel de personnalités n’apparaît pas seulement à l’intérieur de Serge, mais aussi dans les relations qu’il vient à entretenir avec Jeanne.   Laetitia Chardonnet est une débutante. Patrick Bouchitey l’a choisie car il avait besoin d’
une jeune actrice capable de faire passer un maximum d’émotion dans le seul regard. En effet, son rôle ne comprend que très peu de dialogues. Elle joue à merveille la victime silencieuse au regard noir, lourd d’expression, difficile à soutenir. Et si elle est physiquement captive de Serge, le rapport de force s’équilibre quand le mental intervient. Par son silence elle met l’âme de son ravisseur totalement à nu. Et face à son mutisme, Serge se met en quatre pour elle, lui parle, meuble sa prison, lui fait la cuisine… Patrick Bouchitey dit d’elle que  « le silence est sa force, son arme, sa façon de résister et de le piéger. Elle pousse ainsi son kidnappeur dans ses retranchements. C’est une espèce de jeu du chat et de la souris. La rencontre de deux solitudes, la confrontation entre deux handicapés de l’amour qui vont se révéler l’un à l’autre. Ce n’est pas une histoire réaliste mais un conte : celui d’un arroseur arrosé ».   Il est vrai que le film se différencie des classiques histoires de
séquestration. C’est bien un conte, plus qu’un drame réaliste. Cela se voit notamment dans l’absence (ou presque) d’interventions extérieures. Ce n’est pas un film policier, l’enquête qu’on devine reste à dessein très sommaire, car là n’est pas la préoccupation du réalisateur. Le spectateur pointilleux pourra toujours trouver des incompatibilités de scénario : qui s’étonne des absences de Serge ? Pourquoi la disparition de Jeanne suscite-t-elle si peu de recherches ? Mais ces incompatibilités ne choquent pas, car dans un conte, qui se soucie de réalisme ? Le spectateur s’en rendra compte.  Un autre aspect de la trame s’avère paradoxal au regard des films policiers classiques. La relation qui lie Serge Pommier et Jeanne Goudimel s’intensifie, évolue pour devenir toujours plus puissante. Ils se ressemblent en effet par certains côtés : tous deux ressentent ce besoin d’écrire. Et ils sont dépendants l’un de l’autre. Jeanne, parce qu’elle est prisonnière de Serge, parce que ses distractions, sa santé, son
moral repose sur lui. Et Serge, car elle est sa muse, qui lui permettra de continuer dans sa nouvelle carrière d’écrivain, et de satisfaire les exigences des éditeurs. Il n’y a guère de détresse, de famille éplorée, de lutte désespérée.Et l’amour apparaît même, maladroitement caché, platonique.   Si l’on analyse les propos de Bouchitey dans le scénario, Il s’agit bien d’arroseur arrosé, car sous son masque silencieux, apparemment passif, la frêle jeune fille a tout calculé. Elle utilise les faiblesses et la fragilité de son ravisseur, et élabore son plan dans l’ombre pour finalement ressortir gagnante.   Au fond, les deux antagonistes se ressemblent, comme on le voit bien dans le fondu enchaîné de la fin, où leurs deux visages se mêlent pour n’en faire qu’un.   Techniquement, le film est assez simple. A l’image du décor : l’essentiel du drame a lieu entre les quatre murs de la prison. Les plans sont simples mais travaillés, et font penser aux plans picturaux à la Hitchcock,
laissant la complexité aux relations maître-esclave, ainsi qu’aux rebondissements du scénario.  La musique est de circonstance.  Outre le Requiem de Mozart, elle est signée Steve Reich. Le plus surprenant, c’est qu’elle n’a pas été composée pour le film, mais découverte par Bouchitey qui a dit l’avoir « monté à l’image ». Effectivement, la post-synchronisation est très efficace.   Le spectateur épris de drame policier et d’enquête à suspense devra se contenter du conte, de la psychologie des personnages et de la richesse du scénario.

Patrick Bouchitey a privilégié des images sobres, et évité la facilité des images crues. Ceci découle du choix de plans simples. Son personnage est violent parfois, certes, mais Serge Pommier n’est pas un kidnappeur de jeunes filles. Son action est déterminée par son besoin d’écrire, d’être reconnu comme écrivain. Son milieu lui permet de côtoyer les écrivains, de les critiquer sévèrement. Mais lui rêve d’écrire. Ce facteur s’
ajoute à la qualité du texte de Jeanne. Qualité objective certes, mais aussi subjective, car il correspond en tous points à ce que Serge aspire à créer. Et cela le pousse à commettre son acte. Dans ses actions, il est effectivement terrible, il glace par son masque froid et apparemment sûr de lui. Mais s’il reste calme quand il apparaît en public, il cède parfois à de brefs instants de panique. D’un autre côté, il peut être très violent et faire frémir le spectateur : on le voit bien lorsqu’il met à sac l’appartement de Jeanne et finit par tout brûler. Mais avant de partir, détail poignant, il prend le temps d’emporter les oiseaux en cage.  Durant la période de séquestration de Jeanne, ses côtés humains apparaissent ainsi dans toute leur nudité. Et ce ne sont pas forcément ceux auxquels on pourrait s’attendre. Nulle attaque sexuelle ou violence de sa part. Au contraire, il met tout en œuvre pour satisfaire sa proie et se débat pour se racheter, sachant que de toute façon il n’avait pas le choix. La
scène où l’on voit Serge laver le corps de Jeanne pendant son sommeil, avec un soin quasi paternel, est particulièrement touchante. Du fait de son côté paradoxal, cette violence est toujours canalisée, et transparaît quand il est seul. En compagnie de Jeanne, le Serge violent fait place au Serge perdu, qui provoque de la compassion. Si les images de séquestration peuvent choquer les plus jeunes, elles se cantonnent à l’utile, et le ravisseur ne brutalise jamais sa victime.  Néanmoins, les images nous montrent à plusieurs reprises Jeanne dans sa nudité. Mais cela reste toujours sobre. Ces scènes ne sont pas tournées de manière à mettre l’accent sur le côté sensuel. Quand Serge Pommier lave sa jeune prisonnière par exemple, l’image que l’on retient est celle d’un homme brusquement attendri, touché par la situation où il a poussé sa victime. Il n’éprouve pas de désir sexuel (ou en tout cas ne le montre pas), et si amour il y a, cet amour est platonique. Attention néanmoins : un nu reste un nu, même s’il
est filmé de manière froide.  Cependant, le motif de cette sobriété est que l’essentiel du film repose sur l’ambiguïté des situations. Une image crue aurait dénaturé cette ambition, mais cette ambiguïté est parfois pénible et Bouchitey en joue pour nous donner de fausses pistes. Comme au début du film par exemple, où il se rend dans un sex-shop. Scène gratuite, caractéristique de ce climat à la française dont on se passerait si bien. Cette ambiguïté mettra notamment le jeune spectateur mal à l’aise.  Signalons une scène où l’on voit Serge et sa femme dans leur intimité. Une scène ou les images restent visibles, l’essentiel étant suggéré. Mais il n’empêche que le spectateur est relégué au rang de voyeurisme.   D’autre part, le personnage de Serge semble si déchiré par son besoin d’écrire que son crime en est quelque peu atténué. S’il le prépare, le film porte à croire qu’il est difficile de dire qu’il est prémédité. C’est-à-dire que du début à la fin, Serge Pommier est plus la victime de
ses actes que l’instigateur volontaire d’un ignoble enlèvement de jeune fille. Aussi dit-il à Jeanne : « Je me méprise ». Au contraire, il ne faut pas oublier que malgré tout, Serge a librement choisi cette voie. Le besoin d’écrire n’atténue pas à lui seul ce crime. Serge est prêt à tout pour la reconnaissance de son talent littéraire, mais ce côté passionnel ne justifie en rien son action. Dans son désir de nous faire sinon aimer son héros, du moins nous faire éprouver de la compassion pour lui, Bouchitey a en quelque sorte mis de côté la responsabilité de Serge. Cependant, Bouchitey nous montre que l’on ne peut pas vivre dans le mensonge et être heureux en même temps. Nous le voyons avec Serge, mais aussi avec Roland (Patrick Catalifo), écrivain à succès. Comme voudrait l’être Serge. Roland se confie à Serge et lui avoue qu’il n’écrit plus, et qu’il est obligé de vivre dans le mensonge. Ce que connaîtra Pommier quelques temps plus tard.   En tout cas, le spectateur ne restera pas indifférent, et
sera amené à se poser des questions. Des questions sur la responsabilité de Serge. Sur son attitude. Sur le comportement de Jeanne Goudimel.  De plus, il pourra découvrir le monde de l’édition. Loin d’être un paradis peuplé d’amoureux de littérature, c’est parfois un monde d’hommes d’affaires qui cherchent à exploiter les talents des écrivains. 

Jérémy Le Gal