Indigènes

Film : Indigènes (2005)

Réalisateur : Rachid Bouchareb

Acteurs : Jamel Debbouze (Saïd), Samy Naceri (Yassir), Roschdy Zem (Messaoud), Bernard Blancan (Martinez)…

Durée : 02:08:00


Indigènes, projet jugé audacieux, a finalement reçu l’aide de nombreux financements pour atteindre un budget modeste de 14,4 millions d’euros.

L’histoire qui a uni les Français et les Marocains à la dernière guerre n’avait jamais vraiment eu de tribune au grand écran et le réalisateur de Little Senegal, Rachid Bouchareb a ardemment souhaité en faire un film : « La nécessité de raconter cette histoire était une telle évidence qu'il n'y avait pas dautre alternative ! Parfois, l'énergie d'un projet vous dépasse et vous entraîne… » (Notes de production).

Avec sa familiarité légendaire, Jamel Debbouze définit le film comme un « post-It » voulant signifier le désir de se rappeler d’une époque et d’hommes qui se sont sacrifiés pour leur « mère patrie ». Il ne s’agit pas des Alliés américains, anglais ou canadiens, ni des soldats français, mais des tirailleurs africains qui, pour un grand nombre d’entre eux, n’étaient jamais sortis de leur village, n’avaient jamais connu d’autres sols. Rachid Bouchareb a d’ailleurs joué sur cet aspect pour faire ressortir différents sentiments comme la naïveté, la cohésion, la fraternité, la religion accompagné tantôt d’humour, tantôt d’émotion.

Et c’est justement ce qui fait toute la spécificité du film. Il ne s’agit pas d’une œuvre soucieuse de sa forme artistique mais plutôt d’une œuvre qui se veut historique et émouvante. Indigènes est un panégyrique
qui rend hommage à un peuple qui a souffert de la guerre comme beaucoup d’autres peuples. C’est pourquoi dès le début du film les fondus enchaînés s’accumulent  comme autant de clignements d'yeux recueillis et pour marquer la dimension historique, les étapes clefs du film s’annoncent sur des plans en noir et blanc progressivement balayés par la couleur.

Cependant, malgré les tentatives poétiques du cinéaste Indigènes reste une réalisation formellement limitée à quelques clichés esthétiques qui ont déjà fait leur preuve dans des œuvres comme Il faut sauver le soldat Ryan (Steven Spielberg, 1998) avec le savoir-faire en moins (musique, ralentis, violence des coups de feu, réalisme de la guerre) et relève d’un montage relativement académique (découpage des plans du général au particulier, etc). En outre, certaines scènes manquent cruellement de crédibilité (à cause du budget ?) portant ainsi préjudice à leur intensité dramatique. Par exemple, l’attaque du bataillon
allemand de la fin surprend par son manque de finesse et d’organisation (heureusement qu’ils avaient un bazooka !). Pourtant, il n’en subsiste pas moins une certaine efficacité et l’émotion parvient quand même à émerger.

Les cinq acteurs principaux qui ont reçu un prix d’interprétation masculine au festival de Cannes, sont très convainquants chacun dans leur style : l’acidité de Bernard Blacan, la détermination de Sami Bouajila (remarquable travail de maquillage et d’acteur pour Abdelkader vieux), la candeur de Jamel Debbouze…

Indigènes, outre sa nature historique, aborde les thèmes que l’on peut fréquemment retrouver dans le genre. Honorer la mémoire de ces soldats venus d’Afrique ouvrait la porte aux rappels des discriminations au sein de l’armée à l’époque et, semble t-il, aujourd’hui encore en raison des pensions qui devraient être versées aux anciens combattants. Le fait est que les traitements inégalitaires rendent les soldats du Maghreb
et d’Afrique Noire d’autant plus héroïques de s’être sacrifiés pour un pays qui peinait à reconnaître leur valeur. C’est donc un film également politique ou du moins politisé à en croire les larmes du premier des Français, Jacques Chirac. D’ailleurs le ministre délégué aux Anciens Combattants a annoncé officiellement le 27 septembre 2006 la décision d’abolir les discriminations entre les tirailleurs et les soldats français. Cette annonce tombe justement le jour de la sortie du film ce qui lui donne d’autant plus de poids.

Un autre élément est largement mis en avant tout au long du film, élément à la fois logique et étrangement appuyé : l’Islam. Même si c’est en toile de fond, l’Islam est clairement mis en valeur notamment par la répétition de quelques sourates du Coran comme « Je témoigne qu’il n’y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète… » . Il s’agit donc d’un hommage non seulement à des soldats mais aussi à une culture. La rencontre des deux religions se fait dans
une église de Marseille où Yassir explique à son frère en lui montrant le crucifix que « leur Dieu a beaucoup souffert » et qu’il faut respecter ça. Message de paix ou ménagement des cultures dans des temps où les poudres sont déjà chaudes ?

 

Jean LOSFELD