Intouchables

Film : Intouchables (2011)

Réalisateur : Eric Toledano, Olivier Nakache

Acteurs : François Cluzet (Philippe), Omar Sy (Driss), Anne Le Ny (Yvonne), Audrey Fleurot (Magalie)

Durée : 01:52:00


Avec beaucoup d’humour, de fraîcheur et de délicatesse, « Intouchables » est le récit d’une amitié profonde qui n’hésite pas à bousculer les idées reçues et les conventions.

Dès les premières minutes du film, le ton est donné. On est parti pour un bon moment de détente et de rire, pour une aventure dont les rebondissements surprennent agréablement au mépris des impératifs rigides de notre société. Les banlieusards viennent respirer l’air pur des quartiers fortunés de Paris tandis que la bourgeoisie peut desserrer un peu son nœud de cravate en se disant que finalement, il n’y a pas que l’apparence qui compte et que ça fait du bien de rigoler un coup.

>Intouchables raconte la surprenante rencontre d’un intellectuel parisien fortuné mais paralysé « de la base du coup jusqu’à la pointe des orteils », Philippe (François Cluzet), avec Driss (Omar Sy), un jeune Somalien immigré en France à l’âge de huit ans, petit criminel vivant au crochet de l’État. Une intrigue fort bien mise en valeur par un scénario jouant habilement de la confrontation de deux mondes.
En effet, milieu aux conditions de vie difficiles, où les habitants se heurtent à la délinquance et aux situations familiales douloureuses, la cité HLM s’oppose totalement au monde des hôtels particuliers et des Maserati. Le braqueur maladroit de bijouterie découvre Schubert, Goya et Apollinaire. Deux cultures se percutent. L’intellectuel raffiné rencontre un fan de Boogie Wonderland, le jeune homme éclatant de santé rencontre la faiblesse et la paralysie.

Attardons-nous cependant quelque peu à observer le milieu de vie de Driss : curieusement, aucune scène se déroulant chez lui n’est agrémentée de l’humour qu’il manie si facilement à
Saint-Germain des Prés.
« Dans les premières minutes du film, on veut expliquer qui est Driss, d’où il vient et, par ricochet » expliquent les scénaristes et réalisateurs Eric Toledano et Olivier Nakache dans le dossier de presse. La peinture noire des banlieues reste né
anmoins sobre et tout à fait intéressante, fruit de cette constatation des scénaristes : « 
Très vite, quand on va en banlieue, les images sont marquantes. » Le message du film est clair : malgré les grandes difficultés que peuvent rencontrer les habitants des cités, il est possible de ne pas tomber dans la criminalité ou la médiocrité et si cela est arrivé par malheur, il est tout à fait possible de s’en sortir, un message d’espoir qui ne pêche pas par idéalisme.

Deux univers, aux caractéristiques si différentes ont forgé deux personnalités, deux caractères. Celles-ci ne laissaient pas deviner la naissance d’une amitié qui paraîtrait incroyable si le scénario n’était inspiré de la véritable histoire de Philippe Pozzo di Borgo et Abdel. Une amitié qui dénote par son originalité et offre un curieux mélange : on voit par exemple Philippe s’affubler d’une petite boucle d’oreille et Driss se mettant à peindre avec des airs d’artiste inspiré ! Soit dit en passant, on peut déplorer que son œuvre soit admirée par son entourage. Celui-ci aurait pu l’
inciter plutôt à faire du beau plutôt qu’un pur business en vendant une toile couverte de taches qui n’exprime guère la sensibilité artistique dont notre héros sait pourtant faire preuve (c’est un fameux danseur !).

L’entourage des deux hommes est sceptique : que peut apporter un chômeur, issu d’une banlieue en outre, à un tétraplégique ? Est-il nécessaire d’exhiber ce duo inconvenant et ridicule ? Pourtant, contre toute attente, on assiste à l’éclosion d’une amitié profonde qui constitue le thème central de l’œuvre. Tout est orienté vers l’observation de cette relation entre les deux hommes. L’&
eacute;change entre Philippe et Driss est incessant. L’aristocrate offre à son jeune employé bien plus qu’un bon lit chaud, une salle de bain luxueuse et un travail. Sa culture, son intelligence, sa finesse façonnent peu à peu le garçon un peu perdu qui oublie peu à peu ses réflexes de violence et découvre ce qu’est la responsabilité parce qu’un plus faible a besoin de lui et compte sur lui.
« Si je n’avais pas rencontré Abdel, je serais mort », s’exclame Philippe Pozzo di Borgo (dossier de presse). Dans le film cet homme d’âge mûr et plus
expérimenté offre à Driss sa confiance, le laisse pénétrer dans sa plus grande intimité et transformer sa vie. Il ne s’agit pas d’une relation à sens unique, qui ne mériterait pas le nom d’amitié. La contribution de Driss au bonheur que vivent ces deux hommes est tout aussi importante. Le jeu d’Omar Sy est splendide, exubérant et incroyablement amusant : plein d’énergie, de vitalité, Driss se laisse rarement déstabiliser. Il interdit à son patron de se laisser aller à la monotonie d’un quotidien principalement accaparé par les soins. Son ignorance du monde codé de Philippe lui fait commettre des gaffes, le confronte à des situations inconnues et oblige son entourage à remettre certaines habitudes en question. Ainsi la vie devient plus simple, remettant les priorités pragmatiques et les règles de savoir-vivre ou les
complications inutiles à leur juste place respective. Obligé de se dépasser, en refoulant son dégoût ou ses a priori, le jeune homme s’adapte, parfois difficilement. Finalement son humour plus exubérant mais non moins piquant que celui de son employeur conquiert toute la maison, à commencer par Philippe.

La souffrance de Philippe ne s’arrête pas à simplement à son handicap. La perte d’une épouse malade qui n’avait pu leur offrir le bonheur d’un enfant le ronge. De plus, cet homme sensible, beau, intelligent et riche, semble avoir perdu tout son charme à la suite de cet accident de parapente qui lui brisa des
cervicales. Quant à son ami, sa vie de famille avec ses nombreux cousins dans un minuscule appartement est loin d’être facile. La mère faisant le ménage pour les nourrir, c’est la sœur aînée qui s’occupe des petits frères et sœurs tandis que les pères de ces bambins se sont tous volatilisés. Vivre à dix dans un F4 n’est pas drôle, se faire chasser par sa tante au sortir de prison l’est encore moins.

La blessure des deux hommes est intimement liée à leur histoire de famille et le film en profite ici pour dresser un rapide portrait social de la France dans ses milieux les
plus favorisés ou au contraire les plus délaissés. Il n’est pas brillant mais pour Eric Toledano et Olivier Nakache, dépasser les divisions par strates de notre société semble un remède efficace.
Intouchables qu’ils étaient, murés l’un et l’autre derrière leur souffrance, Philippe et Driss apprennent à passer par-dessus leur souffrance. Ils vivent avec elle sans la laisser accaparer toute leur vie. Tandis que Philippe oublie sa morosité, Driss adoucit ses mœurs. Au centre de leur intérêt, on trouve désormais, dans une complicité touchante
de simplicité la poursuite commune de leur bonheur, leur amitié qui les rend autrement
« intouchables » : leur amitié leur sert en quelque sorte d’armure face aux difficultés.

Le film réapprend à ses héros à goûter les joies simples de la vie&
nbsp;: fumer, marcher dans Paris en pleine nuit, danser et contempler les œuvres des plus grands artistes ont sur l’un et l’autre l’effet d’un remède miracle. On s’enivre de cette allégresse retrouvée jusqu’à frayer avec l’illégalité : on se joue de la police sur le périphérique, on tire allègrement sur son joint, on va dans les maisons de passe de luxe. Bien des principes de Philippe parfois un peu raide dans son étiquette de vie sautent. Pas bien méchant dira-t-on. Est-ce cependant nécessaire au bonheur des deux hommes? Le film ne voit dans cette consommation qu'un divertissement bon enfant : la drogue mène depuis toujours de nombreuses existences dans une autodestruction qui, elle, n'a rien de risible. Si le film s’attarde sur quelques scènes de ce type, il a placé ailleurs la clef du bonheur de ces deux hommes qui finissent par regarder
leur destin en face. Dans sa simplicité parfois naïve, Driss est plein de bon sens et semble tout à fait capable de distinguer ce qui est essentiel à l’homme de ce qui ne l’est pas. Ainsi il force son ami à rencontrer une femme avec qui il échange des lettres et qu’il semble aimer et son influence bénéfique sur Philippe vient de son esprit entreprenant, de la simplicité de ses raisonnements allant à l’essentiel qui bouscule sans arrêt celui qui ne voyait plus que son handicap.

Il n’est pas bon que l’homme soit seul, cette œuvre en est la preuve et cette amitié rayonne également autour de Philippe et Driss ; dans la maison de Philippe tout d&
rsquo;abord puis dans la famille de Driss que Philippe accepte de laisser partir pour qu’il aille aider son frère et sa tante qui l’a élevée.

« Si vous faites ce film, il faut que ce soit drôle. Car cette histoire doit passer par le prisme de l’humour» (Philippe Pozzo di Borgo in DP). Le regard sur la souffrance est sobre mais aussi sans pitié, Driss s’attarde sur les difficultés quand il peut rire de celle-ci ou quand l’indignation le force à changer les choses. L’humour est d’ailleurs sa meilleure arme. Mystérieux phénomène que le rire, preuve incontestable de l’intelligence de l’homme : il permet à celui-ci de constater la réalité tout en le protégeant derrière l’expression d’une certaine joie, lui donnant de la distance. On s’interdit ainsi l’apitoiement afin de ne pas risquer de se laisser submerger par la tristesse. C’est bien cet humour réparateur omniprésent dans le film, qui fait sa réussite !


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Mais la plaisanterie permet également d’exprimer sans aucune compassion, une réflexion approfondie sur le handicap. Si Philippe embauche Driss, c’est parce que celui-ci ose lui verser de l’eau bouillante sur ses jambes paralysées et s’étonner de ce phénomène déroutant qu’est la paralysie. L’employeur ne veut aucune pitié. Celle-ci serait plus destructrice que toute réflexion maladroite. En effet, le quotidien de ces malades est extrêmement rude mais il est montré de manière très claire dans ce film que cette difficulté n’empêche pas de vivre. Bien au contraire, le duo se délecte dans des fous-rires à l’Opéra ; Driss vit son baptême de l&
rsquo;air ; Philippe n’abandonne même pas le parapente ! Certes, les rendez-vous galants sont organisés au prix de beaucoup d’efforts, mais ils sont couronnés de succès ! Le courage, le soutien sans faille de son ami, ont raison du laisser-aller du Philippe que l’on avait découvert rigide, amer et morne dans les premières scènes face à sa situation.

Un bel hommage à l’héroïsme de deux hommes dont l’amitié a surmonté bien des obstacles, les a soudés et rendus « intouchables » !