J. Edgar

Film : J. Edgar (2011)

Réalisateur : Clint Eastwood

Acteurs : Leonardo DiCaprio (J. Edgar Hoover), Naomi Watts (Helen Gandy), Armie Hammer (Clyde Tolson), Josh Lucas (Charles Lindbergh)

Durée : 02:15:00


Un biopic du mystérieux défunt patron du FBI, très inspiré durant la première heure, mais qui finit en drame misérabiliste et en romance homosexuelle poussive!

Les biopics sont décidément à la mode en ce moment au cinéma. Si le cinéma français s’attaque plus spécialement aux chanteurs, acteurs et autres artistes célèbres, son homologue américain préfère les vies d’homme d’Etat. Clint Eastwood, dont la réputation de réalisateur n’est plus à faire, se lance dans le genre qui n’est pas une nouveauté pour lui puisqu’il avait déjà réalisé L’Echange (2008) avec Angelina Jolie et Invictus (2010) avec Morgan Freeman qui mettaient en
scène respectivement Christine Collins et Nelson Mandela. Cette fois, il s’empare de la vie de John Edgar Hoover, directeur du FBI le plus connu et qui est resté le plus longtemps à ce poste. Un personnage particulièrement ambigu, vu aussi bien comme un patriote intransigeant que comme un manipulateur paranoïaque et intolérant et sur lequel plane une aura sulfureuse de mystère. Le personnage a déjà été plusieurs fois au cinéma, par Kevin Dunn dans Chaplin (1992) de Richard Attenborough, Bob Hoskins dans Nixon (1995) d’Oliver Stone et Billy Crudup dans Public Enemies (2009) de Michael Mann, même s’il ne constituait alors qu’un personnage secondaire. Cette fois, il est bien au cœur du film et est interprété par Leonardo DiCaprio, starifié par le Titanic de James Cameron et devenu
depuis l’acteur fétiche de Martin Scorcese (Gangs of New York, The Aviator, The Departed). Ce dernier aura largement donné de sa personne dans son rôle, endurant des heures de maquillage complet avec lentille de contact, postiche, appareil dentaire et prothèse nasale pour incarner John Edgar Hoover vieux, et portant pas moins de 80 costumes différents. Un investissement qui incite au respect d’autant plus que l’acteur se montre très convaincant dans ce rôle peu évident. Face à lui, Naomi Watts (Le Cercle de Gore Verbinsky, King Kong de Peter Jackson) incarne Helen Gandy, fidèle et dévouée secrétaire qui resta à ses côtés jusqu’à ses derniers jours, Armie Hammer (les s&
eacute;rie Veronica Mars, Desperate housewives, le film The Social network) interprète Clyde Tolson, son principal collaborateur et meilleur ami-amant (j’y reviendrai) et Judi Dench (Le Chocolat de Lasse Hallström, L’Importance dêtre constant d’Oliver Parker). Précisons qu’au départ, le rôle de Gandy fut envisagé pour Charlize Theron et celui de Tolson pour Joaquin Phoenix.

La première heure du film est, et de loin, la meilleure partie et la plus convaincante. L’ensemble du film se partage entre Hoover vieux dictant ses mémoires et se souvenant de son passé d’une part, et des flash-back où
Hoover jeune poursuit sa fulgurante ascension et sa croisade inextricable contre les ennemis de l’Amérique. Les flash-back se concentrent sur la jeunesse de Edgar Hoover et ses débuts d’activité dans le FBI et notamment sa croisade contre le communisme et le crime organisé, ce qui nous permet d’observer un tableau des différentes grandes affaires criminelles américaines des années 1920 et 1930 ainsi que le mode de vie de cette époque. Le film traitera surtout longuement de l’affaire Lindberg, l’enlèvement du jeune fils de l’aviateur renommé Charles Lindberg, qui consacrera le triomphe personnel de Hoover (même si l’affaire se conclut dramatiquement) et le début de son pouvoir absolu. Il nous permet aussi de croiser plusieurs personnages historiques qui ont fait l’histoire et ont eu affaire, d’une manière ou d'une autre, à Hoover. C’est ainsi que l&
rsquo;on croise successivement le politicien et Attorney General Alexander Mitchell Palmer qui permit les débuts professionnels de Hoover, Bruno Hauptmann (l’assassin présumé du petit Lindberg, Charles Lindberg, Eleanore Roosevelt, Robert Kennedy, Martin Luther King et Richard Nixon. Soit près d’un semi-siècle d’histoire des Etats-Unis riche en événements et palpitant dans une évocation qui ne l’est pas moins. Cette partie du film, passionnante, mêle habilement la petite histoire à la grande, les affres et sentiments personnels de Hoover aux grands événements auxquels il est amené à participer. Elle se montre également très juste dans son portrait en demi-teinte d’un directeur du FBI acharné à sa mission qu’il considère comme une véritable croisade, charismatique, ambitieux, audacieux et innovant, mais aussi retors, brutal, paranoï
aque, parfois injuste. Une personnalité ambivalente donc, incarnant le meilleur et le pire de cette époque. Eastwood a le bon goût de ne pas juger le personnage et ses actions selon les critères de notre époque droit-de-l’hommiste et restitue très bien le contexte socio-politique dans lequel évolua Hoover ainsi que ses motivations profondes. Le film insiste notamment sur son patriotisme sincère et sa volonté prépondérante d’efficacité. Le vrai problème que rencontre le personnage est lorsqu’il tend à confondre le sens de son engagement avec la promotion de sa propre image, ce qui l’amène à des tendances mégalomanes ainsi qu’à la pratique de la mise en scène, de la manipulation, voire du mensonge. On retrouve ici en filigrane une réflexion sur les notions d’héroïsme et de patriotisme, déjà présente dans
Mémoire de nos pères, précédente réalisation d’Eastwood. Une réflexion riche et passionnante.

Si tout le film avait été dans le prolongement de cette première partie, il eut été parfait. Hélas, durant la dernière demi-heure, il se laisse aller à certaines des tares du cinéma actuel. Alors que le film avait jusque-là habilement évité le misérabilisme en montrant un Hoover ambigu mais néanmoins digne et fort, il s’y vautre dès lors complaisamment avec son personnage devenu larmoyant et affadi, ne se souvenant pratiquement plus que de sa vie privée passée et de moins en moins de son action publique. C’est alors que le film insiste très lourdement sur la relation homosexuelle supposée
qui aurait uni Hoover à Tolson. Cet élément transparaissait déjà dans le film, mais élégamment suggéré sans y insister. Il était difficile de ne pas évoquer cette partie de la vie de Hoover qui est des aspects de sa personnalité les plus connus du grand public, quoique les historiens continuent de se disputer sur le sujet, mais était-il besoin de le montrer de manière aussi crue à l’occasion d’une scène de ménage entre les deux hommes censée être émouvante, mais qui ne m’a pas le moins du monde ému ? D’autant plus que le film, à l’instar d’une grande partie de la production hollywoodienne récente, se vautre ainsi dans le droit fil de la pensée libertaire et politiquement correct. Il est vrai que Eastwood, dans ses prises de position publiques, a toujours oscillé entre conservatisme « 
soft » et progressisme « démago », comme il l’avait déjà montré dans certains de ses films précédents (Minuit dans le jardin du bien et du mal, Million dollars baby notamment).

Peut-être une espèce de concession à l’air du temps pour mieux se faire pardonner le souvenir de L’Inspecteur Harry. La seule scène intéressante de cette partie est celle où Tolson rappelle à Hoover (et révèle au spectateur) que ce dernier a menti sur nombre de ses exploits passés pour assurer sa propre publicité, contredisant ainsi certaines sc&
egrave;nes précédentes de flash-back. Vraiment dommage, car sans cela, le film avait tout pour être un grand biopic dans la lignée du Discours dun roi ou de The Aviator.