Jack et la mécanique du cœur

Film : Jack et la mécanique du cœur (2013)

Réalisateur : Stéphane Berla, Mathias Malzieu

Acteurs : Mathias Malzieu (Jack), Olivia Ruiz (Miss Acacia), Grand Corps Malade (Joe), Jean Rochefort (Georges Méliès)

Durée : 01:34:00


La genèse de Jack et la mécanique du coeur est assez éclairante, tant sur ses qualités que ses défauts. La mécanique du coeur est le sixième album musical du groupe Dionysos créé notamment par Mathias Malzieu qui a écrit un roman du même nom. Son souhait était ensuite d’en faire un film et c’est Luc Besson qui en a récupéré, en 2008, les droits d’adaptation et a conservé l’auteur pour la réalisation. Etant donné l’absence d’expérience de Malzieu  dans ce domaine, le film a été coréalisé avec Stéphane Berla qui s’avère être le réalisateur de clips de Dionysos notamment de la chanson “Tais toi mon coeur” qui met déjà en scène le personnage de Jack.

 

Le film a cette double particularité d’être à la fois l’adaptation d’un roman et la mise en scène d’un album. La difficulté était donc de faire émerger une oeuvre à part entière à partir de ça. Ce qui n’est pas vraiment le cas. Certes l’adaptation a pris des libertés par rapport au roman, certes l’univers graphique est nouveau mais le film ressemble davantage à un clip géant adroitement mis en scène qu’à un véritable film. L’image est mise au service de la chanson et du texte, ce qui ne déplaira pas aux inconditionnels de Dionysos, Olivia Ruiz ou Grand Malade. L’histoire s’en trouve décousue et atrophiée. Les événements s’enchainent comme les pistes d’un album avec un liant scénaristique bricolé et invraisemblable (le départ de Jack, son entrée à l’école, l’arrestation de Madeleine, Jack l’éventreur qui justifie la reprise d’une chanson de Bashung, la rencontre de Mélies…). Tout est construit autour du concept intéressant d’un enfant qui a une horloge à la place du coeur mais la diégèse n’est pas maitrisée. Du moins dans le film, le roman étant peut-être plus fourni. En outre, le vieillissement des personnages et la notion de temps sont particulièrement mal maitrisés.

 

Reste que graphiquement, Jack et la mécanique du coeur est remarquable. La création graphique des personnages a été confiée à Nicoletta Ceccoli qui était déjà l’illustratrice du roman. On retrouve son univers artistique tant dans la mise en scène (avec un symbolisme un brin glauque) que dans la réalisation des visages fins et doux comme la porcelaine. Les décors sont clairement empruntés à l'expressionnisme allemand des années 30 qui a inspiré Tim Burton. On n’est donc pas étonné d’entendre Mathias Malzieu faire référence à Freaks de Tod Browning, mais plus étonné peut-être lorsqu’il renie à demi-mot l’influence de Burton en se revendiquant plutôt de Jim Jarmush (réalisateur notamment de Dead Man en 1995, Broken Flowers en 2005, ou The limits of control en 2009) ou encore de Fellini, influences beaucoup plus diluées à notre sens.

 

Par rapport à Burton, on retrouve en tout cas le même goût prononcé pour ce que nous pourrions appeler la morbidité poétique ou le glauque merveilleux… le romantisme noir ? Le spectateur traverse des décors sombres et chaotiques arpentés par des personnages sombres et chaotiques qui font des choses sombres et chaotiques. La fée clochette répand un peu de poudre d’amour sur tout ça et hop c’est poétique ! Nous reconnaissons volontiers cependant qu’il y a pire et que les cinéastes ne se sont pas vautrés dans le morbide.

 

Les thèmes sont, quant à eux, assez classiques et suffisamment exprimés dans les notes de production pour ne pas prêter à confusion : la passion amoureuse et le rapport à la différence. Bien que ce soit un peu tarte à la crème, Malzieu traite en effet avec sensibilité de la différence et même du handicap qui peut être tourné en force. Au risque de faire grincer Malzieu, on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec le petit enfant huître, personnage écrit par Burton stigmatisant la souffrance de la marginalité.

 

Jack tombe amoureux de Miss Acacia comme on tombe d’un arbre et se lance dans l’inconnu pour tenter de la retrouver. L’auteur montre alors que la passion amoureuse confère suffisamment de force pour tout affronter, même la mort. En donnant à Miss Acacia la clé de son mécanisme, Jack s’abandonne entre ses mains, ce qui en soi est un beau symbolisme. Au travers de l’invention de l’horloge à la place du coeur, Malzieu transmet l’idée qu’il vaut mieux aimer en risquant sa vie que de ne jamais aimer. L’idée de prise de risque et d’aventure est d’ailleurs maladroitement exprimée à travers l’idée d’imprudence dont Méliès (Jean Rochefort) fait ici l’éloge. La prise de risque doit être prudente sans quoi elle est un désordre de l’intelligence et non une preuve de courage pour un beau projet.

 

Dans un contexte réel, ce conte parle de l’engagement de soi. On ne peut être pleinement vivant sans amour, et on ne peut pleinement aimer sans engagement de soi. Néanmoins, ce qui échappera peut-être au jeune public, c’est que, comme bien souvent, l’oeuvre ne traite que d’un aspect de l’amour, l’amour d’inclination ou passion amoureuse, en le réduisant à ça. L’amour de prédilection, c’est à dire l’implication de l’intelligence et de la volonté dans le choix de l’être aimé, est ignoré par le romantisme (noir ou pas…) qui se préoccupe seulement des sentiments. L’équation devenant assez simple : en l’absence de sentiment, il n’y a plus d’amour. C’est le cas de Jack et la mécannique du coeur qui dessine un amour coup de foudre à la limite du fatalisme. Or, sans vouloir casser la magie des belles histoires d’amour,  le seul moyen de rendre une bonne passion pérenne est de la soumettre à la volonté, ce que Ulysse d’Homère n’aura pas manqué d’expérimenter.