Je suis une légende

Film : Je suis une légende (2007)

Réalisateur : Francis Lawrence

Acteurs : Will Smith (Robert Neville), Alice Braga (Anna), Charlie Tahan (Ethan)

Durée : 01:40:00



Déjà adapté deux fois à l’écran (avec The last man on Earth en 1964 et Le survivant en 1971), le roman d'anticipation Je suis une légende class="Apple-style-span">, écrit en 1954 par l'écrivain américain Richard Matheson, est un classique de la science-fiction qui retrouve actuellement les marches du 7° art… Il inspire en effet le nouveau film de Francis Lawrence (réalisateur de Constantine), avec Will Smith dans le rôle de Robert Neville, un personnage tourmenté en qui repose l’avenir de l’humanité… Avant d’être réalisé, le projet de cette nouvelle adaptation fut initié au milieu des années 1990, intéressa différents acteurs et réalisateurs du tout-Hollywood, et risqua de disparaître, notamment suite au succès fracassant des films de morts-vivants nouvelle génération (28 jours plus tard, L’armée des morts, sortis en 2002 et 2003). C’est finalement l’implication personnelle de Will Smith, parti en quête d’un réalisateur et lui-même producteur, qui permit le bouclage définitif du projet.

Décrire la solitude et l’immense responsabilité qui peut peser sur l’unique survivant d’une catastrophe est
le canevas de ce récit, bien plus ambitieux qu’un simple film de zombies… Et Will Smith n’a pas pris son rôle à la légère, puisque pendant plusieurs mois, il a subi un entraînement physique intense mais aussi une sévère préparation mentale : il a ainsi appris à vivre en solitaire, en recueillant notamment les témoignages de détenus contraints à l’isolement. Par exemple, le planning rigoureux auquel s’astreint le professeur Robert Neville à l’écran est une idée tirée de ces témoignages : «
On ne peut pas survivre à l’isolement si on ne planifie pas tout… », dixit l’acteur.

Formé aussi aux procédures scientifiques en matières d’études virales, Will Smith sait se montrer convaincant, campant un savant d’autant plus absorbé dans ses travaux que ces derniers sont de fait sa seule raison de vivre depuis trois ans… Toutefois c’est l’aspect humain du personnage qui est le fil conducteur du film. Homme traqué, seul, n’ayant pour uniques ressources que son intelligence (à la différence justement des infectés qui le pourchassent), et son berger allemand, Robert Neville cherche à conserver un équilibre naturel pour ne pas perdre de son humanité. Il conserve l’habitude de la communication en conversant avec des mannequins de vitrine, parle à son chien, fait du sport et se réserve quelques loisirs… Souvent un humour timide se dégage de ces situations pour le moins inattendues (Neville n’ose pas, par timidité, engager la conversation avec un mannequin « femme »…). Le thème de la solitude est encore renforcé par des images saisissantes de la ville de New
York dévastée et déserte. Les scénaristes ont déplacé le lieu d’action, préférant la Big Apple, symbole de l’humanité cosmopolite, à Los Angeles, la ville initialement choisie par l’auteur du roman adapté.

Le résultat de ces efforts est la réalisation d’un film d’anticipation étonnant, en décalage avec les habituelles productions surfant sur la vague des morts-vivants. La première partie du film est en effet une mise en scène brillante de la condition de Robert Neville, seul survivant humain d’une contamination planétaire. Dans une mégalopole déserte, une première séquence montre le savant chassant du gibier à bord d’une voiture de course qui ne lui appartient manifestement pas (en arrière-plan, se pose la notion de solitude en tant que liberté absolue… aucun compte à rendre de ses actions ?). Puis, tandis que se succèdent les plans
aériens de la ville silencieuse, se met en place l’intrigue : sont évoquées les sources de la catastrophe (un virus mutant destiné à la lutte contre le cancer), les investigations et les recherches de Neville, son programme quotidien et ses efforts pour conserver toute sa raison.
 
Les infectés n’apparaissent pour la première fois que lors d’une séquence remarquable, dans laquelle Neville tente de retrouver sa chienne qui s’est engouffrée dans les caves sombres d’un immeuble, repaire des redoutables mutants. À partir de ce moment, le film trouve alors ses limites, se laissant déborder par l’action pure, les effets spéciaux, les grandes thématiques hollywoodiennes (la famille, la vengeance, les courses contre la montre…).

Le thème de la solitude est abandonné de façon progressive ; pour ne pas tirer le film en longueur
et lui redonner du rythme, des nombreux flash-backs viennent relater les premiers moments de l’infection, la fuite de Neville et de sa famille, l’isolation de Manhattan… En refusant de relever le challenge, à savoir se concentrer sur la délicate condition de survivant qui fait du professeur Neville une légende, pour y préférer les ressorts habituels du survival-horror,
Je suis une légende perd un peu de son intérêt premier pour se couler partiellement dans un genre déjà revisité. En somme le film est un peu déconcertant : Will Smith porte quasiment seul tout le poids du scénario et y réussit dans la mesure où, sans se départir de l’humour auquel est généralement associé son talent d’acteur, il sait exprimer la
tension qui habite son personnage, son combat intérieur, aussi important que sa lutte contre les hordes de zombies lancés sur ses pas. Or, comme pour masquer cette tension qui pourrait être lassante, ont été greffés sans beaucoup de réussite des éléments cinématographiques plus conventionnels (et donc plus vendeurs…), de sorte que le film ne se démarque pas aussi bien des superproductions récentes sur le thème de l’extinction de l’humanité.


 

Peinture de la solitude comme calvaire sans fond pour l’être humain,
le livre original de Richard Matheson est un récit tourmenté, pessimiste et troublant. Scientifique et rationaliste convaincu, le professeur Neville est persuadé que la seule solution pour contrer la pandémie qui frappe l’humanité est de découvrir un vaccin. D’où ses expériences, son planning rigoureux et sa volonté inébranlable de ne pas quitter cette ville grouillante de monstres, puisque c’est de là, comme le savant le répète à plusieurs reprises, qu’est partie l’infection.

Plus troublant cependant est son incrédulité viscérale et son athéisme, qui refuse toute existence d’un Dieu qui pourrait d’une quelconque manière intervenir dans la catastrophe – et dans son issue. Je suis une légende joue sur les
peurs de l’être humain, la solitude, la perte de la famille, les menaces pesant sur la terre et dont les hommes sont eux-mêmes responsables… Toutefois les chemins vers lesquels l’homme se tourne en pareille situation sont évoqués de manière caricaturale : d’un côté un rationalisme forcené qui semble avoir été privilégié ; de l’autre la référence à Dieu, qui, mal expliquée, a des allures de préchi-précha mystique, ce qui est du plus grand dommage. Et ce n’est pas la fin bâclée qui réconciliera le spectateur avec l’idée de providence (il suffit de voir à ce sujet les commentaires de la presse et des spectateurs)…

*Citations tirées des notes de production.

>Stéphane JOURDAIN