Jumper

Film : Jumper (2008)

Réalisateur : Doug Liman

Acteurs : Christensen (David Rice), Samuel L. Jackson (Roland Cox), Jamie Bell (Griffin)

Durée : 01:35:00


 

Le réalisateur du premier volet de la saga Jason Bourne (La mémoire dans la peau, La mort dans la peau, La vengeance dans la peau) et de Mr and Mrs Smith, Doug Liman, se fait plaisir avec ce premier volet d'une trilogie adaptant deux nouvelles de Steven Gould, Jumper et Reflex

Ce petit gadget de science-fiction, à prendre avec la légèreté requise par le genre, attire l'attention sur ses effets visuels supervisés par l'oscarisé Joel Hynek qui avait déjà pu démontrer son efficacité sur Au-delà de nos rêves de Vincent Ward, et XXX de Rob Cohen ou encore Judge Dredd de Danny Cannon et Frida de Julie Taymor. Il a donc mis toute son expérience et son savoir-faire au service du concept de "jumping" pour obtenir un résultat plutôt convaincant pour les amateurs d'effets spéciaux. Allant des techniques qui n'auraient rien à apprendre à Mélies (disparition des personnages après un simple cut) aux hautes technologies numériques, sans compter la logistique pour les voyages entre Tokyo, New York, l'Egypte et Rome, Jumper offre une batterie d'effets travaillés et propres. Ce qui est remarquable notamment, c'est d'avoir su adroitement intégrer les effets spéciaux dans la mise en scène qui se révèle fluide et crédible.

"Comme nous ne voulions pas montrer toujours la même chose, les effets produits quand un personnage se téléporte n’ont jamais exactement la même apparence. Quatre choses affectent cette apparence : 1) le degré de compétence du Jumper ; 2) la raison pour laquelle il se téléporte, par exemple se cacher, détruire quelque chose ou juste s’amuser ; 3) ses émotions quand il se téléporte ; et 4) la difficulté d’une téléportation précise. Un Jumper paniqué et un autre complètement calme produiront des effets radicalement différents. Plus un Jumper est en colère, plus les effets sont importants" a pu dire Joel Hynek*. Ce sens du détail se ressent plus qu'il ne se voit, du moins de prime abord, et apporte au tout son caractère abouti.

En revanche, si l'idée de la téléportation est plaisante et traitée  de manière assez nouvelle, les points positifs du film ne se bousculent pas tellement. En effet, le scénario souffre de quelques raccourcis faciles qui ne vont pas dans le sens de la cohérence et de la vraisemblance. Les événements s'enchainent dans une linéarité simpliste et les personnages bénéficient d'un traitement grossier et caricatural : Hayden Christensen, qui a effectué la plupart de ses cascades à ses dépends, ne brille pas autant que dans ses habits de Dark Vador et peine à rendre son personnage attachant, non pas par manque de talent mais en raison d'une action impitoyable laissant peu de place à l'émotion. C'était pourtant l'une des envies du réalisateur que de "travailler sur cette histoire parce que ses personnages étaient profondément humains et très complexes.*" Samuel L. Jackson  joue bien son rôle de méchant pragmatique, obsessionnel et sans pitié mais n'apporte pas plus de plus-value que son propre charisme. Mention doit être faite cependant de Jamie Bell (Billy Elliot de Stephen Daldry, Mémoire de nos pères de Clint Eastwood, King Kong de Peter Jackson) qui offre une prestation survoltée, parfois drôle, avec une allure de hacker reclus dans sa cave.

Jumper ne brille donc pas par la qualité de son récit ou la profondeur de ses personnages mais s'avère être un teen-movie réussi pour ce qu'il vise : divertir.

"L’approche de David S. Goyer m’a aussi beaucoup attiré, en particulier sa façon de souligner l’humanité qui bouillonne sous les pouvoirs de ce jeune super héros. La téléportation lui donne la possibilité d’échapper à une vie malheureuse, mais elle le projette aussi dans un monde où il va devoir apprendre seul à devenir un adulte, et être assez courageux pour surmonter tous les problèmes qu’il va rencontrer" affirme le producteur Lucas Foster.

Cette remarque, tout comme celle précédemment citée de Doug Liman, a le mérite de tenter de placer un simple film d'action à un niveau supérieur. Donc, contrairement aux apparences, ce film a un message (outre la petite pique désobligeante qui fait entrer l'Église dans la fiction  avec son rôle habituel de méchante inquisitrice) : que ferions-nous si nous avions le pouvoir de nous déplacer sans contrainte où bon nous semble ? Cette question que Jim Carrey s'est certainement posée dans Bruce, tout puissant appelle la réponse logique de faire... le bien... non ? Non, David, le héros au cœur fragile,  trouve que c'est plus intéressant de voler les banques et de se construire une vie de rêve. C'est sûr, c'est tentant... Mais il faudrait que le film, qui a une portée tout de même limitée, puisse permettre de prendre du recul par rapport à cet attirant fantasme qui se rapproche étrangement de la situation des pirates informatiques qui, grâce à un clavier et une souris, peuvent s'ouvrir des petites cavernes d'Ali baba.

Heureusement, la plupart des manipulations des hackers découragent 99% des geeks amateurs qui s'en tiennent au piratage de leur propre messagerie, et, qui plus est, se téléporter est à l'heure actuelle impossible ; mais n'y a-t-il pas d'une certaine manière une apologie indirecte de l'anarchie, du piratage ? Le film flatte, dans le cœur de nos jeunes à l'ère propice du numérique, ces petites voix refoulées  qui soupirent un vague "Ah, si je pouvais...".

Qu'on ne s'y méprenne, pour avoir le splendide appartement de David et ses deux écrans 31 pouces, il faut jumper dans un quotidien difficile et travailler. Rien de bien méchant dans ce film rêveur, mais un message plus sain pour l'adolescence déjà encline naturellement au laisser-aller aurait été le bienvenu. Au lieu de ça une voix off pose simplement la question : « Après tout, que font-ils de mal ? »

* in notes de production

Jean LOSFELD