Killer Elite

Film : Killer Elite (2011)

Réalisateur : Gary McKendry

Acteurs : Jason Statham (Danny), Clive Owen (Spike), Robert De Niro (Hunter), Dominic Purcell (Davies)

Durée : 01:57:00


Un film d'action plein de rebondissements qui traite de la loi du talion, des services spéciaux et d'un agent qui réussit malgré tout à garder une certaine noblesse.

En 1993 Ranulph Fiennes, considéré comme le « plus grand explorateur » par le livre Guinness des records, &
eacute;crit « The Feather Men, » un roman inspiré de faits réels et rebaptisé en France sous le nom de « Killer Elite. »

Le livre a fait grand bruit. Ancien membre des SAS, services spéciaux de sa Majesté britannique, Ranulph Fiennes a en effet prétendu que les faits relatés dans le livre étaient tous authentiques.

Jusque là, pas de quoi ébouriffer les bons lords, mais lorsqu'on sait que les faits en question sont des assassinats perpétrés par d'anciens SAS et maquillés en accidents, ça commence à faire désordre.

Il aura donc fallu presque 20 ans pour qu'un scénariste (Matt Shering) et un réalisateur (Gary Mc Kendry) décident de remettre l'affaire au barbecue, histoire de la rendre un peu plus br&
ucirc;lante. D'autant que le film ne respecte pas scrupuleusement le livre : « Nous ignorons si la totalité de ces événements se sont réellement produits ou non, raconte Gary Mc Kendry, mais cela donne une histoire qui ne ressemble à aucune autre. »

La première difficulté rencontrée par les deux cinéastes, qui est celle de toute adaptation d'une oeuvre littéraire est celle de la temporalité. Comme je suis d'excellente humeur, dans ce fauteuil perdu au milieu de ma campagne chantante, je m'en vais vous expliquer rapidement ce que recouvre ce terme technique que les littérateurs connaissent bien.

Toute histoire dure un temps. Elle peut durer une heure, une journée, un mois, un an ou une vie... C'est le « temps de lhistoire ». La narration, elle, a également une durée qui lui est propre. Elle peut être plus courte que l'histoire (l'auteur raconte en une ligne que son héros s'est entraîné pendant seize ans) ou plus longue (l'écrivain s'attarde pendant plusieurs pages sur tous les détails d'une charge héroïque qui ne dura que quelques secondes avant le planter de baïonnette). Cette relation entre le « temps de l'histoire » et le « temps de la narration » s'appelle la « temporalité. » Le temps de narration existe aussi bien en cinéma qu'en littérature, mais avec une différence importante : le cinéaste n'a pas les mêmes impératifs que l'écrivain. Son film n'excède qu'assez rarement deux heures, ce qui le force à raccourcir des passages du livre, voire à en sauter. En l'occurrence
Matt Shering a dû gérer ce même type de difficulté : « c’est un livre long et foisonnant, dont la trame se déroule sur dix-sept ans, il a donc fallu que nous condensions beaucoup. Nous avons réduit le nombre de personnages et de lieux. Il fallait vraiment simplifier tout en conservant l’essence, l’intensité et le suspense. »

Cette temporalité est encore plus malmenée quand le film invente en plus des passages qui n'existent pas, ce qui est le cas de Killer Elite : « Dans son roman, Ranulph Fiennes ne dit pas ce qui arrive à Danny ou à Spike. Nous trouvions impensable de terminer le film sans rien préciser alors que l’on a suivi leur histoire pendant deux
heures. »

Pour ce film audacieux, donc, il aura fallu un casting de choc : Jason Statam, personnage principal du film qui, comme presque tous ses rôles, devient brutal quand on le met de mauvaise humeur, Robert de Niro, dont la présence, quoique remarquée, est presque anecdotique, Clive Owen, qui s'était fait par exemple remarquer en 2006 dans l'excellent Inside Man de Spike Lee... Bref, du lourd !

Le résultat est probant. Même si les lieux communs sont assez nombreux, le film est brutal sans être complaisant, les rebondissements sont si nombreux qu'on finit même par se demander si le film va finir un jour, et les personnages sont bien travaillés.

Tout
d'abord Danny est un agent qui veut raccrocher. D'
Agents secrets (de Frédéric Schoendoerffer en 2004) à Kiss and Kill (de Robert Luketic en 2010) l'idée n'est pas très originale. On peut abandonner le métier, entend-on, mais le métier, lui, ne t'abandonne pas. Ouah c'est profond...

Pourtant le film a le bénéfice du doute : il est sensé être réaliste. Danny, donc, décide de quitter son activité, guidé en cela par de beaux cheveux blonds et un sourire enjôleur. Mais son équipier (Robert de Niro) se fait emprisonner par son client pour avoir voulu s'enfuir avec l'
argent sans réaliser le boulot.

Il doit replonger, puisqu'il est bien entendu le meilleur, pour aller le sauver. « L’une des qualités les plus admirables du personnage de Danny, explique Matt Shering, est sa loyauté sans faille. Il est prêt à risquer tout ce qu’il possède, sa vie, ses chances d’un avenir meilleur, pour revenir en arrière et sauver sa seule famille. Il doit accomplir cette mission parce que pour lui, il n’y a tout simplement pas d’autre alternative. »

Pendant tout le film, Danny essaie de limiter la casse. Il n'a pas la gâchette facile et respecte profondément la vie. Perturbé d'avoir tué un homme devant son jeune fils au début du film (oui d'accord... ça
non plus ça n'est pas très original. On pense à l'hilarant Bons baisers de Bruges, de Martin Donagh en 2008 dans lequel Colin Farrel descend un jeune garçon en tuant sa cible), il laisse de nombreuses chances à ses ennemis et ne tue que par nécessité. Ses coéquipiers sont loin d'avoir les mêmes scrupules.

Reste à savoir si accepter de tuer des SAS pour délivrer son ami est acceptable ? Les SAS ont mené une sale guerre en Arabie Saoudite. Ils ont dû faire des choses illégales, mais aussi cruel que cela puisse paraître, c'est leur métier. Dans la mesure où ils ne sont pas en possession des informations permettant de juger de la moralité de leurs actes, et où ils tuent des hommes adultes en armes, comment leur reprocher d'obéir à leur hiérarchie ? Ils ne sont dans cette affaire qu'une
cause instrumentale comme des millions de militaires dans le monde, chargés d'obéir à des ordres parfois difficiles mais qui ne sont pas « intrinsèquement mauvais », comme on dit dans le jargon des moralistes réalistes. Le film ne les présente d'ailleurs pas comme des psychopathes. Ils sont des tueurs, c'est tout. « Je connais personnellement quelques anciens SAS, raconte Clive Owen dont le personnage, un SAS, traque Danny pendant toute l'histoire, et j’avais déjà un bon aperçu du genre d’hommes qu’ils sont. J’ai également rencontré un consultant qui a fait partie de ce service pendant vingt-cinq ans. Il nous a expliqué tout le processus de sélection de ces forces spéciales, c’est vraiment fascinant. Il m’a raconté que la moitié des candidats étaient éliminés lors de la premiè
re semaine d’entraînement physique. Ils ont été choisis parce qu’ils sont a priori les meilleurs mais quand ils subissent ce processus de sélection, ils ne font pas long feu. »
Ils sont donc des soldats et, de ce point de vue, supprimer leurs vies pour en sauver une (celle d'un ami) est proprement injustifiable, ce qui n'arrêtera pas Danny, qui utilisera des méthodes parfois assez douteuses (mettre un produit dans le verre d'un combattant pour l'affaiblir n'est pas particulièrement loyal). La justification du scénariste est donc plus que douteuse : « Danny est un personnage complexe parce qu’il commet des actes condamnables pour des raisons qui, elles, sont justes. » Non seulement la fin ne justifie pas les moyens mais, de plus, la finalité n'a rien de justifiable en l'occurrence.

Il va cependant y avoir une prise
de conscience. Danny va être trompé sur l'identité d'un des soldats. Il va donc supprimer une vie pour le coup parfaitement innocente. Là on sent le ras-le-bol du personnage. Déjà qu'il ne voulait pas revenir dans le métier, voilà qu'il a tué un pauvre type qui n'y est pour rien. On comprend qu'il y a de quoi en avoir marre ! C'est d'ailleurs à partir de là qu'il arrête de dézinguer sans scrupules.

Il ressort donc de ce film un contexte où préserver la moralité semble extrêmement difficile et où le personnage principal, être humain faillible, évolue au cours de la pellicule pour finir par poser des actes courageux : laisser en vie son pire adversaire par exemple.