Knight of Cups

Film : Knight of Cups (2015)

Réalisateur : Terrence Malick

Acteurs : Christian Bale (Rick), Natalie Portman (Elizabeth), Cate Blanchett (Nancy), Antonio Banderas (Tonio)

Durée : 02:58:00


Terrible flop pour le dernier opus du réalisateur de Tree of Life (2011) qui nous laisse cette fois une esquisse non achevée, comme s’il était mort avant la fin de son œuvre. Mais le drame est que Terrence Malick est bien vivant. On avait apprécié son style poétique tout à fait original dans L’Arbre de Vie. On tombe ici dans le cauchemar d’un film sans scénario qui s’étire sur deux heures interminables. Un casting étincelant (Bale, Blanchett, Portman, Banderas), des décors lumineux, et au final une longue errance autour d’un personnage, Rick (Christian Bale), soi-disant auteur de comédies, qui s’interroge sur l’échec de sa vie très aisée. Un tiers des spectateurs qui quittent la salle avant la fin, des sifflets à l’issue : comment en est-on arrivé à ce fiasco ?

Une fibre talentueuse certaine se dégage pourtant chez ce réalisateur épris de flâneries mélancoliques en bords de mer. Les amateurs de plans recherchés auront trouvé leur compte et auront tôt fait de proclamer que l’auscultation malickieuse de la lumière relève du génie. Mais Malick, cette fois, est allé trop loin dans l’expérimentation. Il a commis l’irréparable. Il a exclu le scénario de son film. Il a réduit les acteurs à de la figuration. Il a oublié de raconter une histoire au spectateur. Même silencieux, son personnage principal n’est pas intéressant. Il est à l’image des effigies anonymes et muettes des clips publicitaires de la parfumerie. Un artiste tourmenté en mal d’avenir, on a déjà vu ça en beaucoup mieux dans Huit et demi de Fellini (1963), Nine (Rob Marshall, 2009), ou plus récemment L’homme irrationnel de Woody Allen. Des héros anonymes exprimant leur mal-être à moitié hallucinatoire, on a vu ça aussi chez David Lynch (Twin Peaks 1992, Mulholland Drive 2001), dans un style sordide, certes, mais reposant au minimum sur un semblant d’histoire.

Le pseudo-film Knight of Cups pose finalement une question cruciale au sein d’un cinéma décidément bien désincarné et à la peine avec les bonnes idées : a-t-on le droit de revendiquer l’appellation « film » pour une succession d’images sans scénario ? Peut-on, dans le même esprit, au nom de l’originalité, qualifier de film une séquence sur fond noir avec uniquement de la musique ? Qu’est-ce qu’un film en fait ? Quel sujet mérite d’être traité au grand écran ? Voir le « pauvre » Rick bourré piquer du nez sur un comptoir de lap dance ou faire des sauts dans les vagues, poursuivi par des admiratrices tombées du Walk of Fame, ne permettra pas d’y répondre. Car la passion que l’on peut avoir pour le néant atteint rapidement la limite de l’existence. Terrence Malick l’a franchie. Il a disparu dans un trou noir. Sa compilation numérique Knight of Cups a rejoint les débris stellaires de l’incohérence humaine. Les débris de quelque chose que l’on aurait pu identifier à un truc extraordinaire... mais qui vous restent dans la main comme un morceau de lave séchée, informe et friable.