Le film commence de façon curieuse par l’interview d’un producteur sur les marches d’un palais de justice. La scène sonne un peu faux, peut-être à cause du jeu d’acteur trop souligné, sans doute parce que les ficelles de l’exposition des faits sont trop apparentes. On touche ici au principal défaut du film, en adaptant son propre roman (là-haut 1981) Pierre Schoendoerffer n’a pas réussi à effacer le caractère abstrait de la construction romanesque, si bien que l’on éprouve quelques difficultés à accepter la réalité des personnages, à « rentrer dans le film ».
Par bonheur le film est sauvé de ce travers grâce à une interprétation exceptionnelle. Pierre Schoendoerffer s’est entouré de ses acteurs fétiches auxquels il avait déjà offert les meilleurs rôles de leurs filmographies respectives et de membres de sa famille. Bruno Cremer, avec ses courts silences et ses gestes lents, est comme d’habitude
génial, Claude Rich, au mieux de sa forme, déborde d’enthousiasme et d’intelligence, quant à Florence Darel, seule présence féminine et seul personne étrangère au cercle Schoendoerffer, elle a gardé depuis Conte d’été une élocution et une grâce toute rohmérienne.
En choisissant de monter des images de ses anciens films et des reportages qu’il a réalisés au service de presse des armées, Schoendoerffer n’évite qu’à moitié un autre piège, celui de faire un film patchwork, sans véritable unité. Quelques réflexions éclaireront notre propos : il est évident que du fait de l’impératif de l’image, le cinéma a une liberté de narration bien moins grande que le roman. Il lui est par exemple très difficile de faire vieillir et rajeunir ses personnages de façon vraisemblable. On peut penser que disposer d’une réserve de documents, en l’occurrence les anciens films de Schoendoerffer, montrant les acteurs à différentes époques permet de résoudre cette difficulté. Mais, au contraire c’est
imposer une contrainte supplémentaire à la narration que de puiser dans un stock forcément limité de documents préexistants. L’échec total et particulièrement intéressant à étudier de l’amour en fuite de François Truffaut, dernier film du cycle Antoine Doinel, montre que le principal danger d’un tel choix est, au lieu de raconter l’histoire que l’on souhaitait, de tordre le scénario pour le faire coïncider avec les images dont on dispose. Schoendoerffer s’en sort néanmoins mieux que Truffaut grâce au canevas rigoureux que lui imposait son roman.
C’est cet astucieux canevas qui constitue en fait le principal intérêt du film. C’est un puzzle, et si l’on accepte de jouer le jeu, la poésie viendra par surcroît. Malheureusement, peut-être parce qu’il n’a pas pu tourner en Indochine, le souffle poétique reste moins intense que dans ses précédents films qui nous ont fait tant vibrer.
Paradoxalement (c’est en effet paradoxal) le film gagne en
profondeur ce qu’il a perdu en poésie.
C’est probablement le film le plus profond de Schoendoerffer, celui où les thèmes latents de son œuvre sont mis à jour et développés. On en trouve un bon exposé dans le texte que le prêtre lit à l’enterrement du vieux général. Il s’agit en fait d’un chant de la tradition militaire que Schoendoerffer a un peu modifié. Nous citons approximativement : « Mon dieu, je ne te demande ni le confort, ni les richesses, tout cela t’est assez demandé. Mon dieu donne moi ce que l’on te refuse. Mon dieu donne moi l’insécurité ». Cette insécurité que Lanvern a recherchée en Indochine, sur les bateaux de pêche et lors de sa dernière expédition n’est pas le risque gratuit des aventuriers qui mettent leur vie en jeu pour un petit frisson, puisqu’à chaque fois le danger a un but noble : la défense de son pays ou d’une certaine idée de celui-ci, la recherche de moyens de subsistance et la fidélité en amitié. Mais si l'insécurité ne doit pas être recherchée
pour elle-même, elle est indispensable à toute vie d’homme, pour ne pas s’embourgeoiser comme disent les bourgeois, pour mettre en pratique les vertus et se connaître soi-même, semble dire le cinéaste.
Le vieux général le dit, et l’on croit entendre Schoendoerffer, : « je crois à des vertus un peu surannées, l’amitié, la fidélité, l’honneur ». C’est l’insécurité d’un champ de bataille qui rend méritoire la pratique des vertus. Celui qui dans la fatigue extrême d’une guerre trouve assez de force en lui-même pour continuer à penser aux autres ne s’entendra pas dire la parole du christ « quel mérite avez vous à cela ? ».
Si les personnages ont montré leur valeur, la connaissance d’eux-mêmes qu’ils acquièrent n’est cependant pas toujours réjouissante. Schoendoerffer est bien loin d’un humanisme oublieux du péché originel et pour lequel tout ce qui est humain est formidable : Lanvern à sa sortie d’un camp de concentration indochinois (la scène est
reprise du crabe tambour) avoue en des termes très durs avoir découvert en lui une bassesse qu’il ne soupçonnait pas, l’immoralité répugnante d’un humain prêt à tout pour survivre. Ainsi se connaître soi-même c’est surtout avoir conscience de ses faiblesses. C’est un acte d’humilité.
Autre thème central de l’univers de Schoendoerffer, c’est le mensonge et le remord qu’il entraîne. C’est en fait une application pratique de l’honneur. On se méfie aujourd’hui de l'honneur, car l’usage qui en a été fait n’a pas toujours été celui de la morale. Schoendoerffer montre cette vertu à l’œuvre ce qui est le meilleur moyen de la réhabiliter. On notera que ce thème était déjà majestueusement développé dans le crabe tambour.
Toutes ces qualités morales sont incarnées par Lavern, figure de l’absence comme les aime le cinéaste. Et avec la vertu vient la joie dont déborde Lanvern, image de la jeunesse, de la pureté. Sa mort provoque un déchirement, toutes les
personnes que Lanvern soutenait par son énergie le renient, l’oublient. La fin du film est un cri terrible de colère et de tristesse contre ce monde qui détruit l’innocence et la joie, cri dont la violence surprenante rappelle la fin d’À rebours d’Hysmans.
Notons que le chant militaire dont nous parlons plus haut se termine par : « mais donne moi la foi pour que je sois sûr de moi », phrase qui n’est pas lue par le prêtre. C’est la seule limite du film, il reste toujours au niveau de la morale naturelle, même dans les scènes avec le curé breton. Le spectateur devra passer lui-même au niveau supérieur. Espérons que nos questions ci-dessous l’y aideront.
Certains documents d’archive sur la guerre déconseillent ce film pour les plus jeunes spectateurs.
Benoît d'ANDRE
Par bonheur le film est sauvé de ce travers grâce à une interprétation exceptionnelle. Pierre Schoendoerffer s’est entouré de ses acteurs fétiches auxquels il avait déjà offert les meilleurs rôles de leurs filmographies respectives et de membres de sa famille. Bruno Cremer, avec ses courts silences et ses gestes lents, est comme d’habitude
génial, Claude Rich, au mieux de sa forme, déborde d’enthousiasme et d’intelligence, quant à Florence Darel, seule présence féminine et seul personne étrangère au cercle Schoendoerffer, elle a gardé depuis Conte d’été une élocution et une grâce toute rohmérienne.
En choisissant de monter des images de ses anciens films et des reportages qu’il a réalisés au service de presse des armées, Schoendoerffer n’évite qu’à moitié un autre piège, celui de faire un film patchwork, sans véritable unité. Quelques réflexions éclaireront notre propos : il est évident que du fait de l’impératif de l’image, le cinéma a une liberté de narration bien moins grande que le roman. Il lui est par exemple très difficile de faire vieillir et rajeunir ses personnages de façon vraisemblable. On peut penser que disposer d’une réserve de documents, en l’occurrence les anciens films de Schoendoerffer, montrant les acteurs à différentes époques permet de résoudre cette difficulté. Mais, au contraire c’est
imposer une contrainte supplémentaire à la narration que de puiser dans un stock forcément limité de documents préexistants. L’échec total et particulièrement intéressant à étudier de l’amour en fuite de François Truffaut, dernier film du cycle Antoine Doinel, montre que le principal danger d’un tel choix est, au lieu de raconter l’histoire que l’on souhaitait, de tordre le scénario pour le faire coïncider avec les images dont on dispose. Schoendoerffer s’en sort néanmoins mieux que Truffaut grâce au canevas rigoureux que lui imposait son roman.
C’est cet astucieux canevas qui constitue en fait le principal intérêt du film. C’est un puzzle, et si l’on accepte de jouer le jeu, la poésie viendra par surcroît. Malheureusement, peut-être parce qu’il n’a pas pu tourner en Indochine, le souffle poétique reste moins intense que dans ses précédents films qui nous ont fait tant vibrer.
Paradoxalement (c’est en effet paradoxal) le film gagne en
profondeur ce qu’il a perdu en poésie.
C’est probablement le film le plus profond de Schoendoerffer, celui où les thèmes latents de son œuvre sont mis à jour et développés. On en trouve un bon exposé dans le texte que le prêtre lit à l’enterrement du vieux général. Il s’agit en fait d’un chant de la tradition militaire que Schoendoerffer a un peu modifié. Nous citons approximativement : « Mon dieu, je ne te demande ni le confort, ni les richesses, tout cela t’est assez demandé. Mon dieu donne moi ce que l’on te refuse. Mon dieu donne moi l’insécurité ». Cette insécurité que Lanvern a recherchée en Indochine, sur les bateaux de pêche et lors de sa dernière expédition n’est pas le risque gratuit des aventuriers qui mettent leur vie en jeu pour un petit frisson, puisqu’à chaque fois le danger a un but noble : la défense de son pays ou d’une certaine idée de celui-ci, la recherche de moyens de subsistance et la fidélité en amitié. Mais si l'insécurité ne doit pas être recherchée
pour elle-même, elle est indispensable à toute vie d’homme, pour ne pas s’embourgeoiser comme disent les bourgeois, pour mettre en pratique les vertus et se connaître soi-même, semble dire le cinéaste.
Le vieux général le dit, et l’on croit entendre Schoendoerffer, : « je crois à des vertus un peu surannées, l’amitié, la fidélité, l’honneur ». C’est l’insécurité d’un champ de bataille qui rend méritoire la pratique des vertus. Celui qui dans la fatigue extrême d’une guerre trouve assez de force en lui-même pour continuer à penser aux autres ne s’entendra pas dire la parole du christ « quel mérite avez vous à cela ? ».
Si les personnages ont montré leur valeur, la connaissance d’eux-mêmes qu’ils acquièrent n’est cependant pas toujours réjouissante. Schoendoerffer est bien loin d’un humanisme oublieux du péché originel et pour lequel tout ce qui est humain est formidable : Lanvern à sa sortie d’un camp de concentration indochinois (la scène est
reprise du crabe tambour) avoue en des termes très durs avoir découvert en lui une bassesse qu’il ne soupçonnait pas, l’immoralité répugnante d’un humain prêt à tout pour survivre. Ainsi se connaître soi-même c’est surtout avoir conscience de ses faiblesses. C’est un acte d’humilité.
Autre thème central de l’univers de Schoendoerffer, c’est le mensonge et le remord qu’il entraîne. C’est en fait une application pratique de l’honneur. On se méfie aujourd’hui de l'honneur, car l’usage qui en a été fait n’a pas toujours été celui de la morale. Schoendoerffer montre cette vertu à l’œuvre ce qui est le meilleur moyen de la réhabiliter. On notera que ce thème était déjà majestueusement développé dans le crabe tambour.
Toutes ces qualités morales sont incarnées par Lavern, figure de l’absence comme les aime le cinéaste. Et avec la vertu vient la joie dont déborde Lanvern, image de la jeunesse, de la pureté. Sa mort provoque un déchirement, toutes les
personnes que Lanvern soutenait par son énergie le renient, l’oublient. La fin du film est un cri terrible de colère et de tristesse contre ce monde qui détruit l’innocence et la joie, cri dont la violence surprenante rappelle la fin d’À rebours d’Hysmans.
Notons que le chant militaire dont nous parlons plus haut se termine par : « mais donne moi la foi pour que je sois sûr de moi », phrase qui n’est pas lue par le prêtre. C’est la seule limite du film, il reste toujours au niveau de la morale naturelle, même dans les scènes avec le curé breton. Le spectateur devra passer lui-même au niveau supérieur. Espérons que nos questions ci-dessous l’y aideront.
Certains documents d’archive sur la guerre déconseillent ce film pour les plus jeunes spectateurs.