La chute

Film : La chute (2003)

Réalisateur : Olivier Hirschbiegel

Acteurs : Bruno Ganz (Hitler), Alexandra Maria Lara (Traudl Junge), Juliane Kohler (Eva Braun), Ulrich Matthes (Joseph Goebbels), Corinna Harfouch (Magda Goebbels), Heino Ferch (Albert Speer), Thomas...

Durée : 02:30:00


Le film est le fruit d'un projet délicat, comme peut l'être le projet de montrer une période de l'Histoire aussi ingrate et cruelle. Bernd Eichinger et Olivier Hirschbiegel, l'un scénariste et producteur, l'autre réalisateur,
ont travaillé ensemble pour montrer la chute du IIIème Reich, d'une manière historique et, selon leurs explications, presque "documentaire". C'est bien en tant qu'Allemands qu'ils l'ont fait, pour retracer consciencieusement une période difficile de leur histoire, concernés par le projet comme par un devoir. L'originalité certaine de la démarche, et qui a prêté à des critiques d'autant plus nombreuses, réside dans la manière de traiter le sujet. Le spectateur est directement confronté au personnage d'Hitler représenté dans sa vie quotidienne et dans ses pires moments, acculé dans un souterrain sous une ville encerclée. Outre les difficultés de la réalisation liées à la reproduction exacte de l'aspect naturel du personnage, le cinéaste se risque par ce biais à plonger le spectateur dans une proximité gênante avec le Furher. Certains commentateurs ont pensé que la difficulté de représenter Hitler dans des aspects de sa vie quotidienne était insoluble et devait empêchait à quiconque de tenter l'
impossible. En effet, comment présenter l'horreur historique et idéologique dans un environnement banal, même si cette banalité de la vie -discuter avec des proches, prendre un repas, aimer sa femme ou promener son chien- est masquée par le contexte particulier du retranchement dans un bunker, des explosions d'obus et de la mort très présente. Ces reproches oublient en réalité qu'Hitler était aussi un homme. On ne peut en fait que féliciter le cinéaste de la réussite de son entreprise : montrer les dernière heures du IIIème Reich à travers les dernières heures de son chef et découvrir une part d'intimité de la vie d'Hitler dans ce moment crucial. Eichinger et Hirschbiegel se sont notamment appuyés sur les témoignages de Traudl Junge, la jeune secrétaire d'Hitler de 1942 à 1945, décédée en 2002, et sur les travaux de l'historien allemand Joachim Fest pour recréer cet aspect peu connu de la période. Ce que voit le spectateur est crédible. Hitler est vieillissant, colérique, a un côté paranoïaque évident,
mais n'est pas un monstre sans aucune maîtrise de soi ; pourtant c'est le Furher, et il est impossible d'éprouver pour lui à travers le film de la compassion, même si certains personnages, sans en être dignes, nous y forcent quelque peu (la secrétaire). Les acteurs, convaincants, nous font revivre la situation en interprêtant des personnages réels qu'ils recréent avec une exactitude voulue honnête, et garantie par le souci historique du cinéaste. Bruno Ganz et Maria Lara, dans les deux rôles principaux, mais aussi les personnages des généraux et des conseillers d'Hitler, notamment celui de Goebbels, portent avec l'effet attendu cette ambiance très angoissante de la fin du régime. En voyant une certaine intimité d'Hitler dans sa chute, on est projeté plus ou moins violemment sur un personnage au nom tabou, mais cette chute est intéressante et montre beaucoup de choses. Hitler est dans son dernier retranchement mais il tient son pouvoir de la même manière, nul n'ose le contrer apparemment et l'
emprise psychologique qu'il exerce est toujours très grande. Le Furher entraîne un enthousiasme complètement déraisonnable, alors que son Reich s'écroule, jusqu'au fanatisme d'un peuple qui va combattre les mains nues les chars soviétiques. Cette représentation, mettant notamment en scène des enfants-soldats, ou l'autodestruction de la famille Goebbels, est peut-être un peu exagérée. Elle est en tout cas dure à voir mais reflète cependant la réalité de l'envoûtement hitlérien. Elle est aussi l'occasion de montrer les sentiments profondément misanthropes d'Hitler, que l'on voit ordonner sans vergogne le sacrifice pur et simple des berlinois pour sauver et purifier le Reich, "je dis toujours qu'éprouver de la pitié pour les faibles est contre-nature".

Il faut considérer deux choses pour examiner la du film de Hirschbiegel : la violence, sans doute inévitable pour un film sur la période, et le côté plus idéologique, issu directement du sujet. Le sujet était délicat, le
pari osé, mais la réussite est là, conformément aux ambitions du projet du scénariste et du réalisateur. Le film insiste sur la facette privée de la vie d'Hitler au moment de la chute du IIIème Reich, et en sort une juste interprétation, qui s'est voulue sérieuse, crédible, historique, et qui l'est, dans la mesure où nous avons pu le dire. L'écueil d'une certaine complaisance envers le personnage est évité par une réalisation retranchée intelligemment derrière un projet cinématographique bien arrêté invoquant honêteté et historicité. Le nazisme est suffisamment dénoncé à travers les paroles énormes du Furher mais qui sont bien les siennes, l'attitude absurde de nombre de ses proches ou l'explicitation de l'issue fatale de l'évolution du IIIème Reich. Le film évoque aussi les doutes, voire les révoltes de militaires envers leurs propres méthodes, qui rendent cruelle la sympathie que l'on peut quand même avoir à certains moments pour quelques personnages enfoncés dans un contexte idéologique sans
aucune issue. La Chute n'est pas bien sûr un film d'idées ou un film à thèse. Le cinéaste montre l'effondrement d'un régime et la force d'une doctrine naturellement condamnée, mais son oeuvre est une nouvelle condamnation ainsi qu'une proposition de condamnation faite au spectateur. On ne peut en définitive mettre en doute le sérieux de cette entreprise artistique. La Chute est une représentation artistique d'un sujet grave et le terrible du sujet amène la représentation à l'écran de toute la violence de la guerre, qui atteint jusqu'au profond retranchement du Furher, dans lequel la fréquence des suicides croît avec la progression des Russes, en passant par des combats de rue désespérés et complètement disproportionnés, ou par des scènes d'hôpitaux militaires surpassés ou abandonnés à la mort. Cette violence s'inscrit dans le style du film de situation désespérée, et fait partie de la recréation artistique de la période comme de sa condamnation. Elle est donc à peu près incontournable.

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Raphaël DU CHAZAUD