La Conquête

Film : La Conquête (2011)

Réalisateur : Xavier Durringer

Acteurs : Denis Podalydès (Nicolas Sarkozy), Florence Pernel (Cécilia Sarkozy), Bernard Le Coq (Jacques Chirac), Hippolyte Girardot (Claude Guéant), Samuel Labarthe (Dominique de Villepin), Mathias Mlekuz (...

Durée : 01:45:00



La conquête n'est pas un film contre Nicolas Sarkozy. Ceux qui comptaient hurler avec la meute contre le monstre aux abois en seront pour leur frais. Ils pourront néanmoins défouler leur hargne en fustigeant un film qu'ils jugeront bienveillant car le film, peut-être inconsciemment, penche plutôt en faveur du président.

A la vérité il ne fait pas un portrait particulièrement flatteur du personnage (ni des autres d'ailleurs, puisque Dominique de Villepin, rendu probablement plus méchant que nature, passe pour un magouilleur, Chirac pour le grand dégingandé totalement dépassé par les problèmes, etc.) mais le fait de plonger de la sorte dans son intimité le rend humain.
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C'est précisément ce qui gêne ses adversaires. Car le principe premier de la diabolisation, c'est de briser toute empathie pour la proie. Suivant les milieux, Nicolas Sarkozy est soit le bourreau d'immigrés, soit leur « passeur », un apôtre du capitalisme ou un faux libéral, mais, quoiqu'il en soit, il ne faut en aucun cas, sous peine d'adoucir le peuple, que celui-ci le considère comme un être humain, faillible, avec ses qualités et ses défauts, ses excès et ses insuffisances.

Sur le même principe, le débat avait été houleux pour la personne d'Hitler dans le film La
Chute
(2003). Fallait-il prendre le risque que le spectateur puisse compatir avec le tortionnaire ? Les déclarations des hommes et femmes politiques adversaires de Nicolas Sarkozy rappellent ce débat : ils ne reprochent pas vraiment au film d'être ouvertement sarkoziste, mais critiquent qu'on fasse du méchant une star tourmentée. Dans le dossier de presse, Xavier Durringer assume : « Il ne fallait surtout faire ni un film à charge, ni un panégyrique, mais montrer que ces personnages sont des êtres sensibles, profondément humains, et parfois émotionnellement compliqués voire perturbés. »


La conquête jongle avec deux thèmes antinomiques : celui de la prise de pouvoir, et celui de la défaite sentimentale.

Nicolas Sarkozy est montré pour ce qu'il est. Pragmatique, engagé, impitoyable avec ceux qui se mettent sur sa route, sincère dans le débat mais calculateur dans la communication, il correspond à l'image que les Français en avaient en 2007. A tort ou à raison ? Ce n'est pas tellement le débat, mais tout a été fait pour être réaliste : «  Pour mon film sur Chirac, j’avais déjà réuni une importante documentation et fait des dizaines interviews, dont une de Sarkozy. Pour La conquête j’ai dépouillé toute la presse de 2002 à 2007 et lu une soixantaine de livres que j’ai tous
scrupuleusement annotés. Ce qui m’a permis de croiser tout un ensemble d’histoires et d’anecdotes qui ont directement nourri le scénario. Puis, j’ai rencontré des informateurs, protagonistes ou témoins. »
(Patrick Rotman, scénariste et dialoguiste).


Alors, La conquête, fiction ou documentaire ? Patrick Rotman est formel : « J’insiste : La conquête est une fiction, une fiction documentée mais une fiction.
La très grande majorité des scènes sont inventées, comme les dialogues. Il y a certes une vingtaine de scènes qui sont proches de la réalité, comme les face-à-face entre Sarkozy et Chirac et les affrontements Sarkozy-Villepin. A l’inverse, bien des séquences sont de pures fictions, comme celle où Villepin fait répéter à Chirac « Je décide, il exécute ». C’est une scène totalement imaginaire mais empreinte de réalité : je sais que Villepin préparait effectivement Chirac pour certaines émissions de télévision, et j’ai la quasi certitude, par une source très proche, que Villepin est bien l’auteur de la formule. Tout comme il a vraiment dit « Je vais le baiser avec du gravier » ».



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Les acteurs ont fort à faire. Ils doivent interpréter des personnes qui existaient et existent encore, ce qui les met dans la ligne de mire de ceux qui les connaissent. Bien loin d'être des marionnettes, ils incarnent leur rôle avec un certain brio qui délectera les passionnés de l'arène politique.

Seulement voilà : pour les vrais initiés, qui ont déambulé dans les couloirs de la bataille, lu Bruno Lemaire ou consommé les articles des tabloïds, il n'y a pas grand chose de nouveau à se mettre sous la dent, ce qui en décevra plus d'un et en fait un film pour le grand public.

align="justify">Le titre annonçait la couleur, le film en fait une peinture : la conquête de l'Élysée est montrée comme un passage en force. Personne ne voulait de lui, il est aujourd'hui président, ce qui permet d'insister sur ce que les militaires appellent « la solitude du chef »,  que Xavier Durringer a voulu montrer à l'écran : « Je voulais que la toute première image du film soit symbolique et métaphorique : un travelling très lent nous montre un homme profondément seul, en robe de chambre, qui joue avec l’alliance de sa femme, le jour où il devient Président de la République. » Revoilà notre empathie !

Le deuxième thème est évidemment celui de sa séparation
d'avec Cécilia Sarkozy, sa femme. Il est traité avec timidité. Non que les acteurs ne soient pas là encore excellents, non que le scénario pêche par mollesse, mais Xavier Durringer évite de prendre parti. Cécilia lâche son époux au beau milieu de la campagne (le fait qu'elle l'ait accompagné jusqu'au bout pour faire bonne figure n'est certainement pas un vrai soutien), mais elle ne passe pas non plus pour une odieuse traîtresse. Cette ambiguïté est bien ressentie par Florence Pernel: « Je dois dire que j’ai été bluffée par sa décision de quitter Sarkozy ! D’un côté, j’étais un peu choquée parce qu’elle était mariée à un homme aux responsabilités énormes, mais j’étais aussi admirative de son courage : c’était un geste très libérateur pour les femmes. En m’intéressant à elle de près, j’ai découvert une femme plus complexe et contradictoire que celle qu’on a l’habitude de voir dans les médias. Ce qui m’a le plus frappée,c’est son antagonisme entre une vie qu’elle ne semble pas avoir choisie et
contre laquelle elle résiste, et l’énergie qu’elle a longtemps déployée pour mettre son couple en scène et en lumière. »
Sa passion pour Richard Attias, quoique évidemment douteuse, paraît néanmoins sincère et pour son mari elle semble sans cesse partagée, dans le film en tout cas, entre admiration et agacement. Montrée comme une actrice majeure de la campagne, elle n'essaie pas d'entretenir la flamme qui brûlait pour Nicolas Sarkozy et finit parla laisser s'éteindre, avec de grands yeux de veau sur son long coup de cygne.



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Raphaël Jodeau