La Crème de la Crème

Film : La Crème de la Crème (2013)

Réalisateur : Kim Chapiron

Acteurs : Thomas Blumenthal (Dan), Alice Isaaz (Kelly), Jean-Baptiste Lafarge (Louis), Karim Ait M'Hand (Jaffar)

Durée : 01:30:00


Trois étudiants d’une prestigieuse école de commerce française décident de monter un business juteux sur les services sexuels de filles sélectionnées ici et là, au service payé bien sûr de la gent masculine de l’établissement. En un mot, du proxénétisme.

Partant sur le principe que tout se vend et s’achète, ils appliquent les principes économiques qu’on leur apprend sur l’être humain. On est loin des sujets comme la GPA, le clonage et autres marchandisations de l’homme, mais on demeure dans la même problématique : l’homme devient un produit industriel dans ces sujets terrifiants, dans la mentalité de ces trois-là, il est un service.

C’est d’ailleurs tout le problème de la prostitution, où le corps devient un jouet sexuel, un hochet, un produit consommable.
L’idée de nos compères est absolument illégale en plus de cela, ils le savent, mais ne se posent aucune question lorsque la possibilité de faire de l’argent et de devenir, à une échelle moindre bien sûr, puissants, s’offre à eux. Une inconscience qui conduit à de très graves méfaits.
Ils sont en quelque sorte l’excroissance qui devait arriver un jour ou l’autre d’un monde estudiantin hédoniste, consumériste de tout, et comme le montrent si bien pas mal de scènes, franchement crade.
Le principe est simple : pas de repères, pas de bien et de mal, donc individus amoraux. On sait que le proxénétisme est mauvais, mais au fond, il ne l’est que parce que la loi l‘interdit …

Sous forme de comédie, qui joue beaucoup sur le cynisme (tout le monde ne peut donc pas l’apprécier autant que moi, car j’ai bien ri, mais tout le monde ne rira pas),
La Crème de la Crème ne cherche pas à nous faire l’éloge de ces petits escrocs. Mais est-ce donc un long vomi introspectif des déboires de la génération Y ? Absolument pas. Le magasine Elle a loué dans sa critique l’insouciance, le brin de folie revigorant de, je cite, « cette jeunesse décapante ». Rien compris.

En effet, progressivement, on nous mène au constat moral que finissent par faire les personnages eux-mêmes : cette façon de jouir sans entrave, sans limite, est en fait la meilleure façon non pas de séparer le sexe de l’amour, mais comme il lui est proprement attaché, de tuer l’amour même en parodiant le sexe ainsi. La jouissance devient un centre d’intérêt tellement énorme que l’amour passe complètement à la trappe. Et ce constat est un cri du sens commun, qui finit toujours par se faire entendre un jour. C’est l’alarme contre cette « misère affective » à laquelle on arrive aujourd’hui, comme le dit si bien le jeune réalisateur, Kim Chadiron, dont la mince expérience est toutefois saluée, notamment sur des sujets portant aussi sur la jeunesse, comme
Dog Pound.

 Le film, sans grand discours ou plaidoyer, adresse tout de même un tacle bien senti à deux phénomènes contemporains : la commercialisation de l'hédonisme, qui gâche la beauté du plaisir même, et l'hédonisme lui-même, qui fait oublier que la valeur de la vie ne réside pas dans le divertissement pascalien, mais dans l'amour. Or dans leurs soirées à gogo, on sent bien que plus personne n'est capable d'aimer, les deux garçons de la bande en premier d'ailleurs. La misère sentimentale dont parle Kim Chadiron.
Et pourtant, la première s’est déroulée dans un club libertin ; ou comment faire passer la promo avant le message du film au point de le bafouer complètement…

Dynamique, drôle, bien interprété (un Jean-Baptiste Lafarge qui vaut franchement Jesse Eisenberg, la révélation du film sur facebook), on est au croisement des qualités de
The Social Network et des défauts du Loup de Wall Street, car ces « cochoncetés » (pour reprendre le terme d’un humoriste dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom) nous sont balancées avec une certaine lourdeur. Dommage d’ailleurs parce que la réalisation est vraiment de qualité, ambiance et photo clairement piquées chez Scorsese, et fulgurance des dialogues inspirés de Fincher, même si on n’atteint pas non plus ce niveau. Des paillettes, des spots de toutes les couleurs, caméra en mouvement, toujours bien placée… Une immersion réussie, pour le meilleur et pour le pire.
Du talent donc, trop cru malheureusement.