La fille du Puisatier

Film : La fille du Puisatier (2010)

Réalisateur : Daniel Auteuil

Acteurs : Daniel Auteuil (Le puisatier), Kad Merad (Félipe), Sabine Azéma (Mme Mazel), Jean-Pierre Darroussin (Mazel), Nicolas Duvauchelle (Jacques), Astrid Berges-Frisbey (Patricia)

Durée : 01:47:00


une reprise de l'oeuvre de Pagnol assez fidèle mais moins fine, qui traite de la façon dont on peut porter remède aux conséquences fâcheuses d'un amour prématuré.

A la demande de la famille Pagnol, Daniel Auteuil remet l'auteur au goût du jour. L'acteur de Manon des sources et de Jean de Florette (1986) passe donc derrière la caméra pour nous faire partager sa passion du sud. « J’ai d’abord fait un très long travail de préparation. Pendant de longs mois, j’ai cherché les décors, j’ai arpenté la Provence de mon enfance… Les Alpilles, Saint Rémy, Eygalières, où j’allais me promener avec mes parents. Très vite, j’ai demandé à Jean-François Robin d’être mon directeur de la photo. On se connaît depuis longtemps, depuis Quelques jours avec moi de Claude Sautet. Je savais qu’il serait un complice idéal. » (Daniel Auteuil, réalisateur et acteur, in Dossier de presse). Le casting est de taille : Daniel Auteuil lui-même (à l'accent parfois trop forcé), Kad Merad, Sabine Azéma et l'excellent Jean-Pierre Daroussin tirent leur épingle du jeu avec brio. Il n'en est malheureusement pas de même d'Astrid Berges-Frisbey. Mis à part quelques tirades terriblement mal déclamées, ses airs de petit chat malade tranchent singulièrement avec Josette Day, qui incarne dans l'oeuvre originale une fille fière qui se fait séduire entre deux rebuffades. Alors que Patricia est initialement cette fille forte qui tient la maison de son père, remplaçant sa défunte mère, elle donne ici l'image d'une pauvre fille de la campagne, effacée. Jacques, le séducteur, qui est dans le film un soldat dynamique, déclame également ses dialogues comme un cancéreux, comme s'il fallait parler mollement pour avoir l'air amoureux.

Même si l'oeuvre est assez fidèle à son original (les dialogues sont les mêmes), ce décalage de personnages n'est pas la seule différence avec le film de Pagnol. Ainsi Daniel Auteuil a-t-il choisi de supprimer la scène, assez poignante, où le pauvre Félipe s'enivre en attendant Patricia sous la moquerie des badauds, pendant que celle-ci se fait conter fleurette par le bel aviateur aux intentions moins nobles. En revanche il rajoute quelques scènes comme celle de la voltige aérienne, que Pagnol n'avait pu filmer, où la scène pendant laquelle Patricia annonce la nouvelle à son père.

De même la musique est beaucoup plus présente dans ce film que dans son grand frère, où elle était plus discrète. « La musique, pour moi, ce n’est pas un bruit de fond, c’est vraiment un acteur à part entière, » explique Daniel Auteuil. Non pas qu'elle soit trop entreprenante pour autant, mais la différence est cependant notable.

Sur le fond les grandes questions traitées par l'oeuvre sont assez conformes à l'original.

Le premier thème est celui de la romance et de ses conséquences. Comme pour mettre en garde les jeunes filles, il s'agit toujours de l'histoire de cette jeune fille de campagne qui rêve d'être riche et d'avoir de belle robes, et qui finit par céder aux charmes d'un bel officier porteur de ce rêve. Riche, prestigieux, le bellâtre n'est pas à sa première conquête et se brûle au feu qu'il réveille, puisqu'il se retrouve papa. Le voilà obligé d'assumer une responsabilité qui tranche avec son inconséquence, et l'oeuvre montre à quel point la jeune fille est la victime de ce jeu de séduction. Ce message survit-il à notre époque, où la pilule permet d'échapper à ce type de responsabilité, déconnectant l'étreinte de son prolongement naturel ? Sans doute dans les milieux qui fondent l'éducation sur la responsabilité, mais ils sont bien rares et on peut se demander comment les jeunes d'aujourd'hui percevraient l'oeuvre. Auraient-ils le courage, contre vents et marées, de garder l'enfant ? Quoiqu'il en soit, pour Daniel Auteuil, « ce qui, chez Pagnol, est universel, c'est ce qui fait que 70 ans après on est encore amusés et émus. Quelques soient les époques, les sentiments sont toujours les mêmes, les amoureux sont toujours les mêmes, les parents sont toujours les mêmes, les riches et les pauvres aussi. J’ai beaucoup travaillé à partir du texte pour lui donner un rythme d’aujourd’hui ou plus exactement mon rythme à moi… »

Le deuxième thème porte sur la réaction de la famille et, plus précisément, du père de Patricia. « Ce qui me touche le plus, explique Daniel Auteuil, c’est le rapport quasi maternel qu’il entretient avec ses filles. C’est à la fois un père et une mère. » Celui-ci se sent outragé. Il tente de se mettre en contact avec la famille du jeune homme qui ne lui oppose que mépris puis, pressé par le qu'en-dira-t-on, décide d'exiler sa fille. Le spectateur assiste à un être déchiré entre l'amour qu'il porte à sa fille et la bienséance. Il essaie de résoudre le problème par un mariage, puis exile à regrets sa fille, dont il finit par gommer le souvenir. Mais entre deux sautes d'humeur il écoute les nouvelles de Patricia l'air de ne rien en vouloir savoir, puis finit par aller la trouver. Il continue de feindre l'indifférence pour l'enfant auquel il s'attache malgré lui, puisqu'il est le premier né, celui qu'on appellera Amoretti, nom de son père et de ses ancêtres. Réaction qui semblera probablement périmée aujourd'hui, car elle met en scène deux visions des choses traduites dans ce dialogue éternel entre Félipe, qui veut épouser Patricia même après son acte, et Pascal, le père bafoué qui lui dit « tu n'as pas beaucoup d'honneur,

- Je n'ai peut-être pas beaucoup d'honneur, mais j'ai beaucoup d'amour. Peut-être que ça remplace... »

Un choc entre le monde d'hier et celui d'aujourd'hui, dissension intemporelle qu'interrogeait déjà Corneille et Racine, débat entre l'honneur et la passion, qu'on dénomme souvent à tort « amour. »

Raphaël Jodeau