La Guerre des boutons

Film : La Guerre des boutons (2011)

Réalisateur : Yann Samuell

Acteurs : Eric Elmosnino (Maître Merlin), Mathilde Seigner (La mère de Lebrac), Fred Testot (Le curé), Alain Chabat (Monsieur Labru), Vincent Bres (Lebrac), Salomé Lemire (Lanterne), Théo Bertrand (l’Aztec),...

Durée : 01:49:00


Souvenir nostalgique d'une vieille France souvent ridiculisée, les jeunes combattants de « La guerre des boutons » interrogent avec l’enthousiasme et la fraîcheur de leur âge la liberté comme un privilège à prendre au sérieux.

Le décor spacieux, simple et lumineux est admirablement approprié à ce long-métrage tourné au cœur de la campagne française ensoleillée. On en profite volontiers pour célébrer la beauté de cette dernière, nichée dans ses églises et ses forêts. Le réalisateur Yann Samuell fait revivre le livre de Louis Pergaud, déjà porté plusieurs fois à l’écran. L’adaptation d’Yves Robert dans les années 60 a notamment connu un réel succès. Voici l’
histoire d’une longue inimitié entre deux villages entre Poitou-Charentes et Limousin. Deux petites communes de paysans qui se font concurrence dans un excès de fierté bien français et dont les gosses prennent l’affaire bien au sérieux ! La vie de ces garçons est simple : ils ont peu de moyens, à la maison ils sont priés de donner le meilleur d’eux-mêmes, tout comme à l’école où l'on suit les cours avec plus ou moins d’entrain. Mais que la cloche sonne et les petits écoliers déguerpissent dans les bois, théâtre de leurs jeux passionnants ! « Leur espace d’expression est dehors, loin des adultes. On franchit le seuil de l’école et un monde de liberté s’ouvre à nous où ce ne sont plus les règles des adultes qui régissent nos vies, mais l’imagination. J’avais donc besoin d&
rsquo;une nature qui soit grande et universelle »
(Yann Samuell in Dossier de Presse). On y apprend la vie au contact de la nature, au sein de son clan, dans les combats.


« Je me suis très vite rendu compte que je ne trouverais jamais mes personnages dans les cours de théâtre. J’avais besoin d’enfants capables de grimper aux arbres, d’apprendre le langage de l’époque, d’assumer les cascades des batailles, de mener les vaches aux champs ou d’attraper et imiter les cris des oiseaux. Je suis donc allé chercher à travers toute la France des enfants qui venaient réellement de la campagne... Des enfants remarquables auxquels j’adapterais les personnages. Il s’
agissait vraiment de ne pas dénaturer l’étincelle de l’enfance chez ces jeunes interprètes » (
Yann Samuell in Dossier de Presse). Par conséquent l’action incessante et palpitante du clan de Longeverne ne peut que nous séduire. Les acteurs et leur jeune âge nous font saisir de manière remarquable l’importance que revêtent pour eux les enjeux auxquels sont confrontés leurs personnages. La guerre des boutons, voilà un titre bien représentatif de la gravité du jeu qui se déroule sous les yeux du spectateur: il ne s’agit pourtant que de boutons ! Nous avons déjà oublié la valeur que possédaient même ces petits objets pour nos parents. Il y a de quoi se battre ! Et c’est bien dans une guerre que nous entraînent Lebrac et sa petite armée (sic). Le réalisateur témoigne de ses jeunes ann&
eacute;es : « Avec le plus grand sérieux, on échafaudait des plans pour combattre nos ennemis de l’autre bout du village. Même si nos batailles avaient le goût épicé du jeu, chaque assaut était sincère. On se battait ! » (D.P.).


Mais si le thème du combat est au centre de cette œuvre, pour Yann Samuell celle-ci ne se base pas sur la violence : « C’est qu’au fond la guerre des boutons est quelque chose de très sérieux du point de vue des enfants, un véritable enjeu, mais pas du tout un exercice de violence. Bien sûr chacun garde son territoire, bien sûr on y trouve des conflits, mais la violence relative n’a rien à voir avec ce
qui peut se produire aujourd’hui, déjà parce que celle de cette époque ancienne était sans impact sur le monde des adultes » (D.P.).
Il s’agit moins d’assouvir sa colère que de conquérir et de vibrer pour un idéal. Dans l’absolu, on se bat pour défendre Longeverne contre le clan du village adverse. Les enfants se fixent eux-mêmes des exigences et prennent la lourde responsabilité de protéger ce qui leur est cher. N’est-ce pas la preuve que l’être humain est naturellement attiré par ce qui est grand et le dépasse ? Dans un climat de jeu, transparaît le sérieux de la vie.


Le but que se sont fixé ces enfants et leur combat les obligent en effet à se
confronter aux dures réalités de la vie. On dérape dans la boue, on a les genoux toujours écorchés, on risque d’être fait prisonnier si on manque de prudence et de passer un mauvais moment à la maison lorsque les ennemis ont eu la cruauté d’arracher les boutons de notre chemise. Alors, il n’y a qu’une seule solution : se serrer les coudes et rester solidaire en toutes circonstances. « Ce sentiment de solidarité, de république des enfants, a réellement existé sur le plateau et transparaît dans le film » (D.P.), voilà certainement l’un des secret de la réussite de ce film ! En effet, on ne laisse Tigibus, le petit dernier de la bande, tout seul, et s’il arrive qu’il soit oublié, celui-ci ne se gêne pas pour rappeler à l’équipe son devoir. On apprend ensemble le plus-que-parfait et ceux
qui ont retenu le nom de l’assassin d’Henri IV le rappellent aux autres, tandis que tout le monde s’évertue à recoudre ses boutons et ses chemises déchirées après une bataille. Le désir d’absolu de ces enfants leur fait construire une amitié, une fraternité d’une solidité inébranlable qui force l’admiration : même le traître qui s’est laissé séduire par l’équipe adverse dans un moment de désarroi est réintégré sitôt qu’il a reconnu sa faute ! Le jeu est une méthode d’éducation extraordinaire car il permet l’apprentissage de la vie en laissant à l’enfant la liberté de modeler son univers à ses dimensions. Quel outil de travail est plus adapté que celui qu’on se confectionne soi-même ?


Forts de l’expérience acquise au sein de leur monde, les enfants affrontent les difficultés quotidiennes. L’exigence des adultes semble parfois cruelle et injuste aux garçons et l'on rêve d’un monde sans raclées et gronderies. Certes les maladresses des parents, principalement représentés par la mère de Lebrac (Mathilde Seigner), sont notées avec intransigeance par les enfants. De même ceux-ci ont du mal à saisir la profondeur de leurs rejetons. Malgré une communication parfois difficile, un désir commun anime de voir les jeunes héros donner le meilleur d’eux-mêmes.


On aurait pu imaginer un jeune curé parvenant à apprivoiser ses petits paroissiens mais, au début de la Ve République, les figures de l’instituteur, fonctionnaire d’un État laïc et celle du prêtre se font concurrence s’ils ne choisissent pas de coopérer. Dans l’œuvre, on a préféré ridiculiser le prêtre un peu naïf et borné, plein de bonne volonté et bouillonnant de projets qui échouent lorsqu’il désire les mettre en œuvre avec l’instituteur. Dommage, il aurait certainement été enrichissant de tirer parti de ce rôle, le film aurait encore gagné en profondeur.


La grande personne la plus proche de tous ces garçons
reste donc l’instituteur de Longeverne, Maître Merlin, incarné de façon remarquable par Eric Elmosino. Dans sa classe il offre à ses élèves une structure qui reconnaît, canalise et oriente le potentiel de ces gamins pleins d’énergie à l’aube de leur vie. Certes, on n’assiste pas toujours aux cours avec entrain mais la ponctualité est de rigueur et montre bien le respect des enfants vis-à-vis de leur maître. Il n’hésite pas à punir, à réprimander parce qu’il admire les multiples qualités de ses garçons et veut les voir éclore. On notera en passant que la rigueur des méthodes d’éducation de l’époque est pour une fois mise à l’honneur ! De plus le professeur a gardé sa fraîcheur d’enfant et sait se souvenir de ses jeunes années. Personne ne comprend ces garçons
mieux que lui. « Je redevenais selon les moments soit l’instit consciencieux qui se bat pour l’élève auquel il croit, soit le gamin bagarreur », déclare Eric Elmosino (D.P.).


Maître Merlin va concentrer ses efforts sur le meneur du clan : Lebrac. Le personnage de cet adolescent typique, dans la position inconfortable entre le monde de l’enfance et celui de l’adulte est interprété de façon très authentique par le jeune Vincent Bres : volontaire, il entraîne ses camarades par son charisme, ses initiatives, ses réflexions et ses rêves qu’il partage généreusement. Il détient une autorité et en assume les responsabilités. Il l’
exerce de manière toute fraternelle, comme un aîné. Pourtant la vie de ce jeune garçon est loin d’être facile. Ses difficultés feront certainement ressurgir des souvenirs devant les yeux des enfants de cette époque. Mais dans cette œuvre, cette époque est présentée de manière honnête et réaliste : à la ferme, Lebrac doit accomplir le travail de son père disparu, sous la direction d’une mère essayant désespérément de ne pas sombrer dans la misère. De plus, Maître Merlin exige qu’il étudie avec application à l’école. Mais il ne s’en tient pas là, sous ses airs de voyou épris de liberté, cet enfant prend la vie très au sérieux et se sent responsable de son clan et même du village. A quatorze ans, il se trouve acculé à choisir de continuer sa vie de petit
campagnard ou de faire des études, de quitter son cher Longeverne, ses jeux et ses amis pour grandir et exploiter son potentiel intellectuel incontestable.


Lebrac est acculé à une décision, qui le fait réfléchir tout au long du film sur le sens du mot « liberté. » Dans une confusion entre liberté et indépendance l’adolescent rêve avec l’orgueil de son âge à une vie, une option meilleure mais qui ne lui est pas proposée car elle est utopiste : ce fougueux chef de clan désirerait n’être tributaire de personne ! Mais le jeune garçon évolue au cours des scènes. Tout d’abord, la vie au sein de son clan, auquel il prêche la solidarit&
eacute;, lui démontre que tout homme est dépendant de la société ; celle-ci est constituée de personnes dont les talents et les faiblesses sont faites pour se compléter. En outre, cette dépendance par rapport à autrui n' empêche nullement d’être libre! Les conversations avec son professeur permettent à Lebrac de comprendre ce qu’est la liberté en tant que libre-arbitre. Il s’agit de ce pouvoir que possède la volonté de se déterminer elle-même à agir ou à ne pas agir sans y être contrainte par aucune force ni extérieure, ni intérieure. Il s’agit bien là de la force et de la dignité que l’homme est capable de conserver en toute circonstance, même lorsqu’il est réduit à la servitude la plus totale. « A partir du moment où tu as le choix, tu es libre », lui explique
Merlin qui fait aussi comprendre à son élève qu’il a toujours le choix d’orienter sa volonté vers le bien.

Mais en parallèle de cet hommage rendu à notre vieille France, Yann Samuell a souhaité intégrer à cette histoire la thématique plus actuelle de la place de la femme et introduit quelques concepts plus révolutionnaires dans son œuvre. « Il me fallait un personnage féminin fort : une fillette qui se bat contre les moulins à vent du sexisme » explique Yann Samuell (D.P.). En effet Lanterne (Salomé Lemire) emploie toute son énergie à se faire accepter dans le clan des garçons qu’elle admire pour leur énergie et leur courage. Elle-même n’est pas dénuée de ces qualités et elle possède en plus une finesse de
discernement qui impressionne les garçons et lui permet d’avoir une influence bénéfique sur ces têtes brûlées. Vivre des aventures palpitantes dans les bois et s’écorcher les genoux est indispensable à l’éducation de tout enfant. Malgré son courage et son énergie, Lanterne est bien consciente que la simple imitation de la brutalité des garçons dans leurs combats ne la mettrait guère en valeur, d’ailleurs cela ne lui serait pas naturel. Elle connaît ses qualités propres à sa féminité et se charge de les faire remarquer aux garçons, quand ceux-ci seraient tentés d’oublier qu’elle est une fille.


On est aussi loin d’une conception
rousseauiste de l’éducation que du rigorisme dans lequel on se plait à confiner les mentalités des anciens. Ce « film jubilatoire, » est « un souffle de liberté. Restituer à l’enfance le goût des plaisirs authentiques au contact d’un monde que seule leur volonté et leur candeur façonnent… » (Yann Samuell in D.P.).