La Ligne droite

Film : La Ligne droite (2010)

Réalisateur : Régis Wargnier

Acteurs : Rachida Brakni (Leïla), Cyril Descours (Yannick), Clémentine Célarié (Marie-Claude), Seydina Baldé (Franck), Thierry Godard (Jacques), Grégory Gadebois (Vincent) .

Durée : 01:38:00


Un film souvent prévisible mais bien réalisé et d'une grande profondeur, sur le thème du dépassement de soi, pas seulement sportif.

On pourrait dire qu'on a vu le thème traité un nombre incalculable de fois par le cinéma. On pourrait s'ennuyer que le thème de l'insertion réapparaisse de nouveau sur les écrans, et trouver que le dépassement de soi est un message d'un autre âge. On pourrait aussi s'indigner du scénario linéaire et des dialogues trop simples. Mais pour peu qu'on n'attende pas d'un film un scénario épileptique (malgré un flashback) ou au contraire phraseux, La ligne droite traite ses thèmes avec une justesse qui vient relever sérieusement le niveau du mélodrame français.

Leïla est cassée, abîmée par la vie. Le drame qui la conduisit en prison est trop grave pour invalider la sentence, mais pas assez pour faire de la jeune femme un monstre. N'étant pas le thème principal du film, il reste néanmoins plausible et justifie assez facilement les blessures du personnage. La sortie de prison est pénible : son fils ne la connaît pas, elle n'a pas de famille, pas d'amis, et doit construire sa vie à partir de rien. Ce qui la maintient en vie, c'est le sport.

Yannick a vécu un autre drame. Athlète victime d'un accident de voiture, il a perdu la vue et ne peut plus concourir que dans le cadre de l'handisport. Aigri, anxieux, pris dans le découragement, il ne supporte plus sa mère qui le couve. Mais alors qu'il annonce à son entraîneur qu'il arrête définitivement la compétition, il fait la connaissance de Leïla.
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A ce stade de la compétition, le sport n'est pas qu'une activité : il est un engagement. Il révèle la personne qui le pratique dans ses moindres secrets. Pour peu qu'une faiblesse apparaisse dans la vie de l'athlète, elle s'exprime sur le terrain à la vue de tous. Celui qui se décourage ralentit sa course, celui qui doute chancelle, celui qui se lamente s'arrête. C'est le vrai thème du film. «  Et puis, par rapport aux autres sports, dans l’athlétisme le plus grand adversaire de l’athlète, c’est lui-même. C’est une discipline où l’on est très souvent face à soi, face à sa détermination, à son désir. » (Régis Warnier, in Dossier de presse).

L'
handisport apporte ceci à l'athlétisme qu'il devient un sport d'équipe. L'aveugle Yannick ne peut plus être seul en piste, compter exclusivement sur ses propres forces. Qu'il le veuille ou non, il doit s'arrimer à son guide, qui court attaché à lui pour le conduire, et lui faire confiance, sous peine de perdre. Il peut gloser, s'énerver, se noyer en discours : rien à faire... Le terrain ne ment pas.

Yannick en est réduit à ça : surmonter les aigreurs de son handicap, ou abandonner.

Le guide doit quant à lui s'ouvrir à l'autre sans concession. Il doit anticiper les foulées, commander sans brusquer, comprendre sans se répandre... C'est le travail de Leïla. Si elle ne parvient pas à surmonter son renfermement, elle ne perdra pas seule. « 
La relation de Leïla et Yannick passe donc par ce lien qui les unit lorsqu’ils courent ensemble mais j’ai imaginé qu’ils allaient d’abord travailler sans fil, juste au contact, au toucher. La main, le coude, les épaules, les hanches… Ils sont amenés à se connaître à travers des frôlements, juste de manière sensorielle. Puis ils vont travailler leurs foulées ensemble, obligés d’être dans la même énergie, dans la même puissance, de respirer ensemble. »
(Régis Warnier, in Dossier de presse).

Ce film est donc l'histoire de deux combats gagnés par le sport. Il y parvient sans prétention, ce qui est rare dans le cinéma français, et même le thème de l'amour impossible, quoique secondaire, est mené avec assurance. Une belle leçon de courage bien menée, sublimée par une musique bien dosée au
coeur d'un scénario très discret.


Raphaël Jodeau