La Môme

Film : La Môme (2006)

Réalisateur : Olivier Dahan

Acteurs : Marion Cotillard (Edith Piaf), Jean-Pierre Martins (Marcel Cerdan), Gérard Depardieu (Louis Leplée), Clotilde Courau (Annetta Gassion), Jean-Paul Rouve (Louis Gassion), Sylvie Testud (Momone...

Durée : 02:12:00


Olivier Dahan s’est lancé dans un projet aussi séduisant que périlleux : un film sur Edith Piaf. Ce séisme de la chanson française qui a fait vibrer le monde entier, qui chantait avec ses tripes, n’a pas fini de faire trembler les cœurs.


Malgré la diversité des points de vues et des approches, Olivier Dahan a pris le parti de rendre hommage à la chanteuse non pas dans l’exactitude des faits mais en pénétrant son intimité, en essayant de comprendre ses rapports avec son entourage le plus proche, en déshabillant son âme.

Ce film était aussi un prétexte pour Olivier Dahan de parler de ce « qui le touche » car il voit en Edith Piaf « 
le parfait modèle de quelqu’un qui ne pose aucune frontière entre son art et sa vie ».

La manière non linéaire dont est conduit le récit est significative de l’état d’esprit du film. Il ne s’agit pas de raconter l’
histoire d’Edith Piaf avec un commencement et une fin, mais de prendre des moments forts de son existence et d’en faire ressortir l’émotion, parfois le rire. Ainsi un adroit montage parallèle représente successivement l’enfance, la jeunesse, la célébrité et la maladie, car il ne s’agissait pas de vieillesse : « Malgré l’immensité de sa célébrité, c’était pour moi un sujet intime puisque je n’ai mis dans ce film que ce que j’avais envie de dire. Je ne me suis jamais senti écrasé par son statut. Je voulais faire un portrait. Raconter sa vie ne m’intéressait pas en soi. »

Et le portrait, c’est Marion Cotillard qui en porte le masque avec un talent qu’on avait déjà pressenti dans ses précédents rôles mais qui s’impose avec éclat sous les traits d’une Edith saisissante de vérité. Le bon acteur est parfois celui qui sait s’oublier, renaître avec une âme neuve et vivre sa nouvelle identité. Marion
Cotillard a précisément réussi cette performance notamment dans les scènes, sans doute plus difficiles, de la maladie et de l’agonie. Les prestations de Pascal Greggory, Clotilde Courau, Gérard Depardieu, Jean–Paul Rouve et Sylvie Testud composent un joli bouquet qui met bien en valeur la fleur principale.

La photographie du film (Tetsuo Nagata) résulte d’un travail fin offrant une image aux couleurs tantôt chaudes pour le milieu « showbiz » tantôt réalistes pour la rue et la pauvreté. L’ambiance est bien soutenue par un éclairage tout en clair-obscur qui s’accorde bien avec la triste allégresse de Piaf : les séquences où Edith Piaf se produit sur scène vers la fin de sa vie en sont un bon exemple. La musique est quant à elle très présente et les partitions les plus connues du répertoire de la Môme remontent sur scène pour le plaisir des fans.

En dépit d’un souci de réalisme psychologique, le lyrisme du panégyrique que nous livre Olivier Dahan pourra sembler trop imposant à ceux qui aiment la simplicité, qui préfèrent la sobriété de Verlaine à l’emphase de Victor Hugo. Cependant, La Môme allie assez judicieusement réalisme et lyrisme, phénomène que l’on peut retrouver dans le jeu de Marion Cotillard très vraisemblable et grandiloquent par moment. C’est un aspect qu’Alain Goldman a découvert en écrivant le scénario : « En suivant le processus d’écriture du scénario, je me suis aperçu à quel point la vie de Piaf était romanesque. Son destin est presque plus fort que ses chansons »*.


« La mort, ça n’existe pas » nous disait Piaf avec la franchise désinvolte qu’on lui connaît. Edith Piaf, nonobstant son enfance difficile, sa jeunesse mouvementée, avait une vision optimiste de la vie assez surprenante. Mais elle avait aussi son caractère et Olivier Dahan n’a pas cherché à polir son image de star. Il nous dresse le portrait d’une Edith grincheuse, survoltée, têtue même dans la maladie, vulgaire mais aussi sensible, aimante, fragile, pieuse à sa manière, et courageuse.

L’objectif des cinéastes était en quelque sorte de sonder l’âme de l’artiste, la disséquer et de porter à l’écran « ses peurs, ses angoisses, ses envies »*. Certaines scènes sont plus riches que d’autres en émotion mais le
beau plan-séquence lorsqu’Edith apprend la mort de Marcel Cerdan, son amant, est d’une grande puissance : on voit en quelques minutes une Piaf heureuse, excitée, énervée, acariâtre, amoureuse, puis abattue. Une scène clé qui embrasse en peu de temps le tempérament de l’artiste.

Olivier Dahan n’est pas non plus passé à côté de l’étonnante dévotion que Piaf vouait à sainte Thérèse de Lisieux. En effet, Edith perdit la vue dans sa petite enfance et sa grand-mère (et non pas Titine, la prostituée) l’emmena un jour en pèlerinage à Lisieux où elle fit la prière à sainte Thérèse de recouvrer la vue. À la grande surprise de tous, elle récupéra la vue peu de temps après. Ce n’était pas superflu de l'insérer dans l'œuvre, surtout s’il fallait pénétrer l’intimité de Piaf, puisqu’elle gardera jusqu’à sa mort une dévotion à la sainte, malgré une vie tourmentée dans un milieu artistique plus ou
moins débauché.

Le réalisateur s’est d’ailleurs permis une échappée mystique (et un petit effet spécial) lorsqu’un soir la petite Edith a une vision de sainte Thérèse qui vient l’encourager.

Enfin, la mort d’Edith Piaf est filmée avec beaucoup de tendresse et la délicate évocation in fine de Marcelle, l’unique enfant d’Edith, se dépose à l’écran comme un témoignage de l’importance de l’amour dans sa vie.

Jean LOSFELD