La Nouvelle guerre des boutons

Film : La Nouvelle guerre des boutons (2011)

Réalisateur : Christophe Barratier

Acteurs : Laetitia Casta (Simone, la mercière), Guillaume Canet (L’Instituteur), Kad Merad (Père Lebrac), Gérard Jugnot (Père L’Aztec), Jean Texier (Lebrac), Clément Godefroy (Petit Gibus), Théophile Baquet (...

Durée : 01:40:00


La guerre des boutons et ses protagonistes sont-ils vraiment au centre d'une œuvre qui s'attache beaucoup à décrire le contexte historique de l'Occupation et traite de façon trop superficielle les nombreux thèmes, tels que l'amour, la guerre, la traîtrise, qu'elle aborde?

La nouvelle guerre des boutons semble promise à la réussite ! En effet, personne ne serait étonné si le réalisateur et scénariste Christophe Barratier savait une nouvelle fois conquérir son public. N’avait-il pas rencontré un succès incroyable en réalisant Les Choristes en 2004, une adaptation de 1944 du film La Cage aux rossignols de Jean Dréville ? Cette œuvre avait soulevé une vague d’enthousiasme et fait
8,5 millions de spectateurs en dix semaines. Mais il n’est pas facile de satisfaire et de contenter un public qui prend vite goût à la qualité des chefs-d’œuvre. Adapter le livre de Louis Pergaud à la suite du succès d’Yves Robert en 1961, dont le public français se délecte encore aujourd’hui, sortir une nouvelle interprétation de La guerre des boutons devenue mythique une semaine après un chef-d’œuvre du réalisateur Yann Samuell, sont autant de défis que Christophe Barratier a eu l’audace de relever ! Face à ces difficultés, le réalisateur et scénariste a pris les moyens de ses ambitions en travaillant avec un casting de choc ! Les stars des Choristes, telles Gérard Jugnot (Père l’Aztec), Marie Bunel (Mère Lebrac), Grégory Gatignol (Gendarme), ont déjà fait leurs preuves et sont au
rendez-vous. De même on retrouve de grandes stars françaises telles que Laetitia Casta (Mercière), Guillaume Canet (Instituteur), ou encore Kad Merad (Père Lebrac). Cependant il ne suffit pas de choisir des acteurs compétents, encore faut-il qu’ils soient adaptés aux rôles proposés. Cela n’est pas certain. Pour des acteurs d’une telle envergure le jeu de certains acteurs manque parfois de conviction. Bien des scènes semblent davantage apprises par cœur que vécues par les acteurs de toute leur âme : les coups de colère de Kad Merad et les répliques de Laetitia Casta font pâle figure face à l’énergie et à la spontanéité de Jean Texier ou aux sourires irrésistibles et aux regards mélancoliques de Guillaume Canet. La performance des enfants n’est pas non plus toujours très convaincante, en particulier celle du petit Cl&
eacute;ment Godefroy (Petit Gibus), sur lequel on mise beaucoup dans l’équipe. Chargé de réincarner le délicieux, l’adorable Petit Gibus, son rôle est de taille, il intervient dès que l’intrigue le permet alors que le jeune acteur semble avoir énormément de mal à se mettre dans la peau d’un gamin de la campagne et à se laisser prendre au jeu de la guerre des boutons. Si on trouve des scènes savoureuses parce que drôles ou attendrissantes ou palpitantes, ces bons moments sont dus au talent des caméramen et du directeur de photographie ou encore à la musique composée par Philippe Rombi, mais malheureusement pas à la profondeur du scénario et des personnages.

L’intrigue du scénario de Christophe Barratier, Stéphane Keller et Thomas Langmann est construite sur deux
niveaux. Les personnages subissent l’Occupation. Nous sommes en 1944 près de Clermont. Les tragédies se succèdent, révélant la bassesse humaine face l’arrestation des Juifs se cachant dans les campagnes pour échapper à la déportation. Mais il ne faut pas se fier aux apparences, ces pages de l’histoire permettent à beaucoup de se révéler. Les amoureux découvrent la noblesse qui manquait à l’être aimé pour accepter de s’unir à lui, le fils apprend enfin à admirer et à aimer son père dont il ignorait l’engagement dans la Résistance, les habitants de Velrans et Longeverne s’unissent tout à coup pour défendre une petite Juive. Miracle dans le Massif Central ! Assisterait-on à une conversion de masse ? Pourquoi a-t-on du mal à y croire ? Est-ce à cause d’un idéalisme un peu
sentimental et superficiel ? En effet, nous savons tous que nos grands-pères engagés dans la Résistance n’étaient pas tous des communistes et les pères de famille ne limitaient pas tous leurs relations avec leurs fils à des disputes et des coups de ceinturons. Christophe Barratier justifie ainsi le choix de ce contexte historique si peu contextuel qu'il en vient à supplanter le sujet d'origine : « Faire jouer la Guerre des boutons dans la grande guerre des humains. Ainsi, le conflit tragique des adultes vient en résonance avec celui, plus drolatique, des enfants» (Dossier de Presse).


« Drolatique » cette guerre ? Considérons ce thème d’un peu plus près : Les enfants de Velrans et ceux de
Longeverne se battent à coup d’épée de bois et de bâton au milieu de champs de bataille immenses aux horizons dignes de la victoire d’Austerlitz. En effet l’équipe technique a voulu orner les scènes de bataille d’un « souffle épique » (D.P.) qui plaira certainement. Le style épique permet de mettre en valeur une dimension psychologique, la grandeur humaine et un enseignement moral, c’est ainsi que le voyaient Homère ou l’auteur inconnu de La Chanson de Roland. Mais l’exagération épique n’a aucun sens s’il ne s’agit que de faire frissonner et de se divertir seulement dans l’émotion. « À chaque nouveau projet, je me rends compte que j’ai envie de faire un film qui m’aurait plu lorsque j’étais gamin. Et l’enfant que j’étais aimait le
spectaculaire, la musique, les grands sentiments et les films conflictuels » (D.P.).
Riche idée que d’adapter une œuvre tout public au goût des jeunes spectateurs, mais depuis quand ceux-ci se contentent-ils d’émotions ? Le désir d’absolu de l’enfant lui fera prendre ses jeux extrêmement au sérieux, voilà un postulat accepté par une écrasante majorité de pédagogues et de spécialistes de l’enfance. Alors pourquoi ne pas prendre les spectateurs petits et grands au sérieux ?

Pour quoi se battent ces garçons ? Pour leur territoire et pour dépenser une énergie juvénile. Voilà des raisons bien naturelles, mais l’orgueil de vaincre est un excès de fierté et devient alors une passion. Se
battre par vengeance ou pour amasser des trésors de guerre n’a rien d’édifiant et cela ne semble pas gêner grand monde. On vole, on attaque par derrière, à la déloyale comme si, sous prétexte de liberté, ces enfants ne devaient pas faire preuve en toute circonstance d’une courtoisie qui n’empêche certainement pas de se malmener un peu ! Bien sûr, ces débordements n’ont guère de conséquences, c’est une simple de question de principe. Mais lorsqu’on n’apprend pas à se soumettre à des valeurs, on dérape vite dans la cruauté, dans la torture même. Ainsi on prend un plaisir malsain à terroriser et humilier le malheureux prisonnier en lui arrachant ses boutons. C’est la guerre psychologique, la guerre des boutons (sic)… mais brusquement, celle-ci n’a plus grand-chose du bon souvenir d’enfance.

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Les personnages adultes se moquent bien de ce que vivent les enfants et les regardent tout au plus avec un sourire attendri. Il faut qu’un garçon se fasse rouer de coups de ceinturons pour que les parents mettent une raclée aux coupables et que l’instituteur, très bien interprété mais limité par son rôle, s’écrie indigné : « Ne vous ai-je pas appris à vous respecter ? » Il est un peu tard pour se faire du souci ! Il ne s’agit pas de condamner ces bagarres car le combat trouve une place importante dans le jeu qui consiste en des affrontements, des compétitions ; il s’agit toujours de gagnant et de perdant dans cet exercice d’habileté et cet apprentissage de la vie. Le jeu permet de perfectionner sa technique et c’est bien ce que font les deux chefs de de bande Lebrac (Jean Texier) et l’
Aztec (Thomas Goldberg) en expérimentant diverses stratégies. L’invention d’une histoire, le fait de s’extraire du réel, permet d’éviter certaines conséquences d’une action mais certainement pas toutes ! L’enfant apprend ainsi paradoxalement à mesurer le sérieux et la difficulté de la vie. Dans le film de Yann Samuell, sorti une semaine plus tôt, les héros se battent parce qu’ils se sentent responsables de leur village, non pas pour un butin mais parce que les boutons coûtent cher et qu’il est donc hors de question de finir prisonnier. On attache ainsi une juste valeur aux choses. Il ne s’agit pas de cruauté mais on joue le jeu de la vie : le prisonnier doit payer sa rançon, question de justice ! Les enfants ne se font pas de cadeau mais on se bat, sans exclure personne, dans un élan de fraternité et de solidarité entraînants.
Pourquoi les héros de Christophe Barratier ne pourraient-ils pas, eux aussi, se battre pour défendre leur honneur, cette dignité morale qui permet de mériter l’estime des autres et de soi selon les valeurs de la société ? « Ils m’ont fait mal à mon honneur », s’indigne Grand Gibus quand un jet de lance-pierre l’atteint au front. Ses ennemis l’ont blessé à la tête et dans son amour-propre mais ils n’ont certainement pas porté atteinte à l’honneur de ce petit sauvage à qui personne n’a pris la peine de montrer ce qu’il valait !

« Un traître, ça se juge, il a le droit de se défendre » explique avec colère l’Instituteur. Mais, ne nous laissons pas aller à la nostalgie d’une vieille France qui aimait la
rigueur et vivait ses valeurs. On a vite cantonné le rôle de Guillaume Canet aux clichés imposés par l’opinion. C’est pourquoi les méthodes rendues désuètes par le film d’un prof des années 40 sont évidemment impuissantes à faire évoluer les élèves, même si ce dernier est résistant et propose des valeurs à ses garçons. Quoi d’étonnant alors à retrouver le stéréotype véhiculé sur les villages d’autrefois, entièrement peuplés de paysans mal dégrossis, où la traîtrise, la faiblesse ou la cruauté des enfants sont une fatalité cohérente avec le genre de vie de la population.

Lebrac est le chef et l’exemple type de cette bande de garnements. Ce n’est pas un intellectuel mais une intelligence pratique, il a une fa&
ccedil;on souvent très simple de considérer les choses. Ceci lui permet de s’inspirer des théories qu’il apprend pour améliorer ses techniques de combats par exemple. Sa générosité le pousse à se dévouer à ses amis quitte à manquer de prudence en se lançant à leur secours sans réflexion préalable pour subir le même sort qu’eux. Voilà une description un peu succincte pour un héros dont la personnalité n’a pas été très étudiée. On pourrait ajouter qu’il s’agit d’un adolescent brimé chez lui, mais ceci est évident, les parents de l’époque se cantonnaient à jouer le rôle de justicier et ne comprenaient pas leurs enfants ni leurs souffrances dans leurs premières aventures de cœur.

En effet, le brave
Lebrac a un vrai cœur d’artichaut ! Il se met à grimper le long des gouttières pour rendre visite à l’élue de son cœur dans sa chambre, comme Errol Flynn dans Robin des Bois (sic). Il faut dire que la petite Violette alias Myriam est incarnée par une jeune fille d’une fraîcheur et d’une pureté qu’on aimerait trouver plus souvent chez les actrices ! La relation qui se construit entre les deux adolescents constituent bien vite la base d’une amitié solide où l’intellectuelle tente de faire progresser le guerrier ardent mais pas très évolué, tandis que Lebrac est prêt à beaucoup pour sauver la vie de cette demoiselle qui l’a conquis par sa délicatesse, son intelligence et sa générosité. La pureté de cette attirance bien interprétée que deux amis d’enfance éprouvent l’un
pour l’autre peut se transformer en amour mais pourquoi gâcher la beauté de cette relation par le sentimentalisme de phrases totalement anachroniques telles que : « On est de nouveau ensemble ? »

Une musique splendide, des paysages qui font rêver autant qu’un casting prometteur n’ont pas suffit à insuffler une âme à ce film dont le scénario manque terriblement de profondeur et tombe vite dans le cliché et le sentimentalisme.