La Piel que Habito

Film : La Piel que Habito (2011)

Réalisateur : Pedro Almodóvar

Acteurs : Antonio Banderas (Robert Ledgard), Elena Anaya (Vera), Marisa Paredes (Marilia), Jan Cornet (Vicente)

Durée : 01:57:00


Un film au scénario solide, torturé par les rapports entre l'identité et la chirurgie plastique, qui montre les folies d'un médecin bien peu soucieux d'éthique médicale.

« Il y a des processus irréversibles, des chemins sans retour, des allers simples. La piel que habito raconte l’histoire de l’un de ces processus. L’héroïne emprunte involontairement l’un de ces chemins, elle est obligée d’une manière brutale d’entreprendre un voyage duquel elle ne pourra revenir. Son histoire kafkaïenne est une condamnation édictée par un jury composé d’une seule personne : son pire ennemi. Le verdict, par conséquent, n’est autre qu’une forme de
vengeance extrême.
La piel que habito raconte l’histoire de cette vengeance. »

Dans le dossier de presse, Pedro Almodóvar donne le ton. Ça sent la brutalité, l'irrémédiable, le définitif... Une femme enfermée, une geôlière glaciale, un chirurgien froid comme la mort, un passé ténébreux...

Le cinéaste, comme à son habitude, s'amuse à dérouter. Pour ce faire, il sort le grand jeu et brouille les cartes de l'entendement. Oui, la femme est un homme, torturé. Captif, il ne peut faire autrement que de guetter patiemment le moment propice pour se libérer. L'attente est longue et douloureuse. Chaque jour qui passe lui arrache sa virilité, lui impose une nouvelle marque de féminité, scarifie son identité. Le changement est-il intégral ? Dans sa prison dorée, un professeur de yoga lui dicte sa conduite : « il faut
cependant veiller à ne pas confondre la forme avec le fond. »

Autre visage, autre peau, autre voix, autre sexe, autre corps... Au fond, est-il toujours le même ? « La peau est la frontière qui nous sépare des autres, avance le réalisateur. Elle détermine la race à laquelle nous appartenons, elle reflète nos racines, qu’elles soient biologiques ou géographiques. Bien souvent, elle reflète nos états d’âme, mais la peau n’est pas l’âme. Bien que Vera ait changé de peau, elle n’a pas perdu son identité. (L’identité et son invulnérabilité sont aussi l’un des sujets du film.) » Essence, substance, accidents... Les notions tourbillonnent dans cette farandole de bizarreries pour aboutir sur la certitude du principe d'identité : ce qui est est, ce qui n'est pas, n'est pas. Aristote l'a dit, le changement se greffe sur l'être immuable. Vincente le prisonnier
est Vera la créature, Vera la femme est Vincente l'homme, jusqu'à la folie.

A l'origine était le paumé. Drogué, épris de rêve et de libération dans un petit village qu'il trouve étouffant, il ingurgite quelques produits et se retrouve entre les cuisses d'une fille qu'il violente, celle de son futur bourreau. Son sort est scellé, la vengeance est froide et sans appel. Enlevé, séquestré pendant que sa victime s'enferme dans un hôpital psychiatrique jusqu'à la mort, il subit.

La démence de son bourreau est totale. Jour après jour il se repaît de sa vengeance. Sur sa route, l'éthique médicale vole en éclats. Semaine après semaine il bascule un peu plus dans sa déraison, et finit par être persuadé par son mensonge. Elle ne partira pas, puisqu'il est son créateur. Elle peut vaquer puisqu'elle l'aime.

Pour Pedro Almodóvar l'attitude de Vincente, alias Vera, se déroule comme un tapis rouge : « Vera est une survivante-née et, après bien des vicissitudes, elle décide qu’elle « doit apprendre à vivre dans la peau qu’elle habite », même si c’est une peau imposée par le docteur Robert. Une fois qu’elle a accepté sa seconde peau, Vera prend la deuxième décision capitale pour sa survie : savoir attendre. » Le spectateur sent que l'issue sera fatale à quelqu'un. Sur les murs, les ombres hitchcockiennes se font menaçantes, la pellicule transpire le charnel au travers tous ces viols que le cinéaste expose complaisamment. Comme Vincente a violé, Vera se fera violer. Pourtant le réalisateur se défend d'avoir fait de l'horreur : « une seule chose était claire pour moi : la narration devait être austère et sobre, dépourvue de rhétorique visuelle et en aucun cas gore, même si dans les ellipses, on imagine que beaucoup de sang est versé. »

C'est exact. Le « gore » n'est pas visuel. Il est psychologique. Et Pedro Almodóvar s'y vautre avec une délectation à peine dissimulée, mais animée par une bande son magnifique.

Une détonation résonne dans la nuit. Une vieille se précipite à l'étage, une arme à la main. Elle entre dans la chambre, voit son fils étendu, hurle et reçoit une balle en plein cœur. Le point d'orgue est donné. Véra pleure et Vincente n'a pas fini de souffrir.

La créature goûte une victoire amère et le spectateur grimace, par la faute d'un chirurgien fou, par la faute d'un morne et sombre cinéaste...

La mort ne sent pas bon. Pourquoi payer pour ça ?