La Princesse de Montpensier

Film : La Princesse de Montpensier (2010)

Réalisateur : Bertrand Tavernier

Acteurs : Mélanie Thierry (Marie de Montpensier), Lambert Wilson (Comte de Chabannes), Grégoire Leprince-Ringuet (Prince de Montpensier), Gaspard Ulliel (Henri de Guise), Raphaël Personnaz (Duc d'Anjou)

Durée : 02:19:00


Une excellente adaptation de la nouvelle de Madame de Lafayette, malgré quelques libertés prises par Bertrand Tavernier et des images susceptibles de heurter la sensibilité des jeunes spectateurs.

Adaptation cinématographique de la nouvelle de Madame de Lafayette par un grand nom du cinéma français, La Princesse de Montpensier est une œuvre au contenu dense et très minutieusement conçu.

Au cœur des beaux décors et paysages, le jeu des acteurs, souligné par des costumes superbes (des tenues de la princesse au harnachement des chevaux), est remarquable. Homme de théâtre avant tout, Lambert Wilson incarne son rôle avec rigueur et dignité, et rend la réplique à une Mélanie Thierry visiblement très douée. Les autres soupirants sont également brillamment interprétés.

Sur le fond l'histoire est celle de la nouvelle. Le cœur écartelé par les soupirants, la princesse est victime de sa beauté et doit choisir entre sa passion (son affection pour le duc de Guise) et son devoir (elle est une femme mariée). Alors qu'elle est continuellement la cible des assauts masculins (son mari, les ducs de Guise et d'Anjou, le comte de Chabannes), sa position est rendue très difficile par le fait que le mariage est honteusement forcé. La princesse n'aime pas le prince, quoiqu'elle tente de faire bonne figure, et si elle était à l'origine promise au frère du duc de Guise, il était probable que le mariage aurait plutôt été avec le duc lui-même.

Ce déchirement entre la passion et le devoir prescrit l'usage harmonieux du cœur et de la raison, ce qui en fait un excellent manuel à l'usage des jeunes filles, dont l'étude désamorce impitoyablement les techniques de séduction d'un Art d'aimer ovidien, prévu par son auteur à destination des garçons, ou la perversité des Liaisons dangereuses. La dernière phrase du récit, résumée dans le film au dessus des escaliers de la maison des Montpensier, est un cinglant enseignement : « Elle mourut en peu de jours, dans la fleur de son âge, une des plus belles princesses du monde, et qui aurait été sans doute la plus heureuse, si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses actions. »

La princesse finit malheureuse parce qu'elle a préféré le cœur (dont les sages savent combien il est capricieux) à la raison (par nature ferme et stable au milieu des troubles). Même convaincue qu'il faut mettre un terme à cette passion, la princesse joue avec le feu. En laissant espérer le duc avec cet air faussement dégagé, à cause de la vanité de vouloir absolument paraître à la Cour, fière de sa beauté et de son intelligence, elle finit par se mettre dans des situations délicates à gérer, et finit par se brûler. Cette morale est absolument contraire à l'enseignement de notre temps. Alors que le cinéma dans son ensemble fait prendre le cœur pour une boussole et glorifie la mondanité, Madame de Lafayette alias Bertrand Tavernier remet à leur place les écarts de la sensibilité.

Un regard moderne pourrait justifier les actes de la princesse en dénonçant le mariage arrangé contre la volonté de la jeune fille. Sans aucun doute ces mariages forcés étaient-ils une plaie de l'époque dont Madame de Lafayette stigmatise les souffrances. Ils étaient d'autant plus graves qu'ils engageaient les mariés dans des liens dont on ne peut se défaire qu'au prix de désastres tant personnels que sociaux. Même aujourd'hui, alors que tout est désespérément fait pour que les désunions se passent dans les meilleures conditions (divorce légal, procédures très encadrées...), on peut constater les conséquences tragiques d'une rupture du lien conjugal tant pour les époux que pour les enfants, la famille ou les amis. De ce fait la question se fait insistante : face à un mariage forcé, fallait-il pour ces jeunes gens accepter leur sort et tenter d'en tirer le meilleur, ou au contraire faire voler en éclat les conventions et risquer mille et un désordres ? Quoiqu'il en soit, la grande arbitre de cette époque, l'Église catholique, tenait ce type de mariage pour nul. La pression était donc avant tout sociale.

Cette question est malgré tout télescopée par celle des ravages de la passion. Dans le film et à la différence de la nouvelle, la princesse souhaite se désunir pour épouser un duc de Guise finalement décidé à se tourner vers une autre. Devant la preuve qu'aucune passion n'est inextinguible, la princesse s'est acharnée à poursuivre une chimère pour finalement tout perdre : l'amour de son mari, de ses amants, et de Chabannes, ne pouvant plus aimer à l'état de cadavre. Alors que le livre l'en fait mourir, le film la dépeint malheureuse mais digne.

Le comte de Chabannes est également approfondi de manière très différente par le livre et par le film. Alors qu'il est dans la nouvelle un amant transi dont les souffrances sont plus détaillées que dans le film, il est dans ce dernier le chantre d'une réflexion nourrie sur la guerre et ses horreurs, et particulièrement sur les guerres de religion. En plus d'être le traître aux Huguenots que raconte le livre, il est un déserteur à l'âme noble et pacifique (et non pacifiste), très perplexe devant les massacres de l'un et de l'autre camp. Sur cette question le film est aussi pudique que Madame de Lafayette. Déplorant comme elle le massacre de la Saint-Barthélémy, il ne dénigre ni l'un ni l'autre camp et se concentre essentiellement sur la romance. C'est à peine si, précepteur de la princesse, le comte de Chabannes lui apporte une définition catholique de la présence réelle et une définition assez obscure de la foi, que la princesse finit par confondre avec l'amour.

Quelques autres choses distinguent le film du livre. Dans le récit il n'y a pas de duel entre le prince de Montpensier (pourtant beaucoup moins maladivement jaloux dans le film) et le duc de Guise. Les discussions entre les personnages sont également bien plus développées dans le film que dans le livre, quoique le film reprenne souvent mot pour mot les rares dialogues de la nouvelle.

Notons un petit clin d'œil à un autre roman de Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, puisque le duc de Guise va finalement délaisser la princesse de Montpensier pour se tourner non vers Madame de Noirmoutier, comme dans le livre, mais vers la princesse de Clèves.