La résurrection du Christ

Film : La résurrection du Christ (2016)

Réalisateur : Kevin Reynolds

Acteurs : Joseph Fiennes (Clavius), Tom Felton (Lucius), Peter Firth (Ponce Pilate), Cliff Curtis (Yeshua)

Durée : 01:42:00


La bande-annonce faisait peur. Pilate envoie son tribun, as du glaive, régler la polémique née d’une rumeur qui s’ajoute aux troubles du sale vendredi dernier : le Nazaréen serait ressuscité, et voilà que le Sanhédrin vient gémir à nouveau. Chasse à l’homme donc : pour éviter les troubles entre juifs, il faut étouffer cette histoire de mort retourné à la vie. En deux mots, Jesus Bourne, la Résurrection dans la peau. Le centre du mystère de la foi sous forme de thriller. Le vertige était alors immense. Et sincèrement, c’est encore marqué par mon excès d’indulgence pour l’étrange Noé (2014) et tremblant après ce trailer que je me suis assis, un long fusil à lunette pointé vers l’écran, paré à faire feu. Alors, nanar, hérésie ou grand film ?

Une pincée des trois, dirons-nous (promis on synthétise à la fin). Malgré le sujet ô combien religieux, il faut rapidement repousser l’immense tentation de perpétuellement comparer avec La Passion du Christ de Mel Gibson (2004). C’est inévitable, au départ, puisqu’on assiste au bout de la Crucifixion. Marie pleure comme un veau, d’une façon un peu dégradante, les croix ne sont pas sur un mont, le Christ n’a pas une trace de coups de fouet, la foule est toujours là hurlante alors que l’agonie a commencé des heures auparavant, et que comme le montrait Gibson, par écrasante probabilité, beaucoup sont partis et plus personne ne criait à ce moment-là… Le vertige du trailer vous reprend. Tout ce qui fait survivre à cela est le regard subjectif du tribun romain, débarquant sans vraiment savoir qui est qui et qui fait quoi. La Passion (enfin le bout) selon un athée, c’est relativement rare, et donc original. Bien moins de solennité, de soin, de grandeur… Le point de vue est celui d’un non-croyant. Il faut vite le comprendre, pour ne pas être fou de rage. Malgré donc le sujet religieux, ce film est dans la forme, un p-é-p-l-u-m.

Oui, un péplum vous dit-on. Pilate parle anglais, tout comme Marie-Madeleine et les autres, eh oui. Arrêtez de penser à l’araméen et au latin de La Passion du Christ, vraiment, sinon, vous vous raidirez en attendant vainement les qualités de celle-ci, alors qu’il s’agit d’un bon vieux péplum à caractère hautement religieux. L’habit est très différent. La tradition hollywoodienne du genre est respectée : des personnages plutôt nobles, du courage, de la vaillance, des discours dotés d’une certaine épaisseur, mais aussi des réinterprétations, des inexactitudes, des erreurs ou déformations commodes historiques ici et là.

On ne vous gonflera pas ici avec la liste de ces erreurs historiques, mais deux nous serviront d’exemple, et vous verrez qu’il y a déjà de quoi causer.
Vous connaissez vos Évangiles, n’est-ce pas ? Voici tout de même les deux piliers de l’intrigue, au départ, dans leur version de la vérité vraie, hors film : les grands prêtres ont payé les Romains pour que ceux-ci répandent la rumeur d’un enlèvement du corps de Jésus par l’intervention violente des apôtres. Les Évangiles, sont aussi, au passage, un document historique (donc leur valeur n’est pas une question d’opinion ou de confession), et apprennent, avec des divergences entre leurs quatre auteurs dans les détails, mais pas dans les « grandes lignes » (autrement dit, des contradictions de l’ordre du souvenir, mais en soi, racontant la même chose), que les apôtres sont un temps restés dubitatifs en entendant les femmes (dont au moins Marie-Madeleine) leur dire que le Christ était ressuscité.
Le film, tout en gardant la même cohérence, réinvente tous les détails, modifie certaines choses. Mais malheur à moi si je me trompe, pourvu qu’on ne jette pas sur moi l’anathème, mais aucune hérésie n’est au rendez-vous. Ce n’est d’ailleurs vraiment pas le but. On sent la bonne intention, mais la liberté dans les changements peut froisser ; prenons par exemple, Marie-Madeleine qui passe pour une ancienne prostituée pour petits sous-off, alors que sa clientèle était autrement plus noble –socialement parlant bien sûr… Nicomède s’occupe du corps du Christ en descendant de la Croix, alors que les Écritures parlent surtout de Joseph d’Arimathie (et secondairement de Nicodème) ; on ne parle pas de l’ange apparu, de Jésus pris pour le jardinier, ou pour un étranger sur la route avec les apôtres… Mais sachez-le, car ce n’est pas parce que les péplums ne sont plus à la mode (Gladiator n’ayant pas l’ambition biographique des classiques des années 60, l’histoire étant inventée de toutes pièces) que vous devez l’ignorer – si c’est le cas –, mais les péplums n’ont pas, n’ont jamais eu, et n’auront probablement jamais le même contrat d’exactitude historique détaillée, avec le spectateur, que des films comme celui de Gibson. Et dès l’instant que vous voyez des Romains s’inquiéter de ces querelles de clochers juifs (peu importe), ou un tribun comparer son dieu Mars avec Yahvé, vous vous dites que ce n’est pas du tout, mais alors là vraiment pas du tout un cours d’Histoire.
Les Romains se fichaient éperdument des autres religions, car la leur n’avait pas d’ambition universaliste. Si elle n’était pas gravement subversive contre Rome, une religion différente de la leur avait parfaitement droit de cité. Les persécutions qu’endura la jeune Église dans l’Empire romain n’avaient rien d’une guerre des religions, il s’agissait non seulement d’un phénomène de définition d’un bouc émissaire, pour des raisons politiques (comme l’incendie de Rome sous Néron, probablement allumé par ses propres soins, tout en accusant gracieusement les chrétiens), mais d’une crainte de perte d’identité romaine (Auguste s’était présenté comme un champion rigoureux de la romanité, face à un Marc-Antoine considéré comme un despote orientalisé : exemple parmi d’autres de l’importance de l’identité romaine). On s’égare, certes.

Vous l’avez compris, beaucoup de libertés sont prises. Cela peut gêner. Mais ne devrait peut-être pas, en fait : le film ne cherche pas une reconstitution. Le titre est légèrement trompeur : on avait eu La Passion du Christ, maintenant La Résurrection du Christ ; Jésus est censé être le personnage principal, non ? Ben, non, justement. Le titre est trompeur, affirmé-je donc : l’histoire n’est pas tant la sienne que celle de Clavius, notre tribun. Malgré la représentation cinématographique, parfois kitsch, maladroite et hollywoodienne, parfois plus authentique et sérieuse, du centre de religion chrétienne, le péplum que nous avons s’intéresse en réalité bien plus au point de vue non-croyant de ce Romain, confronté à l’interrogation de la foi (et c’était le seul point encourageant de la bande-annonce d’ailleurs). Ce tribun, sans nul doute, c’est nous, le spectateur, car la foi nous le savons bien, est un travail pour ceux qui l’ont, ou une recherche pour d’autres comme lui, de tous les jours.

Nous touchons donc à la substantifique moelle de ce récit, sa raison d’être, la raison qui l’a produit et mis en salles. Mais comment vous la dire sans trop en dire sur l’intrigue ? L’intention est chrétienne, sans aucun doute. Même si on imagine mal Jésus nous dire « écoute ton cœur » (troisième phrase la plus banale de toute l’histoire du cinéma après « je t’aime » et « noooooon ! »), et bien que la tête du Christ en fera pleurer de joie certains (comme moi) en revoyant Jim Caviezel (son génial interprète chez Gibson, of course), et que les maladresses ou modifications agacent légèrement, peut-être faudrait-il dépasser ces défauts pour constater ceci : La Résurrection du Christ est avant tout une histoire d’introspection, de questionnement intérieur, de foi, et également d’amour. Les apôtres (qui eux aussi, ne plairont pas à tout le monde, comme Barthélémy, très cool attitude – cela ayant le mérite de nous les rendre plus vivants, répondrais-je) montrent un bel exemple de vie chrétienne. Avec leur Romain étonné de leur flamme, ils rendent un témoignage qui rappelle l’esprit des premiers chrétiens (logique, quelque part, ce sont les premiers). Au lieu de penser convaincre ce gaillard par des blablas stériles, ceux-ci se contentent de lui laisser faire sa rencontre personnelle avec Dieu, en l’y aidant par une sainte exemplarité. En simple, un rappel des valeurs fondatrices du christianisme, cet amour, ce zèle, et ce renoncement au monde. Leur simplicité, au spectateur contemporain, abreuvé de controverses philosophiques maintenant séculaires, est susceptible de faire un bien profond.

Handicapé par plusieurs défauts, que je ne répéterai point, ce récit est un acte de foi cinématographique osé. Il me reste à espérer que vous, comme les autres, ne vous arrêtiez donc pas sur sa maladresse chronique (Dieu merci pas systématique non plus), car acte de foi certes, mais sous la forme du péplum, avec les qualités narratives (rebondissements, décors, valeurs des personnages, noblesse des réflexions…) et les défauts (inexactitudes, une ou deux longueurs, péripéties très concentrées…) que cela impliquait souvent chez les grands classiques du genre. Ne soyez pas de ceux qui trouvent « bidon » La Passion du Christ de Gibson sous prétexte qu’il y a médicalement trop de sang, pitié (c’est vrai que j’en parle beaucoup, de celle-là, mille pardons !)…

Oui, plusieurs choix laissent songeur, c’est bien vrai. Mais un film au discours chrétien assumé à ce point est très rare, beaucoup trop rare pour être vilipendé pour des questions formelles. Le juger aussi par son degré de non-ressemblance avec le film de Gibson, serait comparable à trouver que Le Bourgeois Gentilhomme de Molière est une bien mauvaise tragédie par rapport à Macbeth.
Formellement, la vieille tradition des péplums se réveille. Des souvenirs de Ben Hur et autres s’allument : le héros, très charismatique (non ! pas au sens religieux !), y contribue largement.
Dans le fond, une aventure où s’invitent les interrogations les plus essentielles. Quel est le bonheur de l’homme, quelle est sa fin ultime ? Le bonheur de la paix, dans un domaine près de Rome, ou sacrifier tout cela pour retrouver le Nazaréen, dans une autre vie ?

Bref, une œuvre aux maladresses péplumesques, si vous permettez l’expression, mais dont le discours et la joie communicative, qui donnent des envies d’apostolat, (pour ceux qui ne se prennent pas trop pour Léon Bloy, aussi), mérite bien mieux que de la flemmarde et orgueilleuse condescendance. Quand un jugement se réduit à un mot (« chef d’œuvre », ou « ridicule »), il semble davantage du domaine de la pulsion sentimentale que de la réelle réflexion. Or le jugement est le deuxième acte de l’intelligence, et non une éruption épidermique, qu’on se le dise ! Le cinéma est un art, qui touche les sens, certes, mais il est aussi un discours, qui atteint l’intelligence ; jeter celui-ci à la poubelle parce qu’on n’aime pas la tête de tel acteur, pitié, non (non).

A vous de voir, donc ! Comme toute œuvre, celle-ci ne plaira pas à tout le monde. Mais au générique, quand votre voisin de salle vous dit larmes aux yeux « ce que j’ai retenu, c’est l’Amour », vous réfléchissez avant de tout casser. La simplicité qui se dégage du film rappelle le discours christique, toujours limpide, simple, parfois mystérieux. Fuyez, pauvres fous, les avis catégoriques, surtout pour cet objet-là ! Et allez donc vous faire une idée. Va, lecteur, et désormais ne pèche plus.