La Source des femmes

Film : La Source des femmes (2011)

Réalisateur : Radu Mihaileanu

Acteurs : Leïla Bekhti (Leila), Hafsia Herzi (Loubna / Esmeralda), Biyouna (Le vieux fusil), Sabrina Ouazani (Rachida)

Durée : 02:04:00


Un drame bien construit et questionnant la condition des femmes dans les pays arabes.

La Source des femmes a fait couler beaucoup d'encre. Le film est-il féministe ? Anti-religieux ? Anti-tradition ? S'inscrit-il dans une idéologie laïciste ambiante ? Est-il un facteur d'évolution de l'islam ou une mauvaise
compréhension du Coran ?

Une chose est certaine : Radu Mihaileanu jette un pavé dans la mare en prônant ouvertement une compréhension différente de l'islam. De ce fait il mécontentera certainement beaucoup de musulmans. Cependant il est à noter que cette vision est défendue de manière polémique mais, au moins, respectueuse.

En revanche, ce réalisateur étant juif, il ne manquera probablement pas de personnes pour accuser l'homme de vouloir jeter le trouble dans les rangs des croyants, ce qui cause une certaine appréhension : « Pendant longtemps, en tant qu'homme, juif, Français, je ne me suis pas senti légitime pour parler d'une culture que je connaissais peu, » explique-t-il.
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Sur quoi, donc, porte la contestation du film ?

Principalement sur les droits des femmes. Filmées comme tout le reste du film en steadycam celles-ci, même enceintes, font des efforts désespérés pour ramener l'eau de la source au village, pendant que ces gros feignants d'hommes sirotent leur café sur la terrasse. L'ensemble est assez caricatural certes, mais assez opérant, puisque qu'il fallait une injustice flagrante pour justifier une révolte des femmes.

Celles-ci essayent bien peu d'expliquer le problème à leurs maris, et la révolte ressemble alors à une sorte de lutte des classes. Elles auraient pu en parler chacune à leur homme, aller voir l'imam pour lui demander d'intervenir, etc. mais elle n'en font rien, et
choisissent très rapidement une solution conflictuelle. Lorsque la jeune Leila propose de faire la « grève de l'amour » (qui n'est en fait pas une grève de l'amour du tout mais une grève du sexe, ce qui est très différent) pour forcer les hommes à aller chercher l'eau à leur place, les femmes sont dubitatives. Cependant la rebouteuse du village, qui a des comptes à régler avec son passé (elle a été mariée de force avec un homme brutal à 14 ans), va prendre le parti de la jeune fille et la grève commence. L'idée du film part de fort loin : « Tout a commencé avec un fait divers qui s'est déroulé en Turquie en 2001: dans un petit village traditionnel, les femmes, depuis la nuit des temps, allaient tous les jours chercher l'eau à la source, située au sommet d'une montagne
voisine, et rapportaient des seaux remplis qui meurtrissaient leurs épaules. Suite à une série d'accidents, les femmes ont décidé de rompre la fatalité et d'entamer une grève de l'amour tant que les hommes ne raccordaient pas l'eau au village. Au départ, les hommes n'ont pas pris les femmes au sérieux, puis c’est devenu violent. Les femmes ont tenu bon. L'affaire a fini par être réglée par le gouvernement. De manière plus métaphorique, je me suis aussi replongé dans
Lysistrata d'Aristophane, où une femme déclenche la grève de l'amour pour mettre fin à la guerre, face à l'indifférence des hommes. Ce sujet me semblait rempli d’interrogations très contemporaines. » (Radu Mihaileanu, in Dossier de presse).

Les hommes s'étonnent, rechignent, tapent, violent, envisagent les pires scénarios (par exemple faire venir de nouvelles femmes, soumises, pour les remplacer !) mais, jusque là, on ne voit pas très bien le rapport avec l'islam. On se doute que la paresse n'est pas propre aux musulmans, et que la révolte n'est pas non plus l'apanage des femmes musulmanes. On s'étonne seulement de cette curieuse possibilité de répudier une femme, comme si un lien aussi fort que la vie conjugale pouvait, sans grand malheur, se terminer de façon aussi soudaine qu'unilatérale. Dans ce thème du film, donc, quelques femmes exaspérées se rebellent contre leurs gros feignants de mari, ce qui pose un problème sans aucun doute culturel, mais pas vraiment religieux. D'ailleurs les seuls arguments soutenus par les hommes et les femmes qui refusent
cette grève reposent sur la « tradition » du village, par sur des sourates. Or il semble que le réalisateur soit lui-même ambigu : « j'étais convaincu dès le départ que le film aurait plus de force dans un contexte musulman : cela nous permettait d'évoquer le Coran et l'islam, souvent mal connus, et objets de tous les clichés et fantasmes. »

En fait, là ou intervient l'islam, c'est lorsqu'une fraction de musulmans présentés comme intégristes va se saisir du dossier pour dénoncer cette inadmissible entorse aux lois de la procréation. Poussé au bout, cet argument mène à une solution toute simple : les femmes doivent arrêter leur grève, donc continuer à porter l'eau, donc laisser leurs maris dans l'oisiveté. Encore une fois, il n'
est pas envisagé une seconde par les hommes de régler le problème calmement en demandant à leur femme, dans l'intimité du foyer, ce qui ne va pas. Buffles contre buffles, la polémique s'embrase, et personne ne communique vraiment.

Devant l'ampleur du désastre (le village tout entier commence à être victime d'une mauvaise réputation) l'imam, modéré, décide alors de prendre les choses en main et convoque les épouses. Il explique d'abord aux femmes que le Coran est très clair sur le devoir de procréation, puis s'amuse devant leurs arguments (Coran à l'appui) avant de prendre complètement leur parti. « De plus en plus de femmes, dans des pays comme le Maroc, la Tunisie, et le Liban, apprennent à lire et à écrire, explique >Radu Mihaileanu. Mais il reste un tabou évoqué dans le film : c'est le droit de la femme de lire le Coran et de donner son avis sur les sourates qui sont délibérément sujets à l'interprétation. Et pourtant, il est écrit dans le Coran que "l'être humain doit s'élever par le savoir", ce qui englobe les hommes et les femmes. »

Les hommes lui demandent s'il a mis les rebelles au pas. Il les déçoit.

A ce stade, la solution est manichéenne. On peut considérer que le Coran, dans les mains d'intégristes, viole (parfois au sens propre) les droits des femmes, mais il ressort surtout que l'islam dit « éclairé » encourage l'égalité entre les hommes et les femmes.

La position de ceux qui voient dans ce film un anti-islam est donc
inefficace. C'est bien au contraire un plaidoyer pour l'islam mais un islam « édulcoré » pour les uns, « éclairé » pour les autres.

La prise de position du réalisateur est très claire : « Il faut bien voir qu'il y a encore beaucoup de préjugés occidentaux selon lesquels tous les imams sont intégristes, alors que la plupart ne prêchent pas la violence, mais prônent la réflexion et l'amour d'autrui. Pour moi, il était donc essentiel de créer un imam au visage de sage. Même si, par tradition, il doit être du côté des hommes, on sent qu'il est gêné d'épouser leur discours : il finit par laisser les femmes s'exprimer et par les écouter vraiment. Et le plus sublime, c'est que Leila lui apporte un autre point de vue sur les écritures et qu'il l'entend, et
qu'il le comprend. C'est alors qu'il change grâce à une femme : il a cette humilité et cette sagesse de se dire qu'elle a raison. »

La conséquence est tout aussi claire : le débat n'est en fait qu'islamo-musulman, quoiqu'on se doute que les chevaliers noirs du laïcisme s'inviteront dans la discussion pour donner de grandes leçons.

Parallèlement Leila, dans ce contexte troublé, vit avec son mari, l'instituteur du village, une histoire d'amour sereine qui sera brouillée par l'arrivée de son ancien amant. Or elle a fait croire à son mari, qui la soutient d'ailleurs dans le conflit de toutes ses forces, qu'elle était vierge au moment du mariage. L'homme sent la main qui lui démange et envisage de la répudier puis de tuer son concurrent. Il ne fera ni l'un ni l'autre mais
surmontera l'épreuve.

Que veut dire le film, qui se veut ouvertement polémique et doit donc interroger le spectateur en choisissant un tel drame ? Que les femmes devraient avoir le droit de n'être pas vierges avant le mariage ? Que les hommes devraient aussi l'être ? On ne comprend pas bien mais quoiqu'il en soit le débat est particulièrement mal amené. Ce que tout le monde retiendra, c'est qu'elle lui a menti, la vilaine !

Est-ce donc un film féministe ? S'opposer aux viols et aux mariages forcés ne saurait être du féminisme. Des tas de personnes ont condamné ces deux choses (à commencer par l'Église catholique qui est historiquement la première institution à avoir condamné le fait) sans pour autant être féministes.

L'égalité hommes/femmes peut-être ? Là encore les chrétiens volent la vedette aux féministes puisque, voulu égalitaire, le mariage fut même utilisé par les premiers chrétiens pour affranchir les esclaves : une fois le maître converti, on les invitait à épouser leur servante, pour faire ainsi automatiquement tomber les chaînes.

De plus, le film rejette clairement le féminisme en ajoutant à la fin de son film une sorte de scène bollywoodienne parfaitement incongrue et ridicule, dans laquelle les femmes se mettent à chanter pour les hommes et à conclure que la source des femmes, c'est l'amour.

Il faudrait peut-être leur expliquer que c'est la même chose pour les hommes...