La traque

Film : La traque (2010)

Réalisateur : Antoine Blossier

Acteurs : Grégoire Colin (Nathan), Bérénice Bejo (Claire), François Levantal (Nicolas), Isabelle Renaud (Isabelle), Fred Ulysse (Eric), Joseph Malerba (David), 1h20

Durée : 01:20:00


Un film d’ agression animalier qui respecte scrupuleusement les codes du genre en vigueur depuis des années, mais qui se laisse suivre et intègre un contexte très français.
S’il y a une catégorie de films particulièrement codifiée, c’est bien le film d’agression animalier. Consacré au cinéma essentiellement par le succès des Dents de la mer de Steven Spielberg (1975) et son requin tueur, il fut par la suite décliné à satiété avec des créatures aussi variées que les requins, les crocodiles, les serpents, les pieuvres, les piranhas, les lions, les ours, les loups, les rats, les chiens et même les lapins (dans une version nanarde fauchée bien sûr !). Connaissant des vagues de reflux, le genre revient périodiquement à la mode avec des blockbusters comme Anaconda de Luis Llosa 1996), Peur bleue de Renny Harlin (1999) et très récemment, Piranhas de Alexandre Aja (2010). Au départ spécialité du cinéma américain, le
genre s’est cependant vite exporté, devenant même très présent en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne, au Japon, en Thailande et en Corée du Sud. La France semblait bien délaissée à l’exception notoire du Pacte des loups de Christophe Gans (2001) portant sur la mythique bête du Gévaudan. Mis à part cette tentative isolée et quelques téléfilms d’intérêt très quelconque (notamment un panique ! avec Richard Anconina en 2009), les films d’attaques animalières brillaient par leur absence dans le cinéma français et ne semblaient nullement inspirer les réalisateurs. Un manque d’inspiration que s’efforce de combler le jeune cinéaste Antoine Blossier, jusque-là réalisateur de publicités et d’un court-métrage et dont c’est le premier long-métrage.

De toute évidence, Blossier est un amoureux du genre, nourri des multiples références qui s’y
rattachent et bien décidé à s’inscrire dans la lignée. Son choix de cadre et de créature est à la fois original et rationnel. En effet, la campagne française ne regorgeant pas d’animaux exotiques, il était difficile d’y trouver des fauves propres à tenir le rôle de superprédateur. Aussi, le réalisateur s’est-il décidé pour un animal bien de chez nous, le sanglier. Créature très commune de notre pays, plus connue comme repas d’Obélix dans une célèbre bande-dessinée, ce dernier peut cependant se révéler dangereux pour l’homme et passer ainsi du statut de proie à celui de prédateur, ce qui rend le choix très plausible. De plus, cette créature a été très rarement utilisée dans les films de ce type, seul l’australien Razorback de Russel Mucahy (1984) ayant déjà fait ce choix. Si les créatures sont effectivement menaçantes, cela semble également être le cas de l’environnement forestier que les chasseurs pensent connaître mais qui semble les piéger. « L’idée au cœur de La Traque était de donner l’impression
que la nature, la forêt les attaquaient » selon Blossier (source :DP). Pour rendre plus dangereux les sangliers, le réalisateur a recours à des éléments scénaristiques qui sont loin d’être nouveaux dans le genre mais qui s’avèrent assez crédibles : les animaux, dotés d’une taille et d’une férocité hors norme, s’avèrent avoir été contaminés par des produits chimiques déversés dans la rivière. Une manière de se rattacher aux grandes traditions du genre (les contaminations chimiques sont présentes dans beaucoup de films) ainsi qu’à l’actualité qui regorge de débats sur les OGM, la malbouffe et les dangers des produits chimiques. Cela n’en fait toutefois (et heureusement) pas un film social ou politique, le scénario intégrant cette donnée uniquement pour pimenter l’histoire. Ces éléments scénaristiques donneront également l’occasion de décrire les tensions existant au sein du groupe et la duplicité du personnage de Nicolas vis à vis de son entourage. Car si La Traque est avant tout un film d’
attaque animalière, il n’est pas que cela. Il illustre également les dissensions intrafamiliales dues notamment au conflit des générations (l’un des fils contre son père et son frère) et des classes sociales (David, resté agriculteur, frustre mais intègre, s’oppose dés le début à Nicolas, devenu chef d’une importante entreprise, plus policé mais aussi malhonnête) ainsi que l’arrivée d’un intrus à cette famille, le jeune Nathan, beau-fils de l’un des frères, qui doit vivre un certain temps au sein de cette famille qu’il connaît peu et à qui il lui arrive même de s’opposer frontalement (notamment son beau-père Nicolas). « L’histoire s’est construite assez logiquement autour d’un personnage précipité dans un milieu hostile et entouré de personnes en qui il ne peut pas réellement faire confiance » déclare le réalisateur (source : DP). Signalons que ce personnage reste ambigu puisqu’il n’hésitera pas à commettre un meurtre de sang froid, sans y être obligé par la légitime défense et même si sa
victime est un salaud qui s’apprêtait peu avant à lui faire subir le même sort. On peut également y voir une allégorie de la disparition inéluctable et dramatique du monde paysan traditionnel au profit du mode de vie urbain et de l’économie de marché, point de vue intéressant bien que vite esquissé.

En dehors de Bérénice Bejo (révélée dans Meilleur espoir féminin de Gérard Jugnot et vue également dans 24 heures de la vie d’une femme de Laurent Bouhnik et OSS117, Le Caire nid d’espion de Michel Hazanavicius) dans le rôle de Claire, aucun acteur de premier plan ne joue dans le film. Le rôle de sa mère est tenue par Isabelle Renaud (Blessures assassines de Jean-Pierre Denis, La chambre des officiers de François Dupeyron) et les rôles masculins le sont par des seconds couteaux récurrents du cinéma français : Nathan est interprété par Grégoire
Colin (La reine Margot de Patrice Chéreau, Sade de Benoit Jacquot) qui accède à son premier rôle principal (excepté Snowboarder d’Olias Barco), celui du beau-père Nicolas par François Levantal, grand habitué des rôles de personnages troubles et méchants (la sirène rouge d’Olivier Mégaton, Michel vaillant de Louis-Pascal Couvelaire, Dante 01 de Marc Caro), celui de son frère David par Fred Ulysse (Germinal de Claude Berri, Vidocq de Pitof) et celui du patriarche Eric par Joseph Malerba (Léon de Luc Besson, Marie-Antoinette de Sofia Coppola). Le relatif manque de notoriété des acteurs sert bien le film puisqu’ils paraissent plus crédibles dans leurs rôles respectifs d’autant plus qu’ils sont tous excellents et ont chacun un physique parfaitement bien adapté à leurs personnages. Mention spéciale à François Levantal, toujours aussi convaincant en salaud.

Quant aux créatures qui constituent tout de même le sujet principal du film, on les voit relativement peu jusqu’à la scène d’attaque finale. Blossier, en fan respectueux du genre, a retenu la recette inusable depuis Les dents de la mer qui consiste à suggérer au maximum ses monstres avant de bien les montrer à la fin du film. Un choix également justifié par le faible budget du film, lequel permet néanmoins des effets spéciaux et un maquillage très convaincants bien que parcimonieux. Le cinéaste est suffisamment compétent dans l’art de créer une atmosphère angoissante et intrigante pour que le spectateur se laisse prendre. Comme il l’a lui-même bien dit : « Au final, on ne voit pas plus que ce que voient les personnages » (source : DP). Signalons quand même que certaines scènes de violence gore et une fin très pessimiste rebuteront les âmes sensibles.

Finalement, le film ne révolutionne absolument pas les règles et conventions du genre auquel il s’attaque, mais il parvient à constituer un divertissement suffisamment prenant et à se rattacher à un contexte typiquement français convaincant. Ce qui est déjà très bien.

 

Francis