La Vie est belle

Film : La Vie est belle (1998)

Réalisateur : Roberto Benigni

Acteurs : Roberto Benigni (Guido), Horst Buchholz (Dr Lessing), Marisa Paredes (La mère de Dora), Nicoletta Braschi (Dora)

Durée : 01:57:00


« La vie est belle ! » écrivit Trotsky en voyant sa femme dans le jardin, et après avoir appris sa condamnation à mort par Staline. Dans un entretien pour Gallimard en 2004, Roberto Benigni dit toute son admiration pour cet homme et explique ainsi le titre du film. Son intention ? Montrer qu'au cœur de l'horreur il y a toujours une petite lumière qui subsiste.

Le fait est que le contexte n'est pas joyeux. Être juif en pleine Seconde Guerre mondiale n'était pas, à proprement parler, une partie de plaisir. En faisant un tel film, le réalisateur prenait le risque de se mettre à dos 80 % de l’intelligentsia, divisée entre ceux qui font de la Shoah le thème gravissime dont on ne doit parler qu'avec la main sur le cœur, et ceux exaspérés par l'exploitation commerciale et idéologique qui en est faite. Avouons-le, la partie n'était pas gagnée et l'on comprend le soulagement du goy Benigni lors de la cérémonie des Oscars en 1998 (il en raflera trois), mais on avouera aussi qu'en cas de succès, les bonnes retombées étaient conséquentes (quoi de plus fructueux que de plaindre les juifs dans le milieu du cinéma ?). D'ailleurs l'excellent Woody Allen, qui a dit aimer les Oscars parce que c'est « la plus grande fête juive du monde, » n'a pas hésité à faire jouer le réalisateur italien dans son film To Rome with Love.

Le film suscita l'engouement et fait déjà aujourd'hui partie des grands classiques de l'Éducation Nationale (ce qui est très mauvais signe). Le mérite-t-il ?

Le premier écueil est celui de la gesticulation frénétique de l'acteur, particulièrement dans la première partie du film. Ce burlesque tout italien est à peu près celui d'un Funès sous amphétamine additionné au slapstick d'un Chaplin épileptique. Pour ce dernier, la référence est explicite dans les entretiens donnés par le réalisateur et se traduit clairement dans la forme cinématographique (coup du chapeau soulevé par la canne dans le dos, pantomime, chutes, courses, etc.). À vrai dire, le film aurait pu être tourné en 18 images/seconde qu'on n'y aurait vu que du feu. Devant une telle furie, ce n'est pas compliqué : on aime ou on aime pas...

Mais le principal reproche qui a été fait au film est celui de n'être pas historique. De ce point de vue et si cela avait été l'intention du réalisateur, il faut reconnaître que le film est très insuffisant. La vie dans le camp d'extermination (certainement calqué sur celui d'Auschwitz, mentionné dans le générique) est à la fois glaçante et étonnamment permissive. Qu'on en juge : les frasques de Guido ne sont jamais sanctionnées, ni dans la traduction fantaisiste qu'il fait de l'officier allemand, ni dans l'utilisation de la sonorisation du camp, ni dans le fait qu'il inonde les dortoirs de prisonniers avec la musique d'Offenbach, etc. Plus encore, le gamin peut traverser le camp plusieurs fois sans aucune difficulté. Tout cela ressemble fortement à une colo mal organisée.

Pourtant il ne faut probablement pas s'arrêter à cela. Le film est plus conçu comme une fable que comme un film historique. Au burlesque se marie assez bien le merveilleux, et c'est cela qui compte.

L'enlèvement d'une fiancée à cheval en plein banquet est invraisemblable mais c'est, par excellence, le symbole de l'amour dans les contes de fées, comme le fait de traiter une femme (en fait assez capricieuse) comme une princesse au milieu de trombes d'eau. Tout est assez prévisible, sauf peut-être la réaction du docteur dans le camp très habilement amenée d'un point de vue scénaristique, les gags sont assez éculés mais après tout, comme on dit, « ça fait toujours rire ! »

Bien qu'encadrée par le burlesque, l'émotion est bien présente.

Toute l'originalité du film (et c'est probablement ce qui a séduit le plus) consiste dans cette attitude d'un père qui protège l'innocence de son enfant au milieu des pires tourments. L'enfant est-il dupe ? Roberto Benigni voit les choses en sens inverse : l'enfant est définitivement convaincu à l'arrivée du char dans le camp (notons qu'historiquement la quasi-totalité des camps a été délivrée par l'armée rouge, et non par les Américains comme dans le film). Avant on peut légitimement penser que s'il est suffisamment malin pour démasquer sa grand-mère dans la première partie du film, il doit l'être assez pour comprendre la situation. D'autant que le hors-champ se prolonge après les limites du cadre, et que par conséquent ce que l'image ne montre pas, l'enfant doit l'avoir vu : les plaintes, les gémissements, les crises de nerfs, tout ce qui fait le quotidien de ce genre de camp... Mais encore une fois la vraisemblance, ennemie du burlesque et plus encore du slapstick, n'est volontairement pas invitée. Alors évidemment ce questionnement (l'enfant sait-il ? Va-t-il savoir ?) résonne dans les angoisses du spectateur tout le long du film. La tendresse du père émeut, jusqu'aux larmes peut-être, et le courage digne d'une mère qui décide de suivre sa famille en enfer (questions rituelles : savait-elle où elle allait?) remuera bien des cœurs !

L'émotion est également plus... intellectuelle. Car on ne peut résister à la question, certes traditionnelle mais néanmoins cinglante, du pourquoi et du comment. Comment en est-on arrivé là ? Quand on regarde ces officiers allemands, ces femmes qui instaurent une discipline de fer dans les camps, on imagine pas que ce fut possible (même si le climat et les comportements sont extrêmement caricaturaux). De Milgram à Arendt, l'humanité essaie de comprendre, encore sous le choc. Cette question la taraude et elle croit pouvoir y échapper par de grandes formules conjuratoires (« plus jamais ça ! ») et des grandes déclarations de principes (le fameux « crime contre l'humanité »), oubliant ainsi, sous l'influence néfaste d'une idéologie stérilisante, que la moindre petite action charitable dépasse les plus grandes déclarations de beaux principes aux frontons resplendissants, et que c'est dans les petites choses que se préparent chutes et rédemptions.

Intéressant en soi, le film mérite donc d'être montré dans les établissements scolaires, à condition de n'être pas mis au service d'une propagande malvenue. Quant à ceux qui ne le regardent pas parce que les autres le regardent, ils feraient mieux de se rappeler que le contre-système est encore un conformisme...