La vie est un miracle

Film : La vie est un miracle (2002)

Réalisateur : Emir Kusturica

Acteurs : Slavko Stimac (Luka), Natassa Solak (Sabaha), Vesna Trivalic (Jadranka), Aleksandar Bercek (veljo), Vuk Kostic (milos), Nikola Kojo (Filipovic) et Branislav Lalevic (le président) .

Durée : 02:34:00


Ce film est plus calme, plus intime que les précédents de
Kusturica, et du même coup admirablement construit. Le grand prix de l’éducation nationale qui lui a été attribué et qui lui vaudra d’être étudié en détails par les lycéens nous semble parfaitement mérité, tant sa structure est solide et ingénieuse. Ainsi, par exemple, l’ouverture du film se fait sur la tournée ferroviaire du facteur, ce qui permet de présenter les lieux et les personnages, mais surtout d’introduire les couples d’opposition autour desquels le film va se construire, comme la fête et la violence, l’amour et le suicide, la nature et la mort. En fait le savoir-faire et le génie de Kusturica apparaissent ici dans toute leur étendue. Dès les premiers plans du film, à la construction des plans, au découpage et au rythme, on reconnaît un cinéaste hors pair. Mais ce talent de l’instant ne suffit pas si le squelette du film n’est pas solide, si l’on ne montre pas le même génie sur la durée. C’était sans doute le défaut de ses autres films (notamment Arizona Dream), aussi ne craignons nous pas d’
affirmer que malgré plusieurs trivialités inacceptables, La vie est un miracle est son meilleur film. Signalons tout de même un plan idiot, le facteur se penche sur un nid d’oiseaux où il y a des œufs, et dit dans un élan poétique « la vie est un miracle », nouvelle preuve du bien-fondé de la règle renoirienne de ne jamais introduire le titre du film dans les dialogues.

 
Le dernier plan du film est un véritable coup de génie, que nous allons maintenant étudier. Deux difficultés se présentaient à Kusturica pour la conclusion :
Tout d’abord une intrigue n’est pas tant le parcours d’une force vers un but que l’opposition de deux forces, et sans doute peut-on avancer que plus l’opposition des deux forces est insoluble, meilleure sera l’intrigue, mais du même coup le film sera plus difficile à finir. Kusturica a placé son héros devant l’alternative classique de la femme et de la maîtresse, mais il s’est plu à rendre impossible
la résolution du nœud de manière satisfaisante, la femme étant insupportable et à moitié folle, quand la maîtresse est de l’autre côté d’une frontière gardée par des casques bleus.

De plus le plaisir que l’on éprouve devant une œuvre populaire, comme l’est La vie est un miracle, racontant une histoire simple est dû à la reconnaissance du schéma narratif. Ainsi sait-on devant un film de 007 qu’après avoir infligé une première défaite au méchant, Bond sera capturé, puis torturé, avant de battre définitivement le méchant. Mais la difficulté vient du fait qu’au plaisir de la reconnaissance s’ajoute, lorsque l’histoire se dénoue, la déception devant le manque d’éléments nouveaux, d’informations.
Ainsi chacun des deux termes de l’alternative serait aussi décevant, le choix de la femme légitime comme concédant trop à une morale bourgeoise facile, et la réunion avec la maîtresse comme brisant les lois de la vraisemblance. Que fait Kusturica ? Il ne choisit pas,
il sort du film. Il monte à la fin un plan (montrant Luka et Sabaha) qui à différents indices, surtout les vêtements, se reconnaît comme ne pouvant pas appartenir à l’histoire contée. Cela ressemble à une erreur de montage, comme si un plan prévu pour le milieu du film avait par mégarde été placé à la fin. Ce faisant, Kusturica créé à l’intérieur même du film, un espace imaginaire supérieur. C’est aussi une façon élégante de détacher en douceur le spectateur des personnages pour le rendre au monde réel.

Le film est un triomphe de la joie. Si l’érotisme des scènes d’amour n’est pas excessif, il n’en n’est rien de la grossièreté pioupiesque de certains passages. Des violences inévitables, pas trop appuyées.
Luka commet bel et bien un adultère, or non seulement celui-ci n’est à aucun moment dénoncé, mais tout concoure à ce que le spectateur le souhaite. Si la fin qu’a choisie Kusturica est remarquable, il est en revanche regrettable que la question de
la responsabilité du héros ne soit jamais posée.

Une polémique vide a suivi la présentation du film à Cannes, Kusturica étant comme d’habitude accusé de sympathie pour le régime de Milosevic. En France, c’est Alain Finkielkraut qui avait lancé cette accusation (le Monde du 2 Juin 1995), qui refait surface à chaque acte de Kusturica. Il est injuste de condamner une œuvre sur la base de déclarations anciennes et plus ou moins ambiguës de son auteur, et il est aussi infondé de voir dans le film une préférence pour un des partis belligérants que de prétendre que Shakespeare préférait les Montaigu aux Capulet. Finalement, le message du film n’est ni très original ni très profond. On pourrait le résumer ainsi : « la guerre c’est pas bien et c’est pas beau ». Pas de quoi polémiquer.

Benoît d'ANDRE