Le chat du rabbin

Film : Le chat du rabbin (2009)

Réalisateur : François Morel

Acteurs : les voix de François Morel (Le chat), Maurice Bénichou (Le rabbin), Hafsia Herzi (Zlabya), Matthieu Almaric (Le prince du désert)... .

Durée : 01:40:00


Ce film d'animation, graphiquement abouti et fidèle à la BD, prêche la tolérance en critiquant les excès chez les juifs et musulmans, mais prétend indiquer la bonne ou la mauvaise manière de pratiquer sa religion.

Après avoir décroché le César du meilleur premier film avec Gainsbourg, Vie héroique, Joann Sfar adapte sa propre BD, Le chat du
rabbin
. Cette bande-dessinée qui a connu un énorme succès a souvent fait l'objet des convoitises de l'industrie cinématographique mais son créateur a préféré l'animer lui-même.


Du coup le film est la synthèse des différents albums sur l'histoire du chat qui parle. « Soit on décidait de n’adapter que le premier tome de la BD, ce qui revenait à réaliser la chronique tendre d’une famille juive à Alger. Soit on assumait le fait que cette série ne parle pas spécifiquement des juifs, mais d’un chat qui fait face à la religiosité et au colonialisme, et l’on exploitait plusieurs volumes de la série.
C’est le choix que nous avons fait...
 » (Joann Sfar, in dossier de presse). A l'écran on ressent cette synthèse dans les larges ellipses et dans une trame relativement tiré par les cheveux. Le scénario se rapproche davantage d'une fable morale que d'une véritable histoire cohérente. On entre donc rapidement dans un univers décalé propice au cynisme d'un chat « voltairien » (selon le réalisateur) dont les frasques ont plus d'intérêt que l'histoire en tant que telle.


Sans surprise, les graphismes du film d'animation sont fidèles à l'univers
visuel de la série originale. Entre caricature et réalisme, l’œuvre offre une reconstitution assez crédible de l'Alger coloniale des années 20. Les personnages ont le physique de leur caractère : le rabbin rondouillet et débonnaire, le rabbin du rabbin, sec et hystérique, le Malka, noble et exotique, Zlabya jeune et sensuelle... D'après le directeur technique, Antoine Delesvaux, « 
Joann souhaitait une animation qui ait la fluidité des

Aristochats et la justesse de sentiments d’un film live » (in dossier de presse). De fait, les dessins sont très fluides et agréables à l’œil. En revanche, malgré les prestations vocales des acteurs (surtout le chat joué par François Morel), les dialogues n'ont rien de commun
avec un film standard et correspond plus au phrasé d'une bande-dessinée, ce qui n'est d'ailleurs pas forcément un mal. Ainsi, la volonté d'apporter « réalisme et rythme aux personnages » (Antoine Delesvaux,
in dossier de presse) n'est que partiellement accomplie. En réalité, sans un effort du spectateur, la fusion des voix et de l'animation ne fonctionne par toujours bien alors que l'une comme l'autre sont séparément abouties.


Par ailleurs, les textes sont bien écrits et quelques traits d'humour sont appréciables. Malgré un manque de naturel dans les échanges de dialogue, les
personnages expriment tous une personnalité contrastée. Ainsi le peintre russe représente-t-il l'idéalisme d'un artiste sensible qui cherche un pays où règne la paix et la tolérance ; quant au rabbin « 
il représente ce qu’il y a de plus bête chez mes coreligionnaires. Mais plus qu’une caricature de rabbin juif, ce personnage incarne le religieux hystérique. Des comme lui, on en trouve dans toutes les religions ! » (Joann Sfar, in dossier de presse) ; Vastenov, lui, est un tsariste sanguinaire... En définitive chaque personnage est porteur d'un message du réalisateur.


size="2">« Le Chat du rabbin avait une vraie fonction : dédramatiser les histoires entre les juifs, les chrétiens et les musulmans. Tout le monde croit se connaître mais personne ne va jamais manger chez l’autre » (Joann Sfar). Tel est la volonté du réalisateur qui n'hésite pas à faire un clin d’œil au succès de Des hommes et des dieux. Si le message pacifiste, quoique particulièrement banal et politiquement correct, n'est pas une mauvaise chose en soi, le ton condescendant du réalisateur à l'égard des religions est assez exaspérant. « La religion est un sujet beaucoup trop important pour qu’on le laisse aux seuls croyants ! » nous dit-il (in dossier de presse). En d'autres termes, les croyants sont bien gentils mais la religion n'est pas un jouet... Il précise dans un entretien qu'il n'a rien
contre les juifs ou les musulmans, qu'il aime tout le monde mais qu'il trouve que la religion c'est un peu idiot parfois (Allocine.fr.). Ce qui le frappe c'est que la religion est la première à réclamer la tolérance mais qu'en réalité il est très difficile d'avoir des mariages mixtes. Joann Sfar caresse en fait le doux rêve républicain d'une laïcisation des religions sans admettre que, malgré un discours aujourd'hui récurrent tendant à rapprocher les religions par leurs ressemblances, les religions du Livre sont profondément différentes et qu'embrasser l'une d'elle n'est pas sans conséquences sur ses choix de vie, sa spiritualité, son regard sur le monde. Sinon ce serait réduire la religion à une simple croyance folklorique ou une simple préférence culturelle. Le film s'en prend donc essentiellement à un phénomène : le fanatisme, que ce soit chez les juifs ou chez les musulmans (pour une fois, les chrétiens ne sont pas vraiment visés...). Le Cheik Sfar symbolise l'islam modéré qui s'
oppose aux islamistes violents et les met au défi de trouver dans le Coran un seul verset qui interdise de réaliser un portrait du prince du désert. Joann Sfar est simplement dans l'air du temps et se pose en arbitre religieux : il y a le bon et le mauvais musulman, un peu comme le bon et le mauvais chasseur parce qu'au final personne ne comprend très bien quelle est la différence. Ce qui est sûr, c'est qu'il est aujourd'hui impossible d'affirmer que telle ou telle religion est mauvaise : ce serait le summum de l'intolérance (et surtout un risque en terme de sécurité publique dans certains cas). Donc la solution, qui aurait sans doute beaucoup amusé Mahomet en son temps, est que les non-croyants, êtres équilibrés et justes, distinguent la bonne et la mauvaise manière d'être musulman, ou juif... ou chrétien... C'est le boulanger qui vient dicter la bonne ou la mauvaise manière de pratiquer la médecine ! En réalité, l’œuvre entretient une confusion entre religion et phénomènes sociaux
ou géopolitiques. Il est parfaitement vain d'essayer de déterminer qui pratique correctement ou non une religion qui n'est pas la nôtre. En revanche, il est vrai que certains groupes qui revendiquent une religion ont des comportements socialement dangereux. Est-ce la religion qui est « parfois » idiote, comme l'affirme le cinéaste, ou sont-ce les hommes qui le sont ?



Jean Losfeld