Le Complexe du Castor

Film : Le Complexe du Castor (2011)

Réalisateur : Jodie Foster

Acteurs : Mel Gibson (Walter Black), Jodie Foster (Meredith Black), Anton Yelchin (Porter Black), Jennifer Lawrence (Norah), Riley Thomas Stewart (Henry Black)... .

Durée : 01:31:00


Un drame familial sensible et réaliste qui explore différentes manières de se mentir et de mettre en péril notre personnalité.

En compétition à Cannes 2011, Le complexe du castor ne manque pas d'attraits. C'est sous
le signe du réalisme que Jodie Foster a souhaité réaliser son film. Hagen Bogdanski, directeur de la photographie, précise qu'aucun effet numérique n'a été utilisé : « On n'a pas du tout voulu d'éléments fantastiques dans le film. Ce n'est pas un conte de fée, mais l'histoire émouvante d'un homme et sa famille et nous avons voulu la raconter avec simplicité. Tout est réel.» Ce réalisme se manifeste à différents niveaux.

La photographie est sobre et Jodie Foster revendique une influence allemande : « On a utilisé des objectifs anamorphiques, une palette de couleurs sobres et des compositions élégantes. C’est stylisé, avec des influences allemandes. » De fait il en résulte pour le spectateur une facilité d'identification et d'immersion. Tout comme la musique du film sobrement
instrumentée, la discrétion stylistique des images permet une meilleure pénétration de l'histoire.

C'est également dans ce sens que les décors ont été conçus. « Elle voulait que les espaces soient aussi peu encombrés que possible car le film est très riche en émotions. Quand les décors sont peu encombrés, ils laissent libre cours à l’imagination du spectateur, à la manière d’un poème. » (Mark Friedberg, chef décorateur, in dossier de presse). Les décors sont donc ici perçus comme un élément dramaturgique à part entière, un ingrédient de mise en scène dont la fonction est davantage narrative que descriptive. C'est pourquoi Jodie Foster explique que « lorsque le film prend un tour plus sombre, on s'aventure
dans des espaces vides qui reflètent les états d'âmes de Walter
 ». Il faut reconnaître que le résultat est concluant. L'espèce de folie schizophrénique de Walter est accentuée par un environnement exprimant la solitude et le confinement (chambre d’hôtel, chambre de son fils...). La marionnette du castor, en tant qu'accessoire, est également un élément du décor soigneusement choisi. Un peu miteuse et sans intérêt, elle rappelle cette peluche qu'on a tous chez soi dans un vieux carton. Tout le talent de Mel Gibson est d'avoir réussi à lui donner vie tout en effaçant sa personnalité qui pourtant aurait tendance à crever l'écran. Il effectue une prestation remarquable tant dans le travail de la gestuelle que dans la modulation de la voix. Le jeu est tel que le dédoublement de personnalité s'avère particulièrement crédible. Le castor semble avoir sa propre existence et devient peu à peu le cerveau dominant du duo. En plus du jeu d'acteur, Jodie Foster renforce ce
dédoublement par la mise en scène en mettant progressivement Walter hors champ. L'univers psychologique est donc particulièrement bien rendu et cette situation insolite pour l'entourage de Walter qui pouvait prêter au rire devient finalement l'objet d'un véritable drame.


Au premier degré, le film raconte l'histoire d'un homme rongé par la dépression qui trouve un échappatoire en extériorisant sa personnalité positive à travers une marionnette. Pour le producteur Steve Golin, il s'agit davantage d'une métaphore universelle : « Pour moi, la métaphore du castor est présente dans la vie de tous les jours [...] Je crois
que les gens ont tendance à se créer une sorte d’alter-ego, poursuit-il, et ce que raconte le film n’est qu’une exacerbation de ce phénomène : la marionnette du castor n’est au fond que la manifestation concrète de cet instinct tout simplement humain.
 » Le castor est une matérialisation de cette dualité qui sommeille en chacun de nous : un négatif et un positif. Le problème de Walter et ce qui va le conduire à la folie, c'est que vouloir occulter sa dépression et son attitude autodestructrice est un leurre. A force de chercher à effacer une partie de sa personnalité, il finit par perdre la raison, il finit par tuer sa personnalité. C'est pourquoi la marionnette devient tyrannique et que ce qui apparaissait au départ comme le versant positif devient négatif. La fuite n'est donc pas la solution. Ce thème est central et il est décliné à travers l'histoire d'autres personnages.

Tout d'abord le fils adolescent de Walter, Porter, a honte de son père et s’accommode parfaitement de la décision de sa mère de ne plus vivre avec lui. Trait caractéristique d'une adolescence qui se cherche, Porter met une grande énergie à ne surtout pas ressembler à son père. Il établit donc concrètement une liste de choses qu'il ne faut absolument pas qu'il reproduise, comme des tics ou des traits de caractère. Mais en réalité, à l'instar de son père, il occulte une partie de sa personnalité, car ces ressemblances il doit se les approprier afin de les combattre par lui-même. Comme bien souvent, à force de vouloir être différent on finit par se ressembler. En définitive, pour se construire, Porter devra apprendre à être au lieu de chercher à ne pas être.

De même,
le thème de la fuite ou du mensonge à soi-même se retrouve chez la nouvelle amie de Porter, Norah. Celle-ci ne parvient pas à faire le deuil du frère qu'elle a perdu. Porter va donc l'aider, certes maladroitement, à exprimer sa souffrance ce qui lui permettra de l'assimiler.

Enfin, le mensonge est développé dans l'activité lucrative de Porter qui consiste à rédiger les dissertations de ses camarades qui le paient. Il est connu pour avoir une grande capacité à imiter les personnalités des autres en s’imprégnant de leur univers, ce qui lui permet d'écrire sans que le professeur ne se rende compte de la supercherie. Encore une fois le film montre que le mensonge à propos de sa personnalité ne donne que des fruits pourris.

Meredith, la femme de Walter, qui essaie d'aider au maximum son mari, est l'expression de l'honnêteté et de la simplicité. C'est donc à contre-cœur qu'elle décide de mettre Walter dehors, ce qui d'ailleurs ne durera pas longtemps tant elle croit au changement. Elle est également un exemple de patience et de loyauté face à un mari qui perd pied et un fils en crise d'identité.


Jean LOSFELD