Le Dalhia noir

Film : Le Dalhia noir (2005)

Réalisateur : Brian De Palma

Acteurs : Josh Hartnett (Bucky Bleichert), Scarlett Johansson (Kay Lake), Hilary Swank (Madeleine Linscott), Aaron Eckhart (Sergent Lee)… .

Durée : 02:00:00


Brian De Palma commençait à inquiéter quelques uns de ces admirateurs avec ces derniers films comme Femme fatale (2002) ou son étrange Mission to Mars (2000), et le voilà qui réapparait avec un film aussi noir que son Dahlia.

Revenu dans un genre qu'il maîtrise, le cinéaste de Scarface a pris en main l'adaptation du roman homonyme de James Ellroy (1987) inspiré du
meurtre légendaire de la starlette américaine Elisabeth Short retrouvée morte le 15 janvier 1947 dans la ville des Anges, 39th and Norton près de Leimert Park. Cette affaire irrésolue a défrayé la chronique dans les années 40 et 50 et a donné lieu à de nombreuses élucubrations, théories variées, et faux témoignages.

L'adaptation du best-seller de James Ellroy imposait de nombreuses contraintes. Tout d'abord, Le Dahlia noir s'insère dans une série d'œuvre sur la dualité de la ville de Los Angeles construite par l'esprit imaginatif de l'auteur: Los Angeles de maintenant et Los Angeles d'autrefois*. Ellroy dit vivre encore dans cette dualité temporelle et c'est un univers bien personnel qu'il fallait mettre à l'écran. Ne pas saisir l'atmosphère, l'ambiance et le conteste de l'histoire aurait été un échec flagrant. Une autre difficulté afférait à la complexité du récit, complexité psychologique, complexité rythmique, complexité diégétique. Partant de faits réels mais fabriquée de toute
pièce, l'histoire est riche en rebondissements et en explications alambiquées.

C'est pourquoi le scénario se devait d'être à la hauteur de ces attentes et le travail de Josh Friedman (La Guerre des mondes, Steven Spielberg, 2005) est globalement satisfaisant. Difficile à comprendre dans un premier temps, le scénario est pourtant remarquable dans sa précision et sa densité. Rien n'est laissé au hasard, aucune scène approximative ne vient alourdir le rythme et l'histoire reste finalement intelligible. Friedman (le scénariste) ne considère pas le Dahlia noir comme un livre de genre, mais plutôt comme une fiction historique et tente de l'aborder avec le sérieux requis en respectant au mieux la manière qu'a Ellroy de construire et révéler ses personnages*.

Cependant, malgré les caprices de toute adaptation, Brian De Palma, imposé dans le genre du film noir avec des œuvres comme Scarface (1984), Les incorruptibles (1987) ou encore L'impasse (1994), n'a pas renié son savoir-faire. Si
l'on reprend quelques pistes de réflexions de Raymond Borde et Etienne Chaumeton (Panorama du film noir américain), Le Dalhia noir possède toutes les caractéristiques du genre. Tellement qu'on se demande presque si ce film n'est pas une illustration pédagogique de la notion ; sans aller jusque là, il est clairement un hommage aux thrillers des années 40 et 50 rendues mythiques par des couples comme Humphrey Bogart et Lauren Bacall ou Fred MacMurray et Rita Hayworth *. Baigné dans un décor expressionniste, Le Dahlia noir met en scène des personnages aux psychologies complexes qui entretiennent des rapports ambigus : la relation triangulaire Bucky-Kay-Lee n'est pas clairement dessinée et maintient le spectateur dans un climat de suspicion et de malaise. Vivent-ils tous les trois ensemble ? Lee est-il secrètement amoureux de Kay ? Etc. Le plus transparent, ou le moins opaque, est Bucky, héros de l'œuvre écrite à la première personne dont on pénètre la conscience grâce à la voix off. On a également le droit
de percevoir un bout de son intimité familiale lors de tendres scènes où apparaît son père. Les seconds rôles quant à eux sont solidement campés grâce à un casting pertinent (Hilary Swank, oscarisée pour Million Dollar Baby, est parfaite en femme fatale sensible, fragile mais cruelle) et à une écriture scénaristique efficace.

Au-delà de l'importance fondamentale des personnages, ce qui consolide les bases de ce film noir, c'est encore la volonté du cinéaste de noyer le spectateur par des effets troublants de mise en scène. En effet, selon un schéma classique non linéaire, le récit permet dans premier temps de dessiner les personnages, les décors et l'ambiance, de donner des illusions de repères pour les briser dans un second temps et enfin intensifier le rythme vers une fin héroïco-tragique. Le réalisateur le confirme en avouant que jouer avec les intrigues secondaires et perdre le spectateur au milieu d’indices qui, chaque fois, remettent tout en cause était vraiment un plaisir*. Désorienté
par une série de flashbacks, trompé dans ses sentiments, le spectateur s'abandonne à l'implacable dénouement. Il faut reconnaître à Brian De Palma cet art de mener la danse comme il l'entend par le jeu de ralentis, d’ellipses et de plans-séquences en travelling dont il a le secret (voir le passage où Bucky découvre les lieux du crime, ou encore le magnifique travelling ascendant accompagné des cris de deux funestes corbeaux au-dessus de la 39th and Norton juste avant la fusillade : brillant exemple de concision et de mise en situation).

Enfin, comme beaucoup d’autres films de De Palma, Le Dahlia noir est empreint d’influences hitchcockiennes. Que ce soit le rôle de Kay, élégante blonde en recherche de sécurité sortie tout droit des fantasmes d’Hitchcock, adroitement interprétée par Scarlett Johansson, les plans soignés saturés d’indices, ou la façon de mener l’intrigue, Brian De Palma s’affiche encore une fois en digne fils spirituel du réalisateur qui l’a tant marqué à l’âge de 18 ans (lors de
la vision de Sueurs froides, 1958).

Ce film est une descente aux enfers. On utilise de forts contrastes, beaucoup d’ombres et des contre-plongées (Brian de Palma*).

Ainsi, ce film n’est pas noir pour rien. Désignant une certaine forme esthétique aux contours imprécis et surtout évolutif, l’expression « film noir » se réfère surtout à un contenu dont on a précédemment vu l’un des aspects : la psychologie complexe des personnages. Partagés entre le bien et le mal, les protagonistes vivent à la fois dans l’ombre et la lumière, sont à la fois rassurants et intriguants. Leurs motivations, loin d’être limpides, sont pétries d’anxiété et de courage, d’amour et de haine. Perdus dans le labyrinthe de leurs sentiments ils sont attirés par une lueur, par une rédemption. Lee est peut-être plus encore que Bucky la meilleure illustration. Son cœur est chevaleresque mais il est aussi fragile qu’un cristal entre les mains d’un enfant. Sa passion, sa fougue va le conduire à sa perte, d’abord
morale, puis aussi à titre de symbole à la perte de sa vie. Comme tout bon film noir, le réalisateur cherche à réveiller la compassion pour ses pantins manipulés par leur destin. La compassion n’est pas l’excuse et la plupart du temps les événements ont une valeur symbolique : le mensonge pour la détresse, la mort pour le châtiment… Cependant le risque est d’effacer toute trace d’innocence, et à force de s’enfoncer dans les méandres de la noirceur humaine, la bougie étouffée s’éteint pour nous plonger dans l’obscurité la plus totale.
Voulues par un sujet scabreux et par un genre où l’érotisme et la violence sont une constante, certaines scènes ont la pudeur d’une prostituée des quartiers chauds de Los Angeles, la délicatesse d’un boxeur en fin de round et la fraîcheur d’un cadavre mutilé. Autant dire, que Le Dalhia noir est une œuvre réservée à un public solide même si De Palma est assez fin pour ne pas insister lourdement sur les images.

* (in notes de production)


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Jean LOSFELD