Le dilemme

Film : Le dilemme (2011)

Réalisateur : Ron Howard

Acteurs : Vince Vaughn (Ronny Valentine), Kevin James (Nick Brannen), Jennifer Connelly (Beth), Winona Ryder (Geneva Backman), Channing Tatum (Zip), Queen Latifah (Susan Warner) .

Durée : 01:52:00


Une comédie très bien ficelée qui aborde en profondeur le thème de l'amitié. Dommage pour les quelques images graveleuses.

A la différence du Da Vinci Code (2006), que Ron Howard avait particulièrement mal traité, Le dilemme est un film assez bien réalisé. Les ressorts classiques de la comédie sont ici les vecteurs d'un fond assez réfléchi. Le réalisateur démontre une polyvalence qui ne trahit pas son excellent film un Homme d'exception (2002), et Vincent Vaughn continue de jouer les quadragénaires en crise existentielle comme dans Thérapie de couples un an plus tôt. Ron Howard exulte « Je n’ai jamais managé ma carrière en référence à un genre ! J’aime toutes sortes de films : les petits, les gros, les comédies, les drames, les thrillers, les films fantastiques. Les comédies figurent parmi mes favoris, mais j’aime qu’elles comportent une part d’imprévu, comme tout film digne de ce nom. Rien n’est plus ennuyeux que de suivre des chemins balisés. » (in dossier de presse). Le jeu des acteurs est d'ailleurs très bon, et il convient de saluer la performance de Channing Tatum, qui incarne un doux dingue avec une sincérité déconcertante.

Le scénario est bien ficelé et la caméra introspective, ce qui colle assez bien au style du film.

 

Sur le fond les deux questions principales sont celles de l'amitié et de la vie de couple.

L'amitié qui unit Ronny et Nick, seuls vrais protagonistes du film n'est pas une amitié de circonstance, ou une amitié intéressée. Ron Howard est très clair : « L’histoire est bâtie sur l’amitié de ces deux gars, une amitié mise à rude épreuve tout au long du film. » Au début du film, Ronny découvre que Nick est trompé par Geneva, sa femme, qui est, précision importante, une amie de longue date de Ronny. Or les deux compères sont sur le point de signer un contrat de la plus haute importance, et Nick est déjà très, très stressé. Faut-il donc protéger Geneva et ménager Nick ? Ou dénoncer l'adultère et déstabiliser son ami ? Pour Ron Howard «  l’accent est davantage mis sur les notions de confiance, de vérité et de franchise. Jusqu’où pouvons-nous faire confiance à ceux dont nous sommes les plus proches ? » Ronny est tourmenté et décide de tout dire. Mais Geneva le menace : s'il le fait, elle s'arrangera pour faire croire qu'il lui fait des avances, et comme ils ont déjà couché ensemble une fois... Vince Vaughn s'amuse : « Ronny croit engager avec elle une partie d’échecs, alors que Geneva pratique… le jeu de dames, qui est plus rapide et plus expéditif. » (in dossier de presse). Alors il décide d'apporter des preuves de l'adultère, ce qui lui attire plaies et bosses qui inquiètent Beth, sa propre femme. Bref, un vrai bazar à l'image des problèmes que se fabriquent nos contemporains, ce que ne renie pas la production : « Vince incarne par excellence le type ordinaire qui nous ressemble et qui a la faveur des femmes. Il nous permet de rire de nous-mêmes et des situations délicates dans lesquelles nous nous enlisons parfois. » (Brian Grazer). Car Ronny peine sérieusement à établir une hiérarchie entre les biens. Il est évident que l'amitié est un bien supérieur à celui de l'argent, donc du contrat, aussi gros soit-il ! De ce fait peu importe le contrat ! Geneva menace de le calomnier ? Mais là encore qui dira que la très noble vertu de justice ne vaut pas la peine de se sacrifier pour elle ? Ronny aurait sans aucun doute dû risquer les conséquences d'une calomnie en dénonçant l'adultère, plutôt que de trahir son ami. On pourrait objecter que Geneva est aussi son amie, et qu'il doit donc choisir entre deux amis. Mais une fois de plus, reste à savoir ce qui est juste : Geneva a-t-elle raison de tromper son mari ? Évidemment non. Ronny n'a donc pas le choix entre deux amis mais entre un acte injuste, protéger l'adultère, et un acte juste, informer son ami du tort qui lui est fait.

 

Mais il est un autre problème qui perturbe grandement ce pauvre Ronny. Il semblerait que son ami ne soit pas tout blanc. D'après Geneva, il serait même assez familier des charmes d'une petite asiatique et, vérification faite, c'est effectivement le cas. Ronny est donc le témoin de désordres graves au sein du couple de ses amis. C'est le deuxième thème du film. La vie de couple est en effet interrogée tant à l'occasion de ce problème que dans sa relation avec sa propre femme : Beth, qui n'est d' ailleurs que sa concubine. Concernant cette dernière relation, Ronny commet l'erreur objectivement impardonnable de ne pas partager ses tracas avec celle qu'il compte épouser. Beth le lui reproche à raison, mais elle est aussi coupable d'un léger manque de confiance à l'égard de Ronny. Elle a refusé sans lui en parler une offre de poste à Las Vegas, parce qu'elle craint que son chéri retombe dans le vice du jeu. Pourtant ce manque de confiance est tout relatif. N'est-ce pas une marque de délicatesse que de ne pas vouloir mettre son mari en occasion prochaine de rechuter ? N'est-ce pas une preuve d'amour de refuser une magnifique opportunité pour cela ?

Quoiqu'il en soit, cet ajustement que le couple doit faire est une pécadille à côté des problèmes de leurs deux amis. Les tracas de Ronny prennent en effet une autre dimension : doit-il se mêler de ce qui ne le regarde pas ? A vrai dire, il est évident que ces événements le regardent. D'une part parce qu'ils sont ses amis et que, de ce fait, il ne peut souhaiter que leur bien ; et d'autre part parce que c'est Geneva qui l'implique plus profondément dans ce bourbier en lui révélant les travers de son mari. Le premier fait est souvent difficile à comprendre pour un jeune. Comment se fait-il que l'on puisse accepter de faire de la peine à un ami ? Dans la fiche thématique sur L'amitié au cinéma, nous avons donné les différentes conceptions que le cinéma a pu exposer de l'amitié, en défendant le fait que faire de la peine à un ami pour son bien était la plus grande preuve d'amitié. Sans entrer dans les détails, il est évident que se mêler des affaires de parfaits inconnus est bien différent que d'essayer d'aider ses amis à résoudre un problème, d'autant que Ronny ne se complaît pas à rentrer dans leur intimité. Il en est même gêné.

 

Il reste que les décisions qu'il a prises de ne parler de ses tracas ni à son ami, ni à sa femme sont assez mauvaises et projettent le spectateur dans un imaginaire pas si virtuel. Et nous, à sa place, qu'aurions-nous fait ?