Le Loup de Wall Street

Film : Le Loup de Wall Street (2013)

Réalisateur : Martin Scorcese

Acteurs : Leonardo DiCaprio (Jordan Belfort), Jonah Hill (Donnie Azoff), Margot Robbie (Naomi Lapaglia), Matthew McConaughey (Mark Hanna)

Durée : 02:59:00


Une vingtaine d'années après Casino et Les Affranchis, deux gloires de sa filmographie, Martin Scorsese voulait se remettre à son thème de prédilection : la vanité de l'argent. Et impossible de ne pas comparer Casino, surtout, à son Loup : les thèmes sont les mêmes, la structure des rôles également (un trio). Jordan Belfort, ancien trader devenu millionnaire en quelques années après la crise, a écrit un livre après avoir été repéré par le F.B.I., d'où le film provient. L'histoire idéale pour illustrer le monde de la corruption, de la cupidité, créateur de paradis artificiels et éphémères, comme le montraient déjà ses deux longs-métrages cités précédemment. Scorsese voulait manifestement montrer qu'il était le seul maître du domaine même vingt ans plus tard.

Et au final, on aurait préféré qu'il nous refasse le même avec d'autres. Leonardo Di Caprio, Matthew Mac Conaughey, et la talentueuse (pas que plastique, Scorsese ne prend pas n'importe quelle bimbo ) Margot Robbie avaient à peu près de quoi reprendre le flambeau du colérique Robert De Niro, associé à l'incontrôlable boule de nerfs Joe Pesci et l'électrique Sharon Stone. Tous les ingrédients étaient là.

Scorsese a voulu produire sur le spectateur le même effet que le référentiel Casino : le dégoût de l'argent sale, du désir jamais satisfait d'en avoir toujours plus. Autrefois, il passait par la violence, très lourde et choquante. Ici, comme le monde des courtiers est loin d'être aussi dur, même avec la description (caricaturale ? doit-on croire le témoignage de Belfort ?) que le livre à l'origine en fait, ce qui pousse à écœurer par un autre élément : le sexe. Et c'est alors le déluge. Un déluge de scènes aussi inutiles que crues, ce qui étonne franchement de la part de celui qui n'avait pas montré une seule seconde de ce type dans ses films de mafia d'antan. Maître Scorsese savait fort bien sous-entendre ces pratiques sans nullement les montrer. « Comment dégoûter ces gens habitués à tout ? » a-t-il dû se dire.

En plus de prendre un aspect de production pour baveux en manque d'images orgiaques, le film y perd beaucoup de temps (on approche les trois heures au total), qui aurait pu servir pour approfondir les rapports humains entre les personnages, par exemple, belle lacune du film, quand Casino les étudiait de très près avec des colères magistrales jouées entre les trois protagonistes.

Musique décevante (oubliez la géniale ouverture de Casino, dans les lumières de Las Vegas accompagnées par la Passion selon St Mathieu de Bach), image presque neutre (peu de couleurs pour un film dont l'histoire commence en 1987), pas d'éclairs de génie (le reflet du nuage de sable de la voiture de Pesci sur les lunettes de De Niro, adieu aussi !), du sexe à en vomir, de la drogue comme si on voulait s'y initier

Scorsese insiste trop sur l'hédonisme de ses loups, zappe à peu près l'étude des caractères, heureusement effleurée par les acteurs, ce qui mène à une chute inexorable et prévisible manquant de transitions, de nuances, de phases intermédiaires. Les conflits finaux sont compréhensibles, mais leurs premiers effets nocifs oubliés (Casino montrant par exemple la déchéance du personnage de Sharon Stone avec une gradation réaliste et fouillée on en est si loin !).

Pour ne pas sortir complètement frustré, on retient tout de même la prestation hors-norme de Di Caprio, toutefois gâchée ici et là par le ton narratif trop souvent humoristique (ça apprendra à Scorsese d'aller chercher un scénariste qui n'a fait que de la série ...). Après avoir bien ri, on peine à réaliser rapidement la gravité de certaines situations, où le silence est toujours préféré à la musique tragique, qui aurait été quelques fois parfaite ... Mac Conaughey ? Stop à l'arnaque : il en met plein la vue mais on le voit cinq minutes. Une belle erreur, qui s'oublie à peu près dans les autres seconds rôles, tous excellents. Oui, il restait encore des défauts. On retient également, en regrettant amèrement de ne pas en avoir eu plus, les très rares scènes dramatiques, de très loin les meilleures, qui sont d'autant plus frustrantes qu'elles montrent que Scorsese avait amplement les restes pour faire un chef-d'oeuvre, s'il s'y était pris autrement. La narration, même si la farce cynique s'y invite trop régulièrement, demeure le domaine qui frise la perfection chez le vieux Martin, soutenue par quelques idées de mise en scène originales et inspirées.

Quel dommage, au final. Ecoeurant, il le fallait, pour condamner ces types (ou ce monde ? on évite de peu le rabâchage anti-traders), mais c'est le film lui-même, en préférant toujours montrer que suggérer, qui le devient. Terrible gâchis d'une histoire et d'un casting parfaitement taillés pour les tours de Scorsese. Malheureusement, le maître a vraiment manqué d'auto-critique. Espérons qu'il retrouve son flair pour The Irishman, prévu avec De Niro, Al Pacino et Pesci pour l'année à venir ...