Le paradis de l'enfance

Film : La Gloire de mon Père (1990)

Réalisateur : Yves Robert

Acteurs : Julien Ciamaca (Marcel Pagnol à 11 ans), Philippe Caubère (Joseph Pagnol), Nathalie Roussel (Augustine Pagnol), Victorien Delamare (Paul Pagnol), Didier Pain (Oncle Jules), Thérèse Liotard (Tante...

Durée : 1h 45m


La gloire de mon Père est le premier tome de la série des Souvenirs d’enfance écrite par Marcel Pagnol. Paru en 1957, il connut immédiatement un immense succès, tout comme sa suite Le château de ma Mère sorti l’année suivante. Outre leur qualité littéraire, ces livres se distinguent par leur fraicheur, la joie de vivre qui s’en dégage et leur humour. Très tôt, dès les années 60, Yves Robert s’était intéressé à leur transposition cinématographique, mais Marcel Pagnol souhaitait le faire lui-même. Il n’en trouva jamais le temps, et après son décès le projet d’Yves Robert fut longtemps entravé par la question des droits de succession. Ce n’est qu’en 1990 que sort sur les écrans La gloire de mon père, 53 ans après la parution du livre éponyme et 16 ans après la mort de Marcel Pagnol.

La plupart des spectateurs et des critiques saluèrent la fidélité du film à l’œuvre littéraire, tant sur la forme que sur le fond. Bien plus encore, les commentateurs furent unanimes à exprimer combien il leur rappelait leur propre enfance. Comment les souvenirs d’un petit Provençal monté à Paris pour y faire une carrière littéraire, puis cinématographique pouvaient-ils à ce point correspondre à ceux de plusieurs générations de Français, très différents par l’âge et les origines géographiques et sociales ?

Ce qui caractérise en premier lieu le film d’Yves Robert, comme l’œuvre de Pagnol, ce sont l’humour et la joie de vivre qui baignent l’œuvre. La truculence de l’oncle Jules, avec ses belles bacchantes et son accent « qui roule les R comme les cailloux d’un ruisseau », l’ironie qui atténue la sévérité de Joseph, le père de Marcel, et qui teinte les commentaires, directement issus du livre et lus en voie off, produisent tout au long du film une atmosphère légère et souriante, y compris dans les moments plus dramatiques, comme lorsque Marcel se perd dans la colline ou lors du départ à la fin des vacances.

On reste ensuite frappé par l’amour des parents envers leurs enfants. Leur bienveillance, leur compréhension et leur capacité d’écoute semblent sans limite ; la scène dans l’atelier de bricolage du père de Pagnol, comme celle où Augustine, la mère de Marcel, console ce dernier qui s’inquiète de ne pas retrouver en son père un expert cynégétique, sont de petites leçons de communication parentale. Il y a certainement une part d’idéalisation dans le récit, mais elle témoigne de l’amour presque fusionnel que Marcel avait pour sa mère, et de la fierté qu’il éprouvait à l’égard de son père. Toutefois, Marcel garde une certaine lucidité, lorsqu’il relate ses premières découvertes des mensonges des adultes (« on peut mentir aux enfants lorsque c’est pour leur bien »). C’est aussi ce mélange de confiance et d’amour, avec une petite pointe d’interrogation et de doute, qui donne sa véracité à ces souvenirs d’enfance.

On n’était probablement pas riche chez les Pagnol en ce début de XXe siècle, et pourtant à aucun moment ne transparaît la notion de gène ou de privation dans cette famille issue d’un instituteur et d’une petite couturière. La mise en scène y est certes pour quelque chose, mais on retrouve le même sentiment d’abondance dans le livre de Pagnol. Cette abondance, réelle ou fantasmée, associée à la confiance envers les parents, engendre une atmosphère d’insouciance qui participe à la gaieté de l’ensemble. Les enfants partent jouer dans les collines, parcourent des kilomètres à travers garrigue et petits bois sans que personne ne s’inquiète. Heureuse vie dans la nature, qui fut « les plus beaux jours de la vie » de Marcel Pagnol !

Comme beaucoup de récits d’enfance, la gloire de mon père est aussi celui d’une initiation : celle de la découverte de la vie, du monde des adultes et surtout de ses chères collines. Comment pourrait-il en être autrement, avec un père instituteur qui répétait « qu’il ne faut jamais laisser passer une occasion de s’instruire » ? Les scènes dans la nature sont à cet égard particulièrement réussies : qui n’a jamais joué avec des cigales, ne s’est émerveillé devant un orage de montagne, ni chassé de papillon dans la chaleur de l’été ?

L’amour, la compréhension, l’abondance, l’insouciance, la découverte : ce film réunit tous les ingrédients d’une enfance idéale, peut-être un peu mythifiée, au point que d’aucuns y ont vu la nostalgie d’un passé idéalisé et chimérique. On peut remarquer aussi que ces cinq points résument bien le paradis terrestre, tel qu’on le trouve décrit dans la Genèse et aussi dans bon nombre d’autres traditions religieuses. Et si c’était cela l’enfance, un paradis dont chacun de nous garde la nostalgie toute sa vie ?