Le rite

Film : Le rite (2010)

Réalisateur : Mikael Håfström

Acteurs : Anthony Hopkins (Père Lucas Trevant), Colin o’Donoghue (Michael Kovak), Ciarán Hinds (Père Xavier), Alice Braga (Angeline), Toby Jones (Père Matthew)… .

Durée : 01:52:00


Le Rite aborde le problème de la foi au travers de la question de l’exorcisme, en jonglant avec le côté sensationnel et réaliste du sujet dans une mise en scène efficace.

Le genre n’en est pas à sa
première manifestation. Le plus célèbre reste sans doute L’exorciste de William Friedkin produit en 1973. Il a été suivi par des films spectaculaires comme Le dernier exorcisme (2010) ou plus raisonnables comme L’exorcisme d’Emily Rose (2005) réalisé par Scott Derrickson, davantage un film-procès qu’un film d’épouvante. Ces films sont souvent des succès à leur sortie pour des raisons variées qui vont de l’envie d’avoir peur à la curiosité. Le sujet de l’exorcisme, pris au sérieux par les athées comme par les croyants, pose donc la question de la légitimité de l’œuvre de fiction pour en traiter. On se contentera de répondre que la bonne fiction est celle qui permet d’accéder, par le biais d'une histoire inventée, à des réalités tangibles. On admet alors qu’un film de fiction est aussi légitime qu’un film documentaire à partir du moment où le sujet est traité avec objectivité et dans le respect des convictions de chacun, ce qui est rarement le cas.


L’objectivité est précisément ce qu’il y a de plus difficile à garder dans une fiction cinématographique qui par essence s’adresse à la fois à la raison et au sens. En ce sens, Le Rite est un film relativement équilibré. Il est intéressant de voir que la critique dénonce tantôt son côté spectaculaire qui pourra rebuter des croyants, tantôt son manque de rythme qui pourra décevoir les fans du cinéma d’horreur. Il convient donc d’analyser si le sujet est maîtrisé et respecté artistiquement.


Comme son ancêtre de 1973, Le Rite est estampillé « inspiré de faits réels, »
ce qui a évidemment toujours permis d’attirer le chaland en lui proposant de remettre en question sa vision du monde. Au-delà de sa force évidemment commerciale, ce slogan place la barre assez haute dans l’exigence de conformité avec la réalité. C’est donc à la fois une facilité et un défi pour les cinéastes.

Les dits faits réels sont tirés du livre Le Rite, un exorciste aujourd’hui (2011), écrit par le journaliste Matt Baglio qui a suivi la formation d’exorcisme du père Gary Thomas devenu le jeune séminariste Michael Kovak dans le film. Cette différence est importante puisque le scénario a préféré marquer l’évolution de son personnage qui passe du scepticisme à la foi. Cet artifice scénaristique permet de rajouter une tension et très certainement d’accentuer l’identification du spectateur au héros. Sans aller plus avant dans le jeu des sept différences, le père Gary Thomas indique lors d’
une interview qu’il y a eu quelques libertés de prises mais il pense que le message principal est présent et que c’est un film sur la foi (http://catholicexchange.com/2011/02/04/147401/). L’auteur du livre était d’ailleurs conseiller technique pendant le tournage ce qui laisse croire qu’il y avait de la part de la production un souci d’authenticité. D’ailleurs, Tripp Vinson, producteur, a clairement affiché que « pour réussir un film comme celui-ci, il faut traiter le sujet avec respect »*. Ainsi, malgré le besoin de rendre l’histoire plus cinématographique, le scénario a manifestement été rédigé avec soin, du moins d’un point de vue factuel. Cette idée est renforcée par la présence du scénariste, Michael Petroni (catholique pratiquant selon le site Catholic Online), qui ne semble pas indifférent à ce type de sujet puisqu’il a écrit le scénario du Monde de Narnia : L'Odyssée du Passeur d'aurore, parfois pointé du doigt pour son prosélytisme religieux, Possession, un étrange
échange de personnalité, et la première saison de la série Miracles, qui suit un homme chargé d’enquêter sur des miracles.

Une certaine bienveillance à l’égard de l'Église catholique est palpable. Elle y est représentée comme moderne avec des infrastructures impressionnantes, ouverte puisque les journalistes sont autorisés à assister au cours si particulier sur l’exorcisme, avec des prêtres pleins de sagesse et convaincus, de jeunes séminaristes bien dans le temps… Bref le mot d’ordre est la modernité et le sérieux. Cette rare sympathie à l’égard de cette institution qui a traversé les siècles contraste avec les déchaînements médiatiques récents. En revanche, les cinéastes, qui ont pourtant passé beaucoup de temps à Rome et se sont entretenus avec de nombreux exorcistes, masquent une autre réalité, celle du scepticisme voire de l’hostilité à l’égard de ce ministère très mal perçu par
certains prêtres, cardinaux et même évêques qui ne croient pas au diable. C’est en tout cas le point de vue d’un certain nombre d’exorcistes et notamment du célèbre père Amorth (70.000 exorcismes selon lui) qui officie à Rome et n’a pas ménagé ses propos : « Nous avons beaucoup de prêtres et de nombreux évêques qui, malheureusement, ne croient pas à Satan », jusqu’à affirmer qu’il existe des sectes sataniques au sein même du Vatican (In Mémoires d’un exorciste. Ma vie dans la lutte contre Satan, edit. Piemme). Quoiqu’il en soit, comme le rappelle le scénariste dans une interview (http://www.movieweb.com/movie/the-rite/michael-petroni-interview), l'Église d’aujourd’hui a décidé de reprendre ce créneau délaissé pendant des années en formant une armée de prêtres exorcistes afin d’en avoir au moins un par diocèse. C’est davantage sur cet aspect des choses que les cinéastes ont voulu concentrer leurs efforts.


Scénario fidèle, bienveillance à l’égard de l’Eglise, qu’en est-il de la crédibilité des images ? Le père Amorth considère que le film de 1973, L’exorciste, est viable malgré l’exagération de certains effets spéciaux. Pour Le Rite, il faut reconnaître que le réalisateur a pris soin de rester un maximum réaliste en évitant la caricature. Le pari semble réussi. L’équipe technique et les acteurs ont assisté à quelques exorcismes qui leur a permis de voir la réalité des choses et de l’aborder avec respect même pour les non-croyants d’entre eux. Ainsi, d’après ce qu’on peut lire des récits d’exorcismes, la plupart des événements relatés dans le film ce sont déjà produits. La vexation diabolique selon la théologie catholique est une influence extérieure du démon occasionnant des dommages sur la santé et les biens. Le petit garçon du film
est donc victime de vexations qui ont marqué son corps de manière inexplicable. D’autres faits conduisent le jeune séminariste à quitter son scepticisme : une possédée qui recrache des clous (le père Amorth dit en avoir une collection), l’utilisation de langues que la personne ne connaît normalement pas, une vive réactivité à tous les signes religieux, des jurons, la connaissance de faits intimes sur les personnes présentes, une force surhumaine, l’infestation d’animaux (en l’occurrence des grenouilles), révulsions des yeux, transformation de la voix, la mort d’un patient (un possédé est généralement mis en danger physiquement)… Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la réalisation se caractérise par une certaine sobriété malgré l’utilisation évidente d’effets spéciaux et une musique pesante. Ce qu’il faut souligner, c’est que certains exorcismes sont en eux-mêmes ahurissants sans qu’il y ait besoin de rajouter du folklore. Alors quelle est la part du sensationnel ? Selon le producteur Tripp
Vinson « pas besoin d’en rajouter, la réalité est plus fascinante que tout ce que vous pouvez imaginer »*.


Il est vrai que tout cela n’est pas filmé à la Cloverfield en caméra amateur (ce qui aurait pu être un parti-pris) et que le côté fiction est assumé. Certains déploreront ainsi l’omniprésence d'une bande son oppressante un peu artificielle. Malgré tout, on peut la justifier par la volonté des cinéastes de donner un avant-goût de ce qu’une personne possédée ou vexée peut connaître (voix, rire, interpellation….). Un film sur une maladie mentale aurait pu employer ce type d’effets sans que personne ne trouve cela contestable. On est alors à la limite du spectaculaire commercial. Et de l’avis de nombreux exorcistes, tantôt hostiles à ce type de films, tantôt
accueillants, il ne faudrait pas limiter l’exorcisme au spectaculaire car, selon eux, les cas extrêmement graves sont très rares. Or on remarque que le film ne représente pas suffisamment le quotidien des exorcistes qui connaissent des situations beaucoup moins guerrières. Il en résulte un risque de contre emploi qui tend à montrer aux spectateurs uniquement le côté glauque du ministère et de la religion. Cependant, la première scène d’exorcisme cherche à équilibrer en faisant assister à une séance de moindre envergure qui fera dire à un Kovak plus sceptique que jamais « C’est tout ? » après quoi le père Lucas, interprété avec nuance par un Anthony Hopkins au sommet de son art, demandera ironiquement s’il s’attendait à voir des sauts au plafond. Ainsi, tout serait une question de point de vue. Pour un exorciste expérimenté, les faits relatés pourront paraître réalistes mais excessives pour un spectateur lambda. En tout état de cause, il peut paraître déplacé de publier des photos de
véritables exorcismes sur le site officiel de la Warner sur le film, car il s’agit sans doute encore, à défaut d’explications précises, de flatter un certain goût pour le glauque. Il convient donc de faire la part des choses entre ce qui est sincère et ce qui est commercial, sans doute orchestré par les distributeurs (la bande-annonce est assez peu représentative du film).


D’un point de vue plus théologique que factuel, certains pourront trouver étonnant qu’un simple séminariste puisse procéder à un exorcisme, mais s’il est exact que seul l’évêque ou un prêtre désigné par lui peut en principe le faire, un séminariste (qui en cours de cursus reçoit le titre d’exorciste) peut entreprendre le rite en cas d’extrême urgence (ce qui est le cas). Il peut être également choquant qu’une femme
enceinte soit possédée, ou un enfant tourmenté. Il est évident que ces cas permettent au film d’être plus percutant, et c’est d’ailleurs une sorte d’étrange point commun à beaucoup de films sur la possession que les victimes soient des femmes ou des fillettes. Néanmoins, pour ceux qui veulent creuser la question, la théologie de l'Église catholique enseigne qu’il existe trois causes de possession (prise de contrôle absolue du corps d’une personne par le démon). Soit il s’agit d’une faute du possédé qui s’est adonné à une pratique illicite (occultisme, spiritisme, messe noire, etc.). Soit il s’agit de la faute de quelqu’un d’autre, comme un membre de la famille qui pratique la sorcellerie, ou d'un sortilège d’une personne malveillante (selon les exorcistes cette hypothèse est la plus fréquente, notamment dans les cas de vaudous). Soit il s’agit d’une épreuve expiatoire autorisée par Dieu pour éprouver la vertu d’un homme ou d’une femme.


L’un des messages du film est que le Vatican cherche à former des sceptiques. Il convient d’expliciter ce point exprimé maladroitement dans le film. Le scepticisme dont il est question n’est en effet que celui de la présence ou non de Satan dans certains cas, ce qui doit pousser le prêtre à faire acte de discernement et à travailler avec des médecins. Il ne s’agit pas de dire que douter de sa foi est une force. Sur ce point le film traite assez bien du doute. Le père Lucas explique avec un peu d’humour que parfois il ne sait plus s’il croit en Dieu, au Diable ou à la fée Clochette, mais qu’il se sent à chaque fois expulsé vers la lumière. Il ajoute que (et c’est la réplique préférée de Hopkins) ne pas croire au diable ne nous en protégera pas. C’est donc, comme le dit le père Thomas, un film sur la foi qui en exprime la difficulté. C’est en quelque
sorte une manière de tordre le coup aux préjugés sur les croyants qui seraient des gens manipulables, des obsessionnels ou des idiots. Le film parle d’un choix, le choix de Kovak sera finalement de croire et d’endosser l’habit de prêtre. Est-ce pour autant un film réservé aux croyants ? Il n’en est rien. D’ailleurs les acteurs et les membres de l’équipe ne sont pas tous croyants. Mais ils partagent tous ce respect pour quelque chose qui échappe totalement à la science et qui est loin d’être des élucubrations de grenouilles de bénitiers. Le spectateur est simplement amené à s’interroger sur la réalité de ses propres croyances. « Ce n’est pas un film d’horreur traditionnel. C’est un film de fiction, mais ancré dans le réel. Lorsque j’ai lu le scénario, j’ai senti qu’il me permettrait de parler de la possession démoniaque sous un angle inédit, et d’entraîner le spectateur dans un univers fascinant et riche en suspense »* (Michael Hafström).

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Jean Losfeld


*Notes de production