Le Seigneur des anneaux : la communauté de l'anneau

Film : Le Seigneur des anneaux : la communauté de l'anneau (2001)

Réalisateur : Peter Jackson

Acteurs : Elijah Wood (Frodon Sacquet), Sean Astin (Sam), Ian McKellen (Gandalf), Sala Baker (Sauron)

Durée : 02:45:00


            Retranscrire un message éducatif et spirituel dans un film, tout en le plaçant dans un univers merveilleux : tel est le défi relevé avec brio par le réalisateur Peter Jackson, spécialiste du cinéma fantastique [King Kong (2005), District 9 (2009)]. Le Seigneur des Anneaux : la Communauté de l'Anneau, sorti en 2001, connut et connaît encore aujourd'hui un vif succès, notamment auprès des adolescents et des adultes. L'aventure s’est poursuivie avec deux autres films, Les Deux Tours (2002) et Le Retour du Roi (2003), pour lequel il remporta l'Oscar du meilleur réalisateur. Les trois sont issus du roman éponyme de l'écrivain anglais J. R. R. Tolkien, en trois volumes, destiné, lui aussi, à un public mûr (à la différence du Hobbit qui fut écrit pour un public beaucoup plus jeune). Le projet de cette trilogie était très ambitieux et le premier volet remporta quatre Oscars, dont celui de la meilleure musique de film, pour Howard Shore. Ce premier opus donna le ton aux suivants.

 

            Il est parfois difficile pour certains d'entrer dans cet univers, il est vrai déroutant, peuplé d'étranges créatures, plus ou moins sympathiques. Dès le début du film, Peter Jackson y plonge le spectateur par le récit d’une histoire où apparaissent des régions et des peuples, de nains, d’hommes et d’elfes, dont chacun reçut un anneau pour se gouverner. Un Anneau Unique, « l’Anneau de Pouvoir », fut cependant forgé par le puissant Sauron, dans le plus grand secret, pour contenir la magie de tous les autres, asservir tous les peuples et corrompre au plus profond l'âme la plus pure pour l’aliéner à son service. Alors le Mal entra dans les mondes.

 

            Sauron ne fut pas toujours mauvais. Mais son ambition démesurée l’a conduit, selon le mot de Tolkien, à se faire « sub-créateur »[Raphaël 1]  pour devenir maître et Seigneur de son œuvre personnelle contre le Créateur, contre la création et ses lois originelles.  À cette fin, il utilise ce que l’auteur de l’œuvre appelle la « Machine », ou la « Magie », pour mettre son œuvre au service de la corruption et de la domination. En cela cette magie se distingue de celle des Elfes, comme la simple technique, mise au service de la matière, de la manipulation et de la mort, s’oppose à l’art mis au service de l’esprit, de la beauté et de la vie. Galadriel (Cate Blanchett), reine des Elfes, lesquels symbolisent l’immortalité, ne manque pas de reprendre à l’occasion les Hobbits sur la grave confusion qu’ils font à ce sujet. Tolkien écrit, rappelons-le, avec les horreurs de la seconde guerre mondiale en arrière-plan.[Raphaël 2]  Cette allégorie s’applique tout autant au monde moderne où la technique et la ”maîtrise” des choses règnent sur l’art et la contemplation.

 

            Dans cette atmosphère, le spectateur fait la connaissance d'un peuple qui semble ignorer toute cette noirceur et qui vit dans l’insouciance et la joie : les Hobbits. Ces créatures de petite taille, « des enfants à [nos] yeux », aux pieds nus et poilus, vont prendre part à une incroyable et dangereuse aventure, à laquelle nous sommes tous conviés : celle de détruire l’Anneau Unique. Seuls quatre d'entre-eux y participeront : Frodon Sacquet (Elijah Wood), appelé plus tard « Le porteur de l'Anneau », Sam Gamgie (Sean Astin), son fidèle ami, Merry et Pippin. Dans leur quête, ils vont être aidés par deux hommes, Aragorn (Viggo Mortensen), héritier du trône du Gondor, et Boromir (Sean Bean), ainsi que par un elfe, Legolas (Orlando Bloom), un nain, Gimli, et un magicien, Gandalf-Le-Gris (Ian McKellen). Chaque personnage possède un caractère, des qualités et des défauts qui leur sont propres. Au cours de l'aventure, certains seront plus sensibles à l’attrait du Mal que d'autres, selon leurs inclinations intérieures, la tentation de l'Anneau Unique se faisant de plus en plus forte.

 

            Frodon Sacquet se voit ainsi attribuer la lourde mission de détruire cet Anneau, symbole et source de tous les péchés et de tout le Mal présents dans cet univers. Il accepte de le porter, sachant que la survie de tous les peuples repose sur ses épaules. Le jeune Hobbit n’a cependant pas pleine conscience des immenses risques encourus, notamment celui de se laisser consumer par l'Anneau ou de succomber à la tentation de s’en servir. Tentation illusoire car, selon les termes de Tolkien, on ne peut « combattre l'Ennemi avec son propre Anneau sans devenir à [son] tour un Ennemi » (lettre à son fils, 1944). La mission est ainsi confiée aux créatures les plus innocentes, que leur innocence même protège de la noirceur qui les menace, « dénuées d'ambition et de cupidité » (Lettres de J. R. R. Tolkien). Des petits êtres aimant la tranquillité, le confort d'un foyer et d'un jardin bien ordonné et que tout paraît éloigner d’une telle aventure. Ce film pourrait s'apparenter à un roman d'apprentissage dans lequel le héros, souvent jeune, découvre le monde qui l'entoure et parvient peu à peu, en construisant sa personnalité, à forger sa propre vision de la vie. Les petits Hobbits affrontent ainsi un univers qui leur est étranger, celui des guerres, de la trahison, de la tentation de l’orgueil ou du désespoir, mais ils y apportent le leur, celui de l'amitié simple, de l'entraide de la pureté de cœur et du courage. Ils apprennent, tout au long de leur mission, à se méfier des uns, à faire confiance aux autres. Leur regard s’éduque au discernement, à la prudence. Malgré cette dangereuse et tumultueuse mission, l'âme des petits Hobbits devra demeurer pure, loin de toute corruption. À travers Le Seigneur des Anneaux, l'auteur puis le réalisateur, nous font prendre conscience que tout ne se limite pas à ce que nous connaissons, à notre petit cocon où encore à ce que nous dictent nos environnements immédiats. Les défis et les dangers de toutes natures sont constamment présents à nos portes, matérielles ou spirituelles. Les vaincre requiert parfois de sortir à leur rencontre. Seul cependant le progrès du bien peut faire reculer le mal, et c’est une mortelle illusion de croire que pour le vaincre il faille en adopter les principes et les moyens.

 

            Les acteurs connurent un tournage peu commun : beaucoup s'attendaient à recevoir un script tout préparé, leur permettant de travailler leur rôle. Cependant, la recherche de documentations ayant obligé le réalisateur à s'y consacrer entièrement, les scripts ne furent pas transmis aux acteurs. Ces derniers eurent donc la chance de devoir s’investir chacun dans la découverte de leur personnage, de leur histoire, pour les redéfinir, faire évoluer leur rôle et le perfectionner. Orlando Bloom dut ainsi retravailler le personnage de Legolas afin de percevoir la nature d'un Elfe, être sans âge, sage et secret, une figure presque angélique. Aragorn, personnage marquant du film est très intéressant lui aussi. Loyal, courageux, humble, il met tout en œuvre pour accompagner les jeune Hobbits dans leur quête. Il se fait serviteur alors qu'il est l'héritier direct du trône. Élevé parmi les Elfes de Fondcombe, Aragorn contraste totalement avec le personnage de Boromir par sa grande sagesse et sa connaissance du monde, aussi bien à travers une perception humaine qu'une perception elfique. Aragorn semble extérieur à toute forme de noirceur et de mal : tout est bon en lui. Il est doté d'un héroïsme pur et vrai. Enfin, la figure la plus belle, la plus attachante, semble être celle du Hobbit Sam Gamgie. « Peter Jackson le voulait authentique, loin des personnages d'Hollywood »[Raphaël 3] . C’est un personnage auquel le spectateur aime à s'identifier, le camarade sur lequel on peut compter et se fier. De plus, le sentiment amoureux est important aux yeux de l'écrivain, surtout lorsqu'il s'agit de l'amour simple, entre Sam et Rosie. Cet amour est essentiel à la bonne compréhension du personnage, en tant que héros. Il permet de mettre en relation la vie ordinaire et la quête d'aventure, d'exploit et de sacrifices à laquelle prendra part Sam. Son rôle devient de plus en plus important et admirable au fil de la saga, jusqu'à atteindre son paroxysme dans le dernier volet. À la suite de Sam Gamgie, chacun est invité à faire triompher cette protestation, au comble de toute épreuve : « Il y a du bien dans ce monde et il faut se battre pour ça ». C'est une invitation à ne pas rester inactif en attendant que d'autres agissent ou que le pire arrive. C'est un enseignement transmis par Tolkien à son fils : « Et quand tout sera fini, est-ce que les gens ordinaires auront encore quelques libertés ou devront-ils se battre pour elles, ou seront-ils trop fatigués pour résister ? » (Lettre de juillet 1944). Le film illustre très bien ces paroles en donnant vie à la fois à des personnages entraînés vers la facilité et le Mal, pour lesquels il n'existe aucune forme de moralité – l’archétype du personnage se laissant instrumentaliser étant l’orque – et à d'autres qui sont prêts, jusqu’à l’héroïsme, à se battre pour leur liberté, leur histoire et leurs principes.

 

Les jeunes Hobbits, comme nous l'avons vu, n'ont pas été choisis par hasard par Tolkien. En effet, le thème de la vie ordinaire lui est cher, ce que Peter Jackson montre très bien à l'écran. Ces « Petites Gens » sont bien différentes des hommes, même si elles en gardent quelques ressemblances. Leur petite taille pourrait traduire une image d'infériorité par rapport à ces derniers. Mais le message est tout le contraire : ces petits êtres, vivant simplement, dans leur petit monde renfermé et très casanier, sont en réalité dotés d'un héroïsme et d'une volonté inattendus, qui se révèlent au moment opportun. Ils ont la capacité de se projeter au-delà de leurs apparences, de rendre beau ce qui les entoure, d'y mettre de l'amour. Ils illustrent ce message que « sans le sublime et le noble, le simple et le commun sont totalement médiocres ; et sans le simple et l'ordinaire, le noble et l'héroïque n'ont aucun sens » (lettre de Tolkien, 1951). A ce moment, la figure des petits Hobbits, celle d'Aragorn ou encore celle de Gandalf prennent tout leur relief. Il ne suffit pas d'être un grand guerrier admiré de tous pour être un véritable héros, sage dans l'âme, et s’il n’est pas toujours possible à chacun d’échapper à une vie médiocre, chacun a la faculté de ne pas la vivre médiocrement.

 

            Outre les prestations de talent des acteurs, les décors, les maquillages, les accessoires et la musique relèvent, eux aussi, d'un immense savoir-faire. Tout d'abord, les décors sont directement issus de l'univers décrit par J.R.R. Tolkien. Alan Lee et John Howe, « ces deux illustrateurs de génie », ont  donné aux équipes de maquettistes « la vision permettant de créer ces lieux fabuleux », selon les termes de John Baster[Raphaël 4] , responsable des miniatures. Ces décors grandioses, allant du village des Hobbits dans la Contée, au royaume des Elfes de Fondcombe, en passant par les mines de la Moria, ne sont pas, comme pour la plupart des grosses productions, simplement montées avec un logiciel d'ordinateur pour ensuite être incrustées sur fond vert. Chaque bâtiment, chaque village, les végétations, tout est construit en miniature. « Sincèrement, je ne pense pas qu'une autre boîte travaillant dans les effets spéciaux aurait eu l'audace de construire des miniatures aussi petites » dit Richard Taylor, responsable de Weta Workshop. Cependant, ces miniatures ne sont pas toutes égales, certaines atteignant quatre-vingt mètres pour le décor de Minas Tirith, la grande cité de Gondor, « c'est pourquoi nous avons pris l'habitude de parler de "bigatures" ou même de "mégatures" », continue Richard.[Raphaël 5]  Le travail de ces maquettistes est impressionnant de réalisme et de précision. Chaque détail est présent, aussi petit soit-il. Ces maquettes sont utilisées pour toutes sortes de plans. Ces derniers sont d'ailleurs remarquables et parfois même, époustouflants. Les paysages présents sont magnifiques et les teintes sont utilisées avec justesse. Malgré plusieurs ralentis qui semblent superflus, l'œil derrière la caméra est celui d'un expert.

 

            Ensuite, le travail sur les maquillages, les prothèses, les perruques et les costume est inimaginable. Les personnages de Tolkien ne pourraient pas exister sans, par exemple, la quantité de pieds de Hobbit (1600 paires uniquement pour quatre personnages) et de chevelures (fabriquées mèches après mèches). Les processus de vieillissement, de lassitude ou de transformation physiques sont très présents dans la saga. Parfois, le réalisateur tournait, à la suite, une scène où apparaissait le Frondon juvénile de la Comté et une autre où évoluait le Frondon accablé par le poids de l'Anneau. Le maquillage des Elfes a lui aussi été difficile à réaliser : il ne fallait pas que les acteurs aient l'air d'être maquillés en Elfes mais qu'ils aient l'air de vrais Elfes, « trouver le moyen de faire passer leur altérité, leur sens de l'immortalité, tout en les rendant aussi réels que (...) des hommes de Gondor », explique Peter King, responsable des perruques et du maquillage. Chaque détail du maquillage d'un acteur, les rides, les veines, les prothèses, est essentiel. Les costumes sont magnifiquement réalisés. Ils possèdent des caractéristiques particulières qui permettent d'identifier chaque peuple. Chaque détail est justifié et réalisé avec minutie et finesse. Ces costumes sont splendides et impressionnants.

 

            Enfin, comment parler du Seigneur des Anneaux sans aborder la thématique musicale du film ? Derrière le pupitre se trouve un compositeur de grand talent, Howard Shore, connu, entre autre, pour la musique d'Hugo Cabret (nominé aux Oscars en 2012), de Cosmopolis (Oscar de la meilleure musique en 2013) et du Hobbit. « Un opéra... C'est ainsi que j'ai conçu cette œuvre (...). J'ai abordé la partition comme s'il s'agissait d'un opéra en trois actes ». C'est cet état d'esprit qui a permis au compositeur de remporter deux Oscars de la meilleure musique de film pour le premier et le dernier volet de la saga. Le thème du Seigneur des Anneaux est présent tout au long du film, sans jamais lasser le spectateur, la musique traduisant parfaitement les différentes étapes de l'aventure.

 

            Le Seigneur des Anneaux : la Communauté de l'Anneau, film d'une grande qualité, aussi bien par sa réalisation, l’aventure décrite que par sa haute symbolique, reste gravé désormais dans l'histoire du cinéma. Fidèle aux romans, ce film est attaché aux détails et à l'univers transmis par Tolkien (à la différence de la trilogie du Hobbit où le réalisateur a pris d'importantes libertés, pour le meilleur ou pour le pire). C’est pourquoi le récit du premier volet est inséparable des deux suivants. Avant Peter Jackson, et à l’origine de l’œuvre, le génial Tolkien ne voulait pas diviser son roman en trois tomes, bien qu’il dût finalement s'y résoudre pour répondre aux exigences de la publication. Pour lui, Le Seigneur des Anneaux était une seule œuvre dans son intégralité, comme le triptyque d’une vaste fresque. De fait, la lecture séparée de chaque tome serait dénuée de sens. Ce n’est pas le moindre des talents de Jackson d’avoir réussi, dans sa propre trilogie, à exprimer cette indissociable unité.

 

 

Sources :

-     Le Seigneur des Anneaux : l'histoire du tournage de la trilogie, Brian Sibley

-     J. R. R. Tolkien, lettres