Le Septieme Juré

Film : Le Septieme Juré (1961)

Réalisateur : Georges Lautner

Acteurs : Jacques Monod (Le magistrat), Maurice Biraud (Le vétérinaire), Bernard Blier (Grégoire Duval), Francis Blanche (Le procureur)

Durée : 01:36:00


AVIS GENERAL : Un film bien ficelé, divertissant et franchouillard. Une belle réflexion sur la quête de la vérité et l’amour humain. A voir ! (au moins une fois)

Le mobile du meurtre ? « Elle riait tout le temps, elle était trop jolie, trop libre : à quoi servait-elle dans l’édifice social ? Elle était dangereuse… Voilà ce que j’ai fait : un mouvement de légitime défense ! »

Oscillant entre le thriller comique, le drame psychologique et la satire sociale, Le Septième Juré offre une histoire très originale dans laquelle un assassin violeur se retrouve juré au procès de son propre crime et finit par être ignoré de son entourage lorsqu’il entreprend un cheminement vers l’aveu. La fin n’en est que plus surprenante.

Ce film nous replonge dans la France rurale des années 1960, avec ses cafés, ses ragots, ses clochers, son univers relationnel déconnecté de la mondialisation actuelle. L’histoire se déroule à Pontarlier, dans le Jura, mais la moitié a lieu dans la tête du personnage principal, Duval (Bernard Blier), le meurtrier innocenté, chahuté par son besoin de justification, ses remords, sa peur d’être découvert, dénoncé et condamné à la peine maximale.

Agrémenté d’une voix-off débitant la prose mordante de Pierre Laroche, et accompagnant tous les faits et gestes de l’impassible et imprévisible Blier, le film est parfaitement maîtrisé de bout en bout. Le suspense maintenu jusqu’à la fin quant à la révélation ou non de la vérité n’est pas sans rappeler l’ambiance mystérieuse de La Loi du Silence d’Alfred Hitchcock (1953). Des images découpées au fil du rasoir, des scènes, des mots, des regards dosés au millimètre près pour faire progresser l’intrigue : telle est la marque de fabrique de Lautner, qui préfigure ainsi l’arrivée en France de la Nouvelle Vague.

Mais le Septième Juré est plus que cela. Il offre en toile de fond une critique de la bourgeoisie de province repliée dans une forme de communautarisme qui étouffe la vérité pour sauver les apparences et pour faire respecter les convenances. Jusqu’à se moquer de l’identité réelle du meurtrier, du moment qu’un coupable, de réputation légère, a été désigné, ce qui arrange la communauté. Il s’attaque en outre à un système judiciaire injuste, peu sérieux, avide de résultats et d’honneurs, prompt à marchander, sous la protection des institutions républicaines.

A l’aune des années 1960, ce film aborde aussi la question du bonheur conjugal et de la liberté sexuelle. Mais, quoique jouant avec les oppositions classiques entre victimes de l’« emprisonnement familial » et promoteurs de la liberté et de l’aventure, Lautner, âgé de 36 ans à l’époque, met surtout l’accent sur l’écart croissant entre deux générations qui ne se comprennent pas. L’une, accrochée à son héritage, à sa sécurité et à sa réputation, l’autre découvrant le swing, et s’adonnant sans réserve au romantisme et aux risques d’une vie dissolue. Dans cette histoire, Duval se situe entre les deux. Il est le seul à n’être compris de personne, ni par les jeunes qu’il envie, ni par ses compères notables qu’il assimile à des « abrutis ».

En réalité Duval a tous les traits du héros cornélien, attiré par des amours impossibles, promis à une désillusion tragique et immolé comme une victime, à cause de sa propre lâcheté originelle. Si le film flirte ici avec l’amour passion, comme lorsque Duval évoque sa désillusion tout en regardant une femme danser sensuellement dans le reflet de son verre, il n’en est pas pour autant une ode à l’amour libéré des Sixties ou un réquisitoire contre la peine de mort. Il est amusant de constater que critiques de gauche comme de droite y verront durant des décennies une condamnation de la famille traditionnelle, alors que Lautner concèdera lui-même dans une interview télévisée en juin 2013, peu avant sa mort, que sa réalisation procédait d’une autre intention.

Le message que le film délivre en filigrane relève plus simplement d’une représentation pessimiste et jeune de l’amour qui ne pourrait pas s’éclore, parce que la société, les devoirs de la vie conjugale et la vie le voudraient ainsi. Le fruit est là, à portée de main, mais ne peut être croqué. Alors la vie est une farce cruelle. La rose est derrière la grille, et Duval ne peut la cueillir, comme le montre un magnifique plan jouant avec les ombres. Il est tiraillé par ses fantasmes et par le bonheur enviable des jeunes amoureux qu’il croise. La sécheresse de sa femme, pourtant très belle, le renvoie toujours aux tentations de la « brave petite pute » à l’allure simple, féminine et courageuse. L’amour sans les épines, la femme souriante toujours disponible, et la jeunesse joyeuse et intrépide sont ainsi très idéalisés dans le portrait de Lautner.

On voit poindre sous cette satire sociale tragi-comique, que Lautner résumera lui-même à un « appel à la tendresse et à la vérité », une vision masculine et idéaliste des relations humaines, une perception également voulue par le choix du procédé narratif (subjectif) de cette histoire vécue par Duval. Apparaît sans doute aussi une certaine insolence chez un jeune réalisateur désireux de bousculer l’avant-garde un peu mûre du cinéma parfois trop lisse des années 1950.

Conçu spécialement pour Bernard Blier, Georges Lautner considérait ce film comme le « meilleur » de sa carrière. Le monde du cinéma lui réserve une place honorable, notamment parmi les œuvres les plus brillantes du réalisateur : L’Œil du monocle (1962), Les Tontons flingueurs (1963), Ne nous fâchons pas (1965), Mort d’un Pourri (1977) et Le Professionnel (1981).

En février 2015, Le Septième Juré a été remastérisé dans une belle édition par la société Pathé.