Les Adieux à la reine

Film : Les Adieux à la reine (2011)

Réalisateur : Benoît Jacquot

Acteurs : Léa Seydoux (Sidonie Laborde), Diane Kruger (Marie-Antoinette), Virginie Ledoyen (Gabrielle de Polignac), Xavier Beauvois (Louis XVI)

Durée : 01:40:00


Un film assez esthétique, vecteur de sensualité et de contre-vérités hurlantes.

La reine Marie-Antoinette d’
Autriche, épouse du roi Louis XVI, aura nourri l’imaginaire populaire tant au XVIII° siècle que de nos jours. Tantôt symbole d’une royauté courageuse et sacrifiée, tantôt icône d’un régime décadent, tous les mouvements ont tenté de tirer profit de son histoire, des royalistes aux féministes, avec diverses intentions.

Les adieux à la reine relève davantage de l’iconoclasme que de l’iconographie. La reine Marie-Antoinette reste encore pour beaucoup de gens celle qui s’est fait arbitrairement condamnée par les révolutionnaires, qui a subi l’humiliation publique d’être accusée d’inceste à l’égard du jeune Louis
XVII, qui est montée dignement sur l’échaffaut à l’instar de son mari Louis XVI, demandant même pardon à son bourreau de lui avoir marché sur le pied. À côté de cette image d’héroïsme et de diginité, Marie-Antoinette a suscité énormément de controverses. Étant peu au fait des mécanismes de la politique, elle s’est faite de nombreux ennemis. De plus, certaines imprudences lui ont valu des vagues de rumeurs allant du simple pamphlet aux insultes ou délires pornographiques. Que la reine fut légère et frivole, les historiens ne le contestent pas mais rappellent néanmoins que les dépenses de la cour à ce moment-là n’étaient pas plus élevées que celles des règnes précédents (environ 7% du budget du royaume). Quant à ses moeurs, les chercheurs n’ont finalement jamais
rien trouvé de très concluant. Le fait que le couple royal ait mis sept ans à consommer le mariage a favorisé les phantasmes les plus graveleux du peuple et de la cour.

De ce point de vue, le film de Benoît Jacquot reflète assez bien cette ambiance malsaine qu’il y a pu avoir autour de la reine. Toute l’histoire tourne en effet autour d’un tryptique féminin dont les deux volets latéraux, Sidonie Laborde et la duchesse de Polignac, peuvent se replier sur la reine au centre. En 1789, une rumeur courait sur une prétendue tendance saphique de Marie-Antoinette. La duchesse de Polignac (Virginie Ledoyen), après son arrivée à la cour, est rapidement devenue la favorite de la reine, sa meilleure amie. Par cons&
eacute;quent, des personnes bien intentionnées ont cru bon de colporter l’idée que la duchesse était l’amante de Marie-Antoinette. La légende fut tenace et a même donné naissance à l'expression “avoir un Jules”. La duchesse était mariée à Jules de Polignac et la correspondance de la reine nous a appris que Marie-Antoinette appelait en privé son amie Jules... Ces racontars sont manifestement arrivés jusqu’aux oreilles de nos amis cinéastes qui, loin de toute probité historique, se jettent à corps perdu dans la polémique. Pire, le film s’inscrit dans la lignée des pamphlets érotiques de l’époque puisqu’il cherche à rendre une certaine sensualité. Le producteur Jean-Pierre Guérin donne ses intentions : “Je souhaitais que ce film soit à la fois sensuel, drôle, émouvant et surtout que
l’on fasse voir ce monde féminin qui entourait la reine...”
 (in dossier de presse). Chaque spectateur ressent les choses différemment, mais le film n’est ni particulièrement drôle ni véritablement émouvant. En revanche, il y a bien une sensualité pas nécessairement démonstrative (à part deux nus) mais latente, notamment dans certaines scènes que le scénariste Gilles Taurand explique : “Et Sidonie attend que la reine lui fasse signe. Il y a forcément une charge érotique dans ces moments d’intimité où elle se retrouve enfin seule avec son adorée. Ainsi, j’ai imaginé dans une scène du début que les bras de Sidonie étaient dévorés par les moustiques qui pullulent à Versailles. La reine s’en émeut et demande à sa première femme de chambre qu’on apporte de l&
rsquo;huile de bois de rose. Et sous l’oeil médusé et réprobateur de madame Campan, c’est elle-même qui applique l’onguent miraculeux sur le bras de Sidonie. Moment d’extase pour la lectrice.”

Comme le spectateur découvre l’histoire uniquement au travers des yeux de Sidonie, une ambiguïté plane. Sidonie est clairement amoureuse de la reine et se révèle assez jalouse de la duchesse de Polignac sans pour autant être sûre de la nature de leur relation. Il faut reconnaître que les cinéastes jouent bien avec l’ambiance en huis clos d’un Versailles coupé des réalités du monde extérieur qui gronde. Ça jase dans les couloirs, ça jase dans les jardins, mais la liseuse de la reine n’a qu’un seul souci, celui de plaire à sa maîtresse.

Pour maintenir le spectateur dans l'équivoque et lui faire partager les tourments de Sidonie, le réalisateur a recours à un artifice. Une longue séquence que l’on pense être dans la continuité de l‘histoire se révèle n’être finalement qu’un rêve. Or ce rêve est une synthèse de toutes les peurs et tous les phantasmes de Sidonie. On pourrait en déduire que le film ne cherche pas à donner du corps aux rumeurs, mais les scènes suivantes montrent une étrange proximité entre l’Autrichienne et la Polignac. Bref, les cinéastes se complaisent manifestement dans l’idée d’une reine de France catholique, symbole de l’ancien r&
eacute;gime mais... lesbienne.

Néanmoins, cette absurdité historique n’est qu'un accessoire suffisamment aberrant pour devoir le relever. Quel est alors l’intérêt réel du film ? Si l’on résume, nous sommes en présence d’une subordonnée obsessionnellement amoureuse de la reine tandis que cette dernière n’éprouve que de la sympathie pour sa lectrice et n’a d’yeux que pour sa duchesse. Le scénario revisite en quelque sorte le dilemme racinien de l’amour impossible ou licencieux qui ravage l’humain. La différence c’est qu’avec un génie inégalé, Jean Racine peignait les conséquences de la passion en révélant tous les
travers du coeur humain : la haine, la vengeance, l’obsession, l’égoïsme, la jalousie, la pulsion de mort... Avec Les adieux à la reine, on s’ennuie. Certes les décors et les costumes sont splendides, les acteurs sont excellents, bien sûr la photographie et la lumière sont belles, mais on s’ennuie. Pourquoi ? Simplement parce que les personnages et les faits n’ont pas de résonance. Elle aime la reine, soit ! La reine l’utilise comme appât pour protéger madame de Polignac, soit ! Mais on ressort de la salle obscure en se demandant bien où le scénariste voulait en venir. Que ce soit dans ce contexte royal ou dans un autre (le réalisateur affirme d’ailleurs avoir voulu faire oublier que c’est un film d’époque dans son interview pour allociné), ce fait ne présente pas d’intérêt s’il n’est pas mis en perspective. L’
analyse du coeur humain est minimaliste. C’est pourquoi l’émotion ne passe pas. Qui plus est, nous n’en retirons aucun bénéfice culturel et historique puisque tout n’est que fiction.

Les films costumés sont extrêmement coûteux et c’est la raison pour laquelle Benoît Jacquot avait initialement abandonné le projet. Mais si l’on retire le cadre versaillais, les costumes et les personnages royaux, on a un film creux qui ne propose rien de neuf sur la passion amoureuse, ses enjeux et ses mécanismes.

Cependant, les
cinéastes ont, semble-t-il, voulu porter un message, ou du moins, proposer une analogie avec notre époque. Laissons le producteur s’expliquer : “... ce récit qui raconte en trois journées, l’effondrement d’un monde, avec toutes ses certitudes, ses valeurs, ses comportements et ses modes de pensée. L’histoire n’est-elle pas régulièrement bouleversée par ces événements qui détruisent son équilibre ? On peut imaginer que la prise de la Bastille a frappé les esprits de l’époque aussi soudainement et violemment que le 11 septembre à New York a perturbé l’équilibre du monde.

Il ne s’agit pas d’un film historique, mais d’une histoire qui nous éclaire sur la période que nous traversons actuellement. Combien
de temps a-t-il fallu aux hommes et aux femmes de la France de 1789 pour comprendre qu’ils avaient définitivement quitté ce monde qu’on appelle l’Ancien Régime pour rentrer dans une époque nouvelle qui est le début de la France moderne ?

Nous sommes bien surpris d’apprendre que le film est une réflexion sur la fin d’une ère mais nous sommes davantage surpris d’apprendre que l’histoire nous éclaire sur la période que nous traversons actuellement.

Pour la première surprise, il eut fallu
s’y prendre autrement qu’en racontant une histoire aussi superficielle. Par exemple, par le biais d’un film choral, on aurait pu voir au travers de plusieurs personnages de conditions et de rangs différents les réactions de la cour face aux événements des 14, 15 et 16 juillet 1789. En l’occurrence, nous avons le ressenti d’une lectrice qui se préoccupe surtout de savoir si elle pourra rester aux côtés de la reine. Le monde qui s’écroule, c’est le sien. Le reste l’intéresse finalement assez peu. Par ailleurs, il eut fallu soigner le portrait de la noblesse, non pour l’embellir, mais au moins pour l’affiner. La cour est montrée comme un ensemble d’individus séniles, couards, fêtards (comme les deux abbés qui cherchent réconfort auprès des servantes) ou mondains (les nobles qui s’entassent dans les appartements miteux de Versailles juste
pour voir le roi de temps en temps). On perçoit là l’esprit révolutionnaire des cinéastes (au sens de 1789) qui célèbrent la fin d’un monde qui se vautrait dans le luxe et la luxure pendant que le peuple crevait de faim et de maladies. Marie-Antoinette y est perçue comme une femme capricieuse obnubilée par son amitié avec la Polignac. Sans être particulièrement nostalgique de l’Ancien Régime, admettons que la réalité historique est bien plus complexe. Des raccourcis, une dose de cynisme, des faits travestis, du sensualisme, bref que du bonheur !

Pour la seconde surprise, outre les propos tintés de matérialisme historique à la sauce marxiste qui nous rappellent que l’
histoire est une succession de révolutions nécessaires, on se demande quelle période nous traversons actuellement. Le film a lui seul ne permet en tous cas pas de faire un parallèle avec notre époque. Faut-il déduire de la référence au 11 septembre que ce que nous traversons est la fin de l’empire américain ? Tout cela est assez tiré par les cheveux...

Ainsi même le message socio-historique du film est un échec. Les adieux à la reine recèle bien une certaine qualité plastique, bien insuffisante pour combler le manque de profondeur et la molesse du scénario.