Les Aiguilles rouges

Film : Les Aiguilles rouges (2005)

Réalisateur : Jean-François Davy

Acteurs : Jules Sitruk, Damien Jouillerot, Jonathan Demurger, Pierre Derenne, Richard Berry,… (Durée 1h33).

Durée : 01:33:00


1960 : Jean-François Davy et sa troupe de scouts perdent un des leurs dans le Brévent, face au Mont-Blanc. Isolés du monde, sans possibilité de secours, ils parviendront à rejoindre les guides pour les lancer à la recherche de leur camarade Eric. Le réalisateur s’est
battu pendant 10 ans pour concrétiser un projet qui lui tenait beaucoup à cœur : « J’ai décidé de réaliser et de produire contre vents et marées cette aventure vécue à l’âge de 15 ans qui m’avait profondément marqué. (…) Personne ne semblait passionné par cette histoire de gamins perdus dans la montagne. » (in notes de production). Son investissement est total puisqu’il a tenu à financer lui-même son film, les partenaires habituels se montrant hésitants d’autant que Jean-François Davy n’avait pas tourné depuis 23 ans. Pour faire revivre cette aventure, le réalisateur reprit contact avec ses anciens camarades, dont Eric et Jean-Pierre, Davy étant lui-même incarné dans le film par le chef de troupe Patrick (Jonathan Demurger). Ainsi la fiction est ancrée profondément dans la réalité : « Les évènements racontés dans ce film ont vraiment eu lieu. A l’époque, l’itinéraire que nous avions suivi est exactement celui retracé à l’écran et la plupart des anecdotes évoquées dans le film sont arrivées. » Ce parcours
commémoratif lui a permis de remonter le temps et d’approfondir ses souvenirs en les comparant avec ceux de ses camarades et des guides qui les ont sauvés à l’époque.

Réunissant un casting de jeunes talents (notamment Jules Sitruk et Damien Jouillerot), le réalisateur les a coachés pour créer une « véritable homogénéité » au sein du groupe. Il s’est aussi beaucoup rapproché de Jonathan Demurger, devenant une sorte de « père-bis ». Le tournage fut malgré tout éprouvant, du fait des conditions météo et de la difficulté de tourner en montagne.

L’action du film se situe pendant les années 60 ; en toile de fond on retrouve la guerre d’Algérie (un des scouts a un frère soldat, un autre y vit ; on assiste à une projection d’un discours de De Gaulle sur la situation algérienne). Le rythme assez lent du récit distille un parfum de vieille France (en vogue ces temps-ci) assez candide et convenu, tandis que les performances des acteurs sont honorables,
bien que peinant à transmettre de réelles émotions (Jean-Pierre - Damien Jouillerot, qui s’efforce de façon pathétique de faire comme les grands). On ne peut aussi manquer de souligner le manque de profondeur dramatique du scénario, que la caméra n’arrive pas à combler : les scouts doivent se protéger d’un orage (inoffensif paroxysme des difficultés rencontrées par la troupe !) qui manifestement n’a pas bénéficié des moyens adéquats pour le rendre convaincant ; la disparition d’Eric est trop surfaite, les tensions entre les membres de la troupe trop artificielles. Le film se situe somme toute dans la stricte norme des histoires d’adolescents racontées au cinéma, illustrant la difficulté pour des adultes d’appréhender et de peindre cette période tumultueuse, riche en questions et en enjeux décisifs pour l’avenir.

La montagne (personnage à part entière) est toutefois remarquablement filmée, les rendus de lumière et de profondeur sont magnifiques, la caméra s’attardant sur la
présence un peu obsédante d’un bel aigle royal, tout cela fait penser à un hymne à la beauté de la nature. La bande–son est discrète, mais suffisante pour relever (ou simplement désigner…) les moments-clé du récit.

Cette aventure marque l’éveil de la conscience politique de ces jeunes gens, sur fond de guerre d’Algérie. Si bien entendu il n’y a pas de débat réel ( les scouts sont trop jeunes pour en saisir tous les enjeux), le film rend bien compte de cette nouvelle dimension qui s’ouvre avec douleur dans l’esprit de ces adolescents. Cet éveil est aussi symbolisé par l’escalade de la montagne : « A travers cette ascension j’ai voulu montrer le passage de l’enfance à l’âge adulte… » (Davy in notes de production). Il est cependant dommage que le récit soit assorti de nombreux clichés sur la jeunesse de l’époque : des jeunes à problèmes multiples (parents, avenir, amourettes…) qui subissent un parcours du combattant censé faire fondre leurs divergences et propice à la naissance
de bons sentiments (voir Les choristes).

Le film sonne un peu comme un regret, ce qui met en danger sa pérennité et celle du genre, devenu redondant dans son évocation d’un passé trop revisité (des Choristes au Temps des porte-plumes). Nostalgie de l’époque des histoires Bibliothèque verte, des années 60 qui annoncent la rupture entre le monde triste des adultes et celui éternellement incompris des ados (un des scouts va suite à cette aventure fréquenter un cercle trotskiste). Mais les éternels clichés gâchent le gentil message transmis par l’œuvre, rendant même odieux les jeunes aventuriers quand ces scouts (dont l’idéal est passé aux oubliettes) vandalisent une chapelle et pillent une boutique, sont plus grossiers les uns que les autres, n’écoutent généralement que leurs instincts et attribuent les malheurs qui leur arrivent aux manquements à une religion fade, presque superstitieuse, même si la beauté de la nature permet à un des scouts de rappeler la grandeur de son
créateur.

Il en résulte que la gentillesse des protagonistes, leur leçon de courage et d’amitié sur lesquelles s’étendent les dernières minutes du film ne prennent pas. Mièvre et sans fondation réelle, la morale est même un peu rance car trop plate et sans consistance (on n’explique pas les motivations des scouts se lançant à la recherche d’Eric, et la violence des disputes précédant le drame la rendent peu plausible, le film n’évoquant pas une quelconque action providentielle qui eût admirablement expliquée cette volte-face). De fait, on ne sait à quoi précisément s’en tenir, entre éloge d’une amitié forcée par les évènements et critique du comportement extrême de jeunes un peu perdus, le film faisant peu de cas d’une étude psychologique et morale cohérente.

 

Stéphane JOURDAIN