Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne

Film : Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne (2011)

Réalisateur : Steven Spielberg

Acteurs : Jamie Bell (Tintin), Andy Serkis (Le capitaine Haddock), Daniel Craig (Ivanovich Sakharine), Nick Frost (Dupont), Simon Pegg (Dupond), Toby Jones (Aristide Filoselle)

Durée : 01:47:00


Un film à l'action soutenue empruntant à plusieurs volumes de l'oeuvre de Hergé. Bien que prenant quelques libertés avec quelques lignes du scénario, l'esprit de Hergé est bien respecté, même plongé dans le cinéma de Steven Spielberg, que l'on retrouve dans toute sa démesure pour cette excellente adaptation.

De nombreux Français, francophones et francophiles ont été réticents, voire indignés à l'idée de voir un réalisateur américain s'emparer de la projection des aventures du reporter franco-belge sur grand écran, craignant que Tintin ne soit trop « américanisé », et que l'on ne sorte de l'esprit de Georges Remi, alias Hergé.

Tout d'abord, il faut préciser qu'après avoir vu sa requête de collaboration avec Walt Disney rejetée en 1948, Hergé vit au début des années 1980 (peu après la sortie des Aventuriers de l'arche perdue en 1981, où Steven Spielberg découvre et devient fan des aventures de Tintin) en ce réalisateur le plus à même de porter Tintin à l'écran. Et si malheureusement, le dessinateur belge n'a pas pu prendre part au projet qu'il avait tant désiré (ce dernier est mort quatre mois après leur mise en relation), Steven Spielberg est arrivé à réaliser son rêve près de 30 ans plus tard.

Il ne s'agit donc pas d'un animé, ni d'un film comme les « deux longs métrages sans génie » Tintin et la toison d'or (Philippe Condroyer, 1961) et Tintin et les Oranges bleues (Philippe Condroyer, 1964) que l'on peut voir sur les grands écrans, mais d'un film de synthèse comme Final Fantasy, utilisant en plus le système de « motion capture » créé pour Le Seigneur des Anneaux (Gollum) et employé plus massivement dans Avatar. Ce système permet, tout en utilisant de vrais acteurs, de garder les personnages dans leur intégrité visuelle en retranscrivant tous les mouvements et expressions faciales de l'acteur sur le personnage de synthèse. En se plaçant à mi-chemin entre le dessin et le film, les réalisateurs décident de donner un aspect réel (fort réussi visuellement) aux personnages, sans dénaturer leur identité de personnages de bande dessinée.

De fait, les expressions des personnages de la bande dessinée sont bien reproduites : le sourire de Tintin sur l'écran semble directement sortir d'un dessin de Hergé, ainsi que de nombreuses expressions que l'on peut retrouver ça et là. Quant aux plastiques des personnages, on arrive parfois à se demander si l'on est pas dans un film tellement elles sont soignées ; les mouvements sont fluides et réalistes, certaines images sensationnelles, les transitions sont millimétrées et les effets visuels... dignes du meilleur de Steven Spielberg : Square Enix a trouvé ici un vrai challenger, bien que Final Fantasy, son titre phare proposant, entre autres titres, des films de synthèse révolutionnaires, ne joue pas exactement sur les mêmes registres que Tintin : là où le premier est réalisé entièrement en images de synthèse et traite de sujets fantastiques, le second utilise des techniques de caméras virtuelles et se déroule dans un monde réaliste. Le système de caméras virtuelles consiste en un tournage dans une salle dont les tons sont neutres (souvent gris), et employant jusqu'à une centaine de caméras afin de reproduire sur un écran les prestations des acteurs couverts de capteurs. Ainsi, les scénaristes et monteurs peuvent voir les mouvement des acteurs imprimés aux personnages virtuels en évoluant sous tous les angles. Il en va de même pour les expressions faciales, captées par une mini caméra braquée sur leurs visages.

Les prises de vues sont dans l'ensemble fidèles à la manière de dessiner et de cadrer de R.G.

Les scénaristes ont également été guidés dans leur travail par une approche conceptuelle voulue par Steven Spielberg et Peter Jackson, qui voyaient, derrière le trait d’Hergé, des éléments relevant du film noir, du suspense hitchcockien, voire même du thriller à effets spéciaux – « tous éléments qu’ils souhaitaient retrouver dans le scénario » trouve-t-on dans le dossier de presse. Rien de plus simple ! Nous ne nous attarderons pas sur le thriller, genre à suspense qui utilise la tension et l'excitation comme principaux éléments, ni sur le suspense hitchcockien, qui s'appuie beaucoup sur des effets visuels (ce que je sais/ce que je vois/ce que le personnage voit) pour créer une tension chez le spectateur. Le film noir est plus difficile à définir : courant cinématographique plus que genre, le terme « film noir » est né sous la plume de la critique française. Il est probablement le courant cinématographique le plus flou et le plus compliqué à définir. On y retrouve souvent des héros au passé douteux (ce qui n'est pas le cas de Tintin) et mystérieux, des seconds rôles « riches et autonomes » (comme le capitaine Haddock). L'identité visuelle des films noirs est très forte : des é clairages expressionnistes aux contrastes élevés laissant de larges pans dans l'ombre (ce qui est visible dans quelques scènes), des décors urbains restreints (dans la ville, on se trouve en effet souvent à l'intérieur d'un appartement), ou une zone rurale idéalisée. Les trottoirs humides y sont souvent présents (de fait, on peut remarquer souvent ces trottoirs qui paraissent comme un jour de pluie, même dans les dessins animés). Le film noir est souvent pessimiste, ce qui n'est naturellement pas le cas de Tintin. Ce sont bien des éléments, donc, que nous pouvons relever, et non pas le type même de ce courant, dans les aventures du reporter.

On regrettera cependant la trop grande remodulation anglaise du film : même les parchemins sont écrits en vieil anglais en lieu et place du vieux français, et les uniformes portés sur le navire du chevalier François de Haddock sont les uniformes pourpres de la Navy, par exemple.

On pourra se consoler néanmoins en savourant les effets spéciaux et les visuels extraordinaires concoctés par Steven Spielberg, ou comment faire rentrer le meilleur de Transformers et de Real Steel dans les aventures du héros belge. On peut oublier Pirates des Caraïbes et ses batailles navales abracadabrantesques : celle de Tintin dépasse l'entendement, et c'est sans compter le duel improbable entre les descendants du chevalier et du pirate et les diverses cascades et combats, tous aussi sensationnels et maniés de main de maître.

Bien entendu, de nombreux éléments des autres volumes servent au déroulement du scénario. C'est ainsi, que, par exemple, par l'intrusion d'une allusion à l'un des volumes bien connus des aventures, des voleurs brisent de manière assez incongrue une vitre pare-balle...

Bien que la trame du livre ait été quelque peu modifiée pour les besoins du film, l'esprit de Hergé est bien présent.

Les personnages, bien que leurs traits de caractère semblent quelque peu grossis, sont tels que dans la bande dessinée : Tintin est un jeune reporter curieux et intrépide, en quête de vérité et de justice, à la valeur morale irréprochable face à des « méchants » prêts à tout pour arriver à leurs fins. Celui-ci est accompagné dans ses aventures par le capitaine Archibald Haddock, un marin chevronné mais hélas ivrogne et qui va se raccrocher à Tintin dans son chemin vers un genre de rédemption, jusqu'à lui redonner le moral le moment venu. Spielberg en profite par ailleurs pour insérer un thème récurrent au cinéma, et qui lui semble très cher : le fameux « je veux que tu te battes pour ce que tu aimes », que l'on retrouve aussi bien dans ses productions (Transformers, Real Steel) que dans ses réalisations (le film dont nous parlons par exemple), exprimé de vive voix, ou de manière implicite. Les Dupondt, quant à eux apparaissant ça et là, jouent le même rôle d'aide distante ( et souvent peu efficace, ou involontaire) que dans le livre, avec cet apport comique qu'on leur connaît bien .

L'on retrouve donc naturellement dans ce film les traits communs à tous les Spielberg : par exemple les longues conversations au milieu des pires dangers, comme si les personnages ne voyaient plus les centaines de personnes armées jusqu'aux dents qui les poursuivent (ou les monstres, selon les films). On y trouve également un rythme très soutenu que certains apprécieront énormément, mais que Hergé verrait peut-être d'un tout autre œil (notons que la citation suivante date d'une bonne ciquantaine d'années) : « Si vous m'écoutez, le tempo de vos films Tintin sera moins heurté, plus paisible, même "lent" pour des Américains » disait l'écrivain à Larry Harmon, qui devait produire un film des aventures de Tintin.

D'un point de vue éthique, Tintin est un véritable héros. Bien que le reportage soit le prétexte de ses aventures, ce garçon est pétri d'abnégation et d'idéal. Son attitude à l'égard du capitaine Haddock, esclave de la bouteille, est à la fois ferme et gentille, comme il se doit. A la manière d'Hergé, Spielberg ne se perd pas dans une intériorisation du personnage, comme s'il s'agissait par exemple d'un Ric Hochet. La pensée de Tintin se traduit par des actes, ce qui respecte la focalisation externe choisie par Hergé.