Habitués aux blockbusters de toutes sortes, rompus aux budgets disproportionnés, nous ne savons plus goûter aux joies du cinéma français.
C'est probablement ce que pense le spectateur lorsqu'il achète un billet pour pouvoir se délecter des
interprétations magistrales de grands acteurs. Quand il sait que ces prestations vont être ponctuées de reluisantes chansons de variété française. Il a parié ses euros, il le sait, sur un film qui ne peut être que grandiose. Pour Christophe Honoré dans le dossier de presse, les chansons « s’intègrent dans la continuité de l’action, prennent naturellement la place de séquences scénarisées, de dialogues écrits, qui disparaissent à leur profit. Les chansons ne sont pas des numéros, plutôt des monologues intérieurs, elles sont le moteur qui ouvre la porte au lyrisme. »
Vous, je ne sais pas, mais moi, j'ai bien vite déchanté !
Il aura fallu, en effet, le talent
redoutable de toute une équipe pour décevoir à ce point ces meilleurs présages. « Ce titre, « Les Bien-Aimés » est arrivé assez vite, puisque ce sont des amoureuses et des amoureux qui habitent le film. Ce qui les rend attachants, parfois tremblants, c’est qu’ils sont toujours dans l’incertitude du sentiment de l’autre. Et que cette question de savoir s’ils sont « bien aimés » n’a pas de réponse. » Ça promet...
Qu'on me pardonne donc de paraphraser le scénario, éloquent par lui-même...
Ludivine Sagnier incarne donc de toute sa bonne humeur une pétillante vendeuse de chaussures de luxe, qui choisit la prostitution pour « son argent de poche ». Quelques
clients plus tard, un homme l'aborde qui tombe aussitôt amoureux d'elle et l'invite à partager sa vie à Prague. Aussitôt dit, presque aussitôt fait. Voilà notre pure et innocente héroïne, modèle pour nos filles, qui part enfanter dans une Europe de l'Est secouée par les guerres. Bien entendu, et ce n'est que le début, ce médecin réputé la trompe. Pardonnons à notre jeune maman ses écarts de jeunesse et accompagnons-la dans son retour à Paris, où elle décide, après son divorce, d'épouser un gendarme. A ce moment de film, le spectateur est content d'être là. Il peut ainsi suivre les déboires d'une femme libérée. Ça change du quotidien, et c'est profondément édifiant.
Le pauvre ! S'il savait ! Car ces brillantes
aventures ne font que commencer.
Pourquoi en effet être heureuse quand on peut se compliquer la vie ? De retour à Paris pour un congrès, son ex-mari lui téléphone et lui donne rendez-vous. Elle s'y rend, bien sûr, refuse de monter dans sa chambre d'hôtel et, une fois qu'elle y est, refuse de se laisser toucher (« j'étais sûre que tu ferais ça », déclare-t-elle en jouant les vierges effarouchées). Juste après avoir couché avec lui, ils s'en vont faire un billard et décident à l'occasion de refaire leur vie ensemble. Les partisans de la loi sur le divorce, puissant ciment des familles comme chacun sait, auront raison d'être choqués de ce qu'elle plante son nouveau mari en lui subtilisant jusqu'à sa fille. Mais ceux
qui pensent qu'un serment à la vie à la mort, comme le mariage, doit être respecté, n'y verront qu'une imprudence flagrante à se remettre avec un homme qui ne renie pas sa frivolité. Bien sûr, expliquera t-il à sa fille, qu'elle a besoin d'un père (alors que le second homme ne semble pas manquer à ses obligations), mais cette soudaine crise de paternité n'aura pour effet que de désorienter un peu plus l'adolescente. D'autant que, finalement, sa mère se remettra avec son ex-nouveau mari qu'elle trompera de nouveau avec l'ex-premier mari !
Rien d'étonnant donc, à ce que l'adolescente, une fois devenue femme, vive avec un ami qui n'est ni son petit copain ni son mari, mais avec lequel elle couche. Rien d'étonnant ensuite à ce que,
en parallèle, elle s'amourache d'un musicien homosexuel qu'elle rendra bisexuel de temps à autre ! Comme dans la scène qui préfigure son attitude, au cours de laquelle elle accomplit une danse tribale où elle passe de bras en bras (est-ce une référence à feu Marie-France Pisier, féministe et grande prêtresse de l'avortement en France, en l'honneur de laquelle le film a été fait ?), elle oscillera donc continuellement entre les deux hommes, jusqu'à la relation sexuelle à trois (elle, son homosexuel d'ami, et l'ami de son ami).
« Telle fille telle mère » dira le film, « les chiens ne font pas des chats » chante Catherine Deneuve qui incarne sa mère (version âgée) toujours à cheval entre ses deux amants.
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« Le film est fidèle à une certaine idée du cinéma français, explique Christophe Honoré, fidèle à ma façon de travailler avec les acteurs et d’en retrouver quelques-uns de film en film, comme Louis Garrel, Ludivine Sagnier et Chiara. Le début, dans les années 60, est joyeux, coloré, il s’accroche aux jambes des femmes, sans craindre la référence au Truffaut de L’homme qui aimait les femmes »
Les blockbusters américains n'ont rien compris, vous dis-je, c'est ça, la vraie vie ! Une vie qui rend malheureuse tant la mère que la fille. Une vie qui construit inconsciemment mais méticuleusement tous les points de passage du tourment.
Le péage du plaisir devient la souffrance, le prix à payer l’écœurement, la destination le suicide. Il est sûr que choisir de se faire féconder par un sidéen n'est pas la meilleure façon de se mettre de bonne humeur. Pourtant, son père avait su lui développer une philosophie bien à lui. Pour lui, l'attitude de sa fille est vertueuse. « Prudence et courage sont des vertus cardinales » dira t-il en attribuant ces deux qualités à sa fille. Et devant la perplexité de celle- ci qui, à juste titre, ne trouve pas très prudent de courir après un homme qui ne l'aime pas, il aura ce mot : « le courage est d'y aller en sachant ce qu'on va perdre ».Ce serait sans doute du courage si celui-ci était ordonné à un bien supérieur au bien que l'on perd. Mais s'obstiner dans une relation sans
issue, donc destructrice, est par nature mauvais. Dès lors, le courage cède la place à la témérité, ce qu'aurait dû dénoncer un père soucieux du bonheur de sa fille.
Après le décès de son premier mari et une fois sa fille morte, la mère peut donc souffrir à loisir, et le faire payer à son deuxième mari, pour qui elle témoigne la plus parfaite indifférence.
Dès lors, le film souhaite-t-il montrer simplement une triste histoire, ou franchement ce qu'il faut faire ? Aucun précepte moral ne transparaît, mais l'explication finale de Catherine Deneuve enseigne quelques étrangetés philosophiques: « la liberté, c'est la pire offense à l'amour. &
raquo;
Encore faut-il s'entendre sur les termes : la tromperie est elle libération, l'affection est elle de l'amour ? « Ce n'étais pas de l'amour, continue-t-elle, c'était un mélodrame. »
Après tout ça, ce n'est vraiment plus la peine de croire au bonheur : « Lors de l’épilogue, explique le réalisateur, Madeleine a cette réplique : « Je ne crois pas au bonheur, mais cela ne m’empêche pas d’être heureuse ». C’est peut-être ce à quoi nous aspirons tous, ne pas croire au bonheur et être heureux tout
de même. »
Les spectateurs sont libres de se faire du mal, mais le cinéaste a-t-il conscience de ce qu'il inflige aux pauvres critiques, obligés d'aller voir son film ?
Habitués aux blockbusters de toutes sortes, rompus aux budgets disproportionnés, nous ne savons plus goûter aux joies du cinéma français.
C'est probablement ce que pense le spectateur lorsqu'il achète un billet pour pouvoir se délecter des
interprétations magistrales de grands acteurs. Quand il sait que ces prestations vont être ponctuées de reluisantes chansons de variété française. Il a parié ses euros, il le sait, sur un film qui ne peut être que grandiose. Pour Christophe Honoré dans le dossier de presse, les chansons « s’intègrent dans la continuité de l’action, prennent naturellement la place de séquences scénarisées, de dialogues écrits, qui disparaissent à leur profit. Les chansons ne sont pas des numéros, plutôt des monologues intérieurs, elles sont le moteur qui ouvre la porte au lyrisme. »
Vous, je ne sais pas, mais moi, j'ai bien vite déchanté !
Il aura fallu, en effet, le talent
redoutable de toute une équipe pour décevoir à ce point ces meilleurs présages. « Ce titre, « Les Bien-Aimés » est arrivé assez vite, puisque ce sont des amoureuses et des amoureux qui habitent le film. Ce qui les rend attachants, parfois tremblants, c’est qu’ils sont toujours dans l’incertitude du sentiment de l’autre. Et que cette question de savoir s’ils sont « bien aimés » n’a pas de réponse. » Ça promet...
Qu'on me pardonne donc de paraphraser le scénario, éloquent par lui-même...
Ludivine Sagnier incarne donc de toute sa bonne humeur une pétillante vendeuse de chaussures de luxe, qui choisit la prostitution pour « son argent de poche ». Quelques
clients plus tard, un homme l'aborde qui tombe aussitôt amoureux d'elle et l'invite à partager sa vie à Prague. Aussitôt dit, presque aussitôt fait. Voilà notre pure et innocente héroïne, modèle pour nos filles, qui part enfanter dans une Europe de l'Est secouée par les guerres. Bien entendu, et ce n'est que le début, ce médecin réputé la trompe. Pardonnons à notre jeune maman ses écarts de jeunesse et accompagnons-la dans son retour à Paris, où elle décide, après son divorce, d'épouser un gendarme. A ce moment de film, le spectateur est content d'être là. Il peut ainsi suivre les déboires d'une femme libérée. Ça change du quotidien, et c'est profondément édifiant.
Le pauvre ! S'il savait ! Car ces brillantes
aventures ne font que commencer.
Pourquoi en effet être heureuse quand on peut se compliquer la vie ? De retour à Paris pour un congrès, son ex-mari lui téléphone et lui donne rendez-vous. Elle s'y rend, bien sûr, refuse de monter dans sa chambre d'hôtel et, une fois qu'elle y est, refuse de se laisser toucher (« j'étais sûre que tu ferais ça », déclare-t-elle en jouant les vierges effarouchées). Juste après avoir couché avec lui, ils s'en vont faire un billard et décident à l'occasion de refaire leur vie ensemble. Les partisans de la loi sur le divorce, puissant ciment des familles comme chacun sait, auront raison d'être choqués de ce qu'elle plante son nouveau mari en lui subtilisant jusqu'à sa fille. Mais ceux
qui pensent qu'un serment à la vie à la mort, comme le mariage, doit être respecté, n'y verront qu'une imprudence flagrante à se remettre avec un homme qui ne renie pas sa frivolité. Bien sûr, expliquera t-il à sa fille, qu'elle a besoin d'un père (alors que le second homme ne semble pas manquer à ses obligations), mais cette soudaine crise de paternité n'aura pour effet que de désorienter un peu plus l'adolescente. D'autant que, finalement, sa mère se remettra avec son ex-nouveau mari qu'elle trompera de nouveau avec l'ex-premier mari !
Rien d'étonnant donc, à ce que l'adolescente, une fois devenue femme, vive avec un ami qui n'est ni son petit copain ni son mari, mais avec lequel elle couche. Rien d'étonnant ensuite à ce que,
en parallèle, elle s'amourache d'un musicien homosexuel qu'elle rendra bisexuel de temps à autre ! Comme dans la scène qui préfigure son attitude, au cours de laquelle elle accomplit une danse tribale où elle passe de bras en bras (est-ce une référence à feu Marie-France Pisier, féministe et grande prêtresse de l'avortement en France, en l'honneur de laquelle le film a été fait ?), elle oscillera donc continuellement entre les deux hommes, jusqu'à la relation sexuelle à trois (elle, son homosexuel d'ami, et l'ami de son ami).
« Telle fille telle mère » dira le film, « les chiens ne font pas des chats » chante Catherine Deneuve qui incarne sa mère (version âgée) toujours à cheval entre ses deux amants.
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« Le film est fidèle à une certaine idée du cinéma français, explique Christophe Honoré, fidèle à ma façon de travailler avec les acteurs et d’en retrouver quelques-uns de film en film, comme Louis Garrel, Ludivine Sagnier et Chiara. Le début, dans les années 60, est joyeux, coloré, il s’accroche aux jambes des femmes, sans craindre la référence au Truffaut de L’homme qui aimait les femmes »
Les blockbusters américains n'ont rien compris, vous dis-je, c'est ça, la vraie vie ! Une vie qui rend malheureuse tant la mère que la fille. Une vie qui construit inconsciemment mais méticuleusement tous les points de passage du tourment.
Le péage du plaisir devient la souffrance, le prix à payer l’écœurement, la destination le suicide. Il est sûr que choisir de se faire féconder par un sidéen n'est pas la meilleure façon de se mettre de bonne humeur. Pourtant, son père avait su lui développer une philosophie bien à lui. Pour lui, l'attitude de sa fille est vertueuse. « Prudence et courage sont des vertus cardinales » dira t-il en attribuant ces deux qualités à sa fille. Et devant la perplexité de celle- ci qui, à juste titre, ne trouve pas très prudent de courir après un homme qui ne l'aime pas, il aura ce mot : « le courage est d'y aller en sachant ce qu'on va perdre ».Ce serait sans doute du courage si celui-ci était ordonné à un bien supérieur au bien que l'on perd. Mais s'obstiner dans une relation sans
issue, donc destructrice, est par nature mauvais. Dès lors, le courage cède la place à la témérité, ce qu'aurait dû dénoncer un père soucieux du bonheur de sa fille.
Après le décès de son premier mari et une fois sa fille morte, la mère peut donc souffrir à loisir, et le faire payer à son deuxième mari, pour qui elle témoigne la plus parfaite indifférence.
Dès lors, le film souhaite-t-il montrer simplement une triste histoire, ou franchement ce qu'il faut faire ? Aucun précepte moral ne transparaît, mais l'explication finale de Catherine Deneuve enseigne quelques étrangetés philosophiques: « la liberté, c'est la pire offense à l'amour. &
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Encore faut-il s'entendre sur les termes : la tromperie est elle libération, l'affection est elle de l'amour ? « Ce n'étais pas de l'amour, continue-t-elle, c'était un mélodrame. »
Après tout ça, ce n'est vraiment plus la peine de croire au bonheur : « Lors de l’épilogue, explique le réalisateur, Madeleine a cette réplique : « Je ne crois pas au bonheur, mais cela ne m’empêche pas d’être heureuse ». C’est peut-être ce à quoi nous aspirons tous, ne pas croire au bonheur et être heureux tout
de même. »
Les spectateurs sont libres de se faire du mal, mais le cinéaste a-t-il conscience de ce qu'il inflige aux pauvres critiques, obligés d'aller voir son film ?