Les fleurs bleues

Film : Les fleurs bleues (2016)

Réalisateur : Andrzej Wajda

Acteurs : Boguslaw Linda (Władysław Strzemiński), Aleksandra Justa (Katarzyna Kobro), Bronislawa Zamachowska (Nika Strzeminska), Zofia Wichlacz (Hania)

Durée : 01:38:00


Nombreuses fois récompensé pour son talent, notamment par quatre nominations pour l'Oscar du Meilleur film en langue étrangère [La Terre de la grande promesse (1975), Les Demoiselles de Wilko (1979), L'Homme de fer (1981), et Katyń (2007)], par la réception de la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1981 pour L'homme de fer, ou encore par de nombreux autres prix, Andrzej Wajda a toujours désiré réaliser un film sur l'histoire d'un artiste. Ce projet se trouve réalisé par un biopic intitulé Les fleurs bleues. Ce film relate les quatre dernières années de la vie du peintre avant-gardiste Wladyslaw Strzeminski et son combat contre la censure du régime communiste en Pologne. Le thème abordé semble d’autant plus cher à Andrzej Wajda, amoureux de son pays, qu’il est lui-même un ancien élève de l’École des beaux-arts de Cracovie. 

Les fleurs bleues plonge le spectateur dans la société polonaise des années 1949 à 1952, alors que toute forme de liberté y est annihilée. Le film s'attache tout particulièrement à la censure et au contrôle qui s'abattent sur l'art et les artistes, contraints de se soumettre s'ils ne veulent pas perdre leur emploi, voire leur vie. Parmi eux, un artiste internationalement connu, fondateur du Musée d'Art Moderne de Lódz (1934), Wladyslaw Strzeminski (1893-1952), entre alors en conflit avec le régime communiste, dénonçant notamment la volonté du gouvernement de supprimer toute barrière entre l'art et la politique. Pour être accepté, l'art doit être entièrement au service de l'idéologie marxiste, toute autre finalité étant considérée comme étant l’expression d’un art dégénéré : « Il n'y a pas d'art neutre ».

Pour interpréter Wladyslaw Strzeminski, Andrzej Wajda a choisi avec justesse l'acteur polonais Boguslaw Linda. Ce dernier donne véritablement vie au personnage. Il embarque le spectateur par son talent qui ne nécessite aucun artifice. Bien que prévisible et dépourvu de suspens, le déroulement du film et l'engrenage qui se met en place gardent le spectateur suspendu au destin tragique de cet homme. À travers une ambiance pesante, accompagnée d'une musique dissonante (composée par Andrzej Panufnik, moderniste qui fuit la censure de Pologne dans les années 1950) et de couleurs ternes, le réalisateur montre comment ce gouvernement a su briser des artistes par la censure : celle de leurs œuvres, de leurs enseignements et même de leur propre identité. Ce dernier point est essentiel dans le film. Au sommet de sa gloire, Wladyslaw Strzeminski a vu détruire son œuvre, son talent, son image. Abandonné par ses amis, soutenu par ses quelques étudiants, l'artiste lutte pour la liberté artistique mise à mal. Il est dommage qu'Andrzej Wajda élude volontairement les relations de Wladyslaw Strzeminski et de sa femme, dont il se sépara en 1947, et de sa fille qu'il négligea, pour se concentrer sur le conflit de l'artiste avec le régime soviétique. 

Le réalisateur souhaite enfin nous faire réfléchir sur les limites de la liberté artistique et de la liberté d'expression. Où s'arrêtent-elles ? Quels sont les éléments qui permettent de dire qu'un artiste les a dépassées ? Nous pouvons également nous demander si cette liberté doit être donnée à tous car nous connaissons bien les dérives de certains artistes contemporains. La question de la fonction et de la nature de l'art est aussi soulevée. Wladyslaw Strzeminski se bat pour sa vision de l'art car il considère que l'art naturaliste, prôné par le régime, n'aboutit qu'à une impasse. Pourtant, nous pourrions objecter que l’issue de l'art abstrait est elle aussi problématique. L'art est-il, comme le décrit l'artiste américain Andy Warhol (1928-1987), à la fois tout et rien ou, au contraire, et premièrement, une vertu de l'intelligence conduisant à la contemplation de la beauté, ainsi que le définit Aristote ? Tous ces problèmes ne sont pas résolus dans le film mais ce dernier nous apporte des pistes de réflexion. 

Sorti en salles le 22 février, Les fleurs bleues dépeint avec justesse et qualité le contexte politique et social de la Pologne sous la dictature communiste. Un film très intéressant d'un point de vue historique et artistique. À voir donc, à condition de ne pas se laisser submerger par le pessimisme et le fatalisme qui imprègnent ce biopic, comme ils imprègnent la plupart des films d'Andrzej Wajda, encore que la fin du film laisse le spectateur sur une note de lumière.