L’histoire d’un homme qui voulait tout bouleverser, donner au peuple sa chance, écraser, mettre « au poteau » selon ses propres mots toute la vermine bureaucratique qui ne se soucie que de son pouvoir et de son coin de cheminée. Mais c’est aussi l’histoire d’un homme sûr de lui, dépassé par son pouvoir, et dont les méthodes sont loin d’être
conventionnelles. Les fous du roi, adaptation du roman du même nom signé par Robert Penn Warren, porte bien son titre. L’auteur du livre s’est en effet inspiré de nombreux hommes politiques et notamment de Henry P. Long pour construire sa fiction politique et mettre à nu la complexité et les contradictions des dirigeants.
Chargé de la réalisation par les producteurs, Steven Zaillian, connu pour quelques scénarios à succès (L’interprète en 2004, La liste de Schindler en 1993, Gangs of New York en 2002), a cherché à rendre fidèlement l’atmosphère du roman, « son ton et son ambiance » : c'est un long roman, et c’est aussi ce qui fait son charme. En le réduisant, il fallait prendre garde à ne pas effacer l’esprit, l’ambiance et le rythme (Steven Zaillian, in notes de production).
Le sujet ne se distingue pas par sa simplicité et projeter à l’écran la richesse du roman s’avère délicat. Malgré son aisance scénaristique habituelle, la mise en scène se révèle difficile à appréhender : trop
elliptique, l’œuvre s’emballe dans une action un peu brouillonne dont l’enchaînement n’est pas toujours limpide. Les plans ne se succèdent pas dans une logique linéaire comme l’annonce l’introduction flashforward et les nombreux flashbacks (procédé également utilisé par R. Penn Warren), autant d’indices d’un montage alterné qui se prête en général assez bien à ce genre de narration.
Au-delà de cette pesante réalisation (qui sera perçue de manière très variée par les spectateurs), ce qui rend le film plus difficile à comprendre, c’est l’écriture des dialogues qui tantôt est fluide et simple, tantôt manifestement complexifiée, comme pour donner un certain cachet à l’intrigue. La diégèse de l’histoire souffre donc de nombreuses zones d’ombre qui ont l’avantage d’entretenir un certain suspens mais l’inconvénient de maintenir le récit en superficie.
Cependant, cette légère lacune est en réalité très supportable pour une adaptation de roman et n’empêche par ailleurs pas le réalisateur de
tenir un discours cohérent quant aux problèmes que soulève le livre. De plus, Les fous du roi n’est pas un film d’histoire ou de propagande politique mais plutôt l’écho d’un sentiment qui résonne dans le cœur du peuple d’aujourd’hui et d’hier : la perte de confiance en ses dirigeants. C’est aussi une histoire humaine où le devoir n’entre pas toujours en résonnance avec les convictions, où le passé rejailli toujours d’une manière ou d’une autre car comme le dit Willie Stark,« tout finit par remonter à la surface ». C’est pourquoi la réalisation et la narration, riches en expressions et en clins d’œil (voir le léger travelling qui passe d’un parc à porc à Tiny Duffy, discret mais efficace ; également l’ombre sciemment filmée pendant son discours ; ou encore les deux sangs qui se mêlent à la fin) recherchent avant tout à « impressionner » le spectateur, c'est-à-dire à étonner, à troubler, et à émouvoir. Les détails sont ainsi minutieusement préparés afin de rendre au mieux l’univers de Willy Stark et de Jack
Burden : tournage en Louisiane pour coller au récit, atmosphère humide, gros plans récurrents sur des verres d’alcool ou des crucifix… La musique de James Horner vient adroitement compléter tantôt le lyrisme, tantôt le tragique des scènes. Sean Penn, fidèle a lui-même, a su donner le caractère, le ton et les couleurs de son personnage complexe, divisé entre sa franchise et sa détermination, à la fois bon et mauvais, humble et ambitieux (Ken Lemberger, producteur, in notes de production) quoiqu’un peu trop maniéré par moment. Quant à Jude Law, sa prestation nuancée, sa présence et son élégance enveloppée de mystère rendent son personnage très attachant et énigmatique.
Adam est le centre moral de l’histoire. Il cherche à découvrir si quelque chose de bon peut naître du pire et si la fin justifie les moyens comme le croit Willie Stark. Cette déclaration de Steven Zaillian résume assez bien le fond de l’histoire. Adam est un homme bon et généreux mais qui n’est pas dupe. Il sait que les desseins de
Willie Stark à son égard sont sombres mais il ne comprend pas dans quelle mesure. Leurs deux personnalités sont totalement différentes : l’un calcule et cherche à parvenir à ses fins par tous moyens, l’autre est fragile et n’écoute que son cœur.
Le livre puis le film sont donc une critique de l’hypocrisie politique. Dans ses discours Willie cherche à séduire le peuple en les faisant rêver, en se mettant à leur niveau, en leur parlant avec franchise mais à côté de ça, c’est un homme imbu de lui-même qui utilise son pouvoir pour des entreprises douteuses. Pour lui, les hommes sortent tous d’un passé boueux, c’est pourquoi il ne va pas chercher à mentir pour se défendre mais simplement à exploiter ce lourd passé. Il a une éthique très personnelle qui lui permet à la fois d’être franc et à la fois de se débarrasser de ses ennemis. Où est la limite ? Peut-il vraiment en toute conscience fouiller la vie des gens pour en faire ressortir la noirceur ? En réalité, derrière cette honnêteté, derrière les
paroles « la vérité suffit » se dissimule un odieux maître chanteur. Et c’est tout ce qui fait le paradoxe du personnage. Il veut changer les choses pour le bien du peuple, mais il veut aussi écraser ses concurrents qui selon lui cherchent à asservir les citoyens : « Je ne les laisserai pas faire », s’écrit-il avec rage.
Le clairvoyant journaliste Jack reconnaît en Willie les traits de l’idéalisme. Sans aller jusqu’à une analyse de l’idéalisme marxiste, on peut dire que le film met bien le doigt sur les contradictions d’une telle philosophie. Willie souhaite changer la politique, annihiler les parasites bureaucrates dont la profession est de mentir. Pourtant, presque sans le voir, il entre dans le bal en dansant encore mieux que les autres. L’hôpital gratuit qu’il offre en témoigne. Alors que tout le monde le place sur un piédestal, Stark devient de plus en plus orgueilleux, décadent, et détestable. Vraie dans la démocratie américaine, cette diatribe contre l’idéalisme l’est tout autant dans tous
les paysages politiques qui produisent de grands prestidigitateurs. Ainsi, nous pourrions dire avec Goethe que « notre époque toute entière est rétrograde, car elle est subjective » (Conversations avec Eckermann, janvier 1826).
conventionnelles. Les fous du roi, adaptation du roman du même nom signé par Robert Penn Warren, porte bien son titre. L’auteur du livre s’est en effet inspiré de nombreux hommes politiques et notamment de Henry P. Long pour construire sa fiction politique et mettre à nu la complexité et les contradictions des dirigeants.
Chargé de la réalisation par les producteurs, Steven Zaillian, connu pour quelques scénarios à succès (L’interprète en 2004, La liste de Schindler en 1993, Gangs of New York en 2002), a cherché à rendre fidèlement l’atmosphère du roman, « son ton et son ambiance » : c'est un long roman, et c’est aussi ce qui fait son charme. En le réduisant, il fallait prendre garde à ne pas effacer l’esprit, l’ambiance et le rythme (Steven Zaillian, in notes de production).
Le sujet ne se distingue pas par sa simplicité et projeter à l’écran la richesse du roman s’avère délicat. Malgré son aisance scénaristique habituelle, la mise en scène se révèle difficile à appréhender : trop
elliptique, l’œuvre s’emballe dans une action un peu brouillonne dont l’enchaînement n’est pas toujours limpide. Les plans ne se succèdent pas dans une logique linéaire comme l’annonce l’introduction flashforward et les nombreux flashbacks (procédé également utilisé par R. Penn Warren), autant d’indices d’un montage alterné qui se prête en général assez bien à ce genre de narration.
Au-delà de cette pesante réalisation (qui sera perçue de manière très variée par les spectateurs), ce qui rend le film plus difficile à comprendre, c’est l’écriture des dialogues qui tantôt est fluide et simple, tantôt manifestement complexifiée, comme pour donner un certain cachet à l’intrigue. La diégèse de l’histoire souffre donc de nombreuses zones d’ombre qui ont l’avantage d’entretenir un certain suspens mais l’inconvénient de maintenir le récit en superficie.
Cependant, cette légère lacune est en réalité très supportable pour une adaptation de roman et n’empêche par ailleurs pas le réalisateur de
tenir un discours cohérent quant aux problèmes que soulève le livre. De plus, Les fous du roi n’est pas un film d’histoire ou de propagande politique mais plutôt l’écho d’un sentiment qui résonne dans le cœur du peuple d’aujourd’hui et d’hier : la perte de confiance en ses dirigeants. C’est aussi une histoire humaine où le devoir n’entre pas toujours en résonnance avec les convictions, où le passé rejailli toujours d’une manière ou d’une autre car comme le dit Willie Stark,« tout finit par remonter à la surface ». C’est pourquoi la réalisation et la narration, riches en expressions et en clins d’œil (voir le léger travelling qui passe d’un parc à porc à Tiny Duffy, discret mais efficace ; également l’ombre sciemment filmée pendant son discours ; ou encore les deux sangs qui se mêlent à la fin) recherchent avant tout à « impressionner » le spectateur, c'est-à-dire à étonner, à troubler, et à émouvoir. Les détails sont ainsi minutieusement préparés afin de rendre au mieux l’univers de Willy Stark et de Jack
Burden : tournage en Louisiane pour coller au récit, atmosphère humide, gros plans récurrents sur des verres d’alcool ou des crucifix… La musique de James Horner vient adroitement compléter tantôt le lyrisme, tantôt le tragique des scènes. Sean Penn, fidèle a lui-même, a su donner le caractère, le ton et les couleurs de son personnage complexe, divisé entre sa franchise et sa détermination, à la fois bon et mauvais, humble et ambitieux (Ken Lemberger, producteur, in notes de production) quoiqu’un peu trop maniéré par moment. Quant à Jude Law, sa prestation nuancée, sa présence et son élégance enveloppée de mystère rendent son personnage très attachant et énigmatique.
Adam est le centre moral de l’histoire. Il cherche à découvrir si quelque chose de bon peut naître du pire et si la fin justifie les moyens comme le croit Willie Stark. Cette déclaration de Steven Zaillian résume assez bien le fond de l’histoire. Adam est un homme bon et généreux mais qui n’est pas dupe. Il sait que les desseins de
Willie Stark à son égard sont sombres mais il ne comprend pas dans quelle mesure. Leurs deux personnalités sont totalement différentes : l’un calcule et cherche à parvenir à ses fins par tous moyens, l’autre est fragile et n’écoute que son cœur.
Le livre puis le film sont donc une critique de l’hypocrisie politique. Dans ses discours Willie cherche à séduire le peuple en les faisant rêver, en se mettant à leur niveau, en leur parlant avec franchise mais à côté de ça, c’est un homme imbu de lui-même qui utilise son pouvoir pour des entreprises douteuses. Pour lui, les hommes sortent tous d’un passé boueux, c’est pourquoi il ne va pas chercher à mentir pour se défendre mais simplement à exploiter ce lourd passé. Il a une éthique très personnelle qui lui permet à la fois d’être franc et à la fois de se débarrasser de ses ennemis. Où est la limite ? Peut-il vraiment en toute conscience fouiller la vie des gens pour en faire ressortir la noirceur ? En réalité, derrière cette honnêteté, derrière les
paroles « la vérité suffit » se dissimule un odieux maître chanteur. Et c’est tout ce qui fait le paradoxe du personnage. Il veut changer les choses pour le bien du peuple, mais il veut aussi écraser ses concurrents qui selon lui cherchent à asservir les citoyens : « Je ne les laisserai pas faire », s’écrit-il avec rage.
Le clairvoyant journaliste Jack reconnaît en Willie les traits de l’idéalisme. Sans aller jusqu’à une analyse de l’idéalisme marxiste, on peut dire que le film met bien le doigt sur les contradictions d’une telle philosophie. Willie souhaite changer la politique, annihiler les parasites bureaucrates dont la profession est de mentir. Pourtant, presque sans le voir, il entre dans le bal en dansant encore mieux que les autres. L’hôpital gratuit qu’il offre en témoigne. Alors que tout le monde le place sur un piédestal, Stark devient de plus en plus orgueilleux, décadent, et détestable. Vraie dans la démocratie américaine, cette diatribe contre l’idéalisme l’est tout autant dans tous
les paysages politiques qui produisent de grands prestidigitateurs. Ainsi, nous pourrions dire avec Goethe que « notre époque toute entière est rétrograde, car elle est subjective » (Conversations avec Eckermann, janvier 1826).