Les frères Grimm

Film : Les frères Grimm (2005)

Réalisateur : Terry Gilliam

Acteurs : Matt Damon (Will Grimm), Heath Cambo (Jacob Grimm), Monica Belluci (la Reine), Lena Heady (Angelika). (Durée 1h59).

Durée : 01:59:00


Construit comme un conte fantastique, le film mêle féerie et macabre, se rapprochant par bien des aspects d’un Sleepy Hollow (de Tim Burton, 1999) : l’époque, la forêt omniprésente et ensorcelée, les plans audacieux proches d’
un film d’horreur… Le féerique donne au film son identité : il se veut bon enfant, simpliste parfois. C’est ce mélange des genres, cet univers qui, d’une scène à l’autre, peut se faire merveilleux ou effrayant, qui donne au film toute son originalité, pour le meilleur… comme pour le moins bon.

Terry Gilliam semble avoir réalisé son film un peu au petit bonheur. La mise en scène est épatante mais déconcertante du fait d’un assemblage d’idées et de plans chaotiques, où l’on voit successivement les frères Grimm en pleine « mission », puis un drame dans le hameau de Marbaden, suivi inopinément d’une scène festive dans laquelle apparaît le décalage entre Will, figure du réel, et Jacob, doux et rêveur… Le film a du mal à démarrer, et le scénario montre rapidement son incohérence, tandis que les rôles principaux sont vite éclipsés par une surenchère dans le cocasse et la présence de seconds rôles réjouissants (Peter Stormare en garde-chiourme sadique et émouvant, et Monica Bellucci
en beauté fatale et égoïste). Et tout compte fait, personne ne croit à l’histoire qui nous est racontée, pas même Terry Gilliam, qui, encore convalescent après le fiasco de son précédent film, L’homme qui tua Don Quichotte (2000), s’échauffe dans cette farce burlesque.

Mais ses faiblesses apparentes donnent au film tout son cachet sympathique. Jouant sur l’effet de surprise et l’accumulation hétéroclite de trouvailles visuelles et scénaristiques, le réalisateur entraîne le spectateur dans un délire débridé et drôle, où clins d’œil subtils (références aux contes de Grimm bien sûr, mais aussi au Chaperon rouge, au Petit Poucet…) et effets spéciaux spectaculaires, loin de vouloir dissimuler ce méli-mélo, contribuent largement au charme de ce film. « Les contes de fées sont exactement le genre d’univers que j’aime, une rencontre avec l’imaginaire et l’extraordinaire (…), il y a tout au long du film des références aux contes que le public connaît le mieux » explique Terry Gilliam (
in notes de productions). Et la volonté de bouleverser l’ordre des choses a notamment conduit à intervertir les rôles pressentis originellement pour les acteurs ; ainsi Matt Damon, dont le caractère correspondait plus à la personnalité introvertie de Jacob Grimm, a finalement joué Will, plus expansif et terre-à-terre : « J’aime confier aux acteurs des rôles dans lesquels on n’est pas habitué à les voir, tout retourner sens dessus dessous » déclare le réalisateur. Le spectateur reste très loin de l’image toute faite des frères Grimm, écrivains talentueux et merveilleux conteurs, pour découvrir deux filous tout fous aux exploits incertains.

Le film semble osciller entre deux contraires, et son absence de réelle prise de position est au final gênante. Il y a d’abord dualité entre les cultures qui s’affrontent, ainsi que le fait remarquer le réalisateur : « Ce qui m’intéressait, c’était le conflit entre les croyances fantastiques et les idées des Lumières… ». Si le raffinement et
le langage châtié du général Delatombe sont rapidement tournés en ridicule, la crédulité de la population (fugitivement assimilée à la religion), mise à profit par les frères Grimm, est identifiée à de la bêtise.

Il y a ensuite dualité entre les deux frères eux-mêmes. Et notamment dualité dans la conception du sentiment amoureux : Will est une canaille tandis que Jacob est un romantique éperdu, mais tous deux ne voient pas d’inconvénient à embrasser successivement la belle Angelika, l’un par amour et l’autre par jeu.

Mais il s’agit surtout d’un conte, à ne pas prendre trop au sérieux et s’il est certain que le film est assez manichéiste, il n’en demeure pas moins qu’il fait de nos deux héros les dindons de la farce. Eux, les professionnels du désenchantement sur commande, doivent bon gré mal gré faire face à une situation qui les dépasse et pour cause ! les maléfices qui les entourent sont réels. A leur tour donc de se voir roulés dans la
farine même si, ne perdant pas le nord, les deux compères s’en sortiront en rédigeant leurs fameux contes…

Stéphane JOURDAIN