Les Hommes libres

Film : Les Hommes libres (2010)

Réalisateur : Ismael Ferroukhi

Acteurs : Tahar Rahim (Younes), Michael Lonsdale (Si Kaddour Ben Ghabrit), Mahmud Shalaby (Salim), Lubna Azabal (Leila)

Durée : 01:39:00


Une fiction sur fond historique revendiqué mais orienté, qui braque le projecteur sur le rôle des arabes dans la résistance contre le nazisme.

Les hommes libres est un film intéressant puisqu'il lève le voile sur une partie de l'histoire de France fort méconnue : le rôle des arabes dans la résistance française, et particulièrement dans la protection des juifs face au régime nazi. Alors que la mosquée de Paris est au centre de l'intrigue, elle n'a pas ouvert ses portes au tournage, qui s'est donc effectué au Maroc, dans un ancien palais situé à Rabat.

Le film est un peu lent, parfois franchement trop, mais prend de ce fait le temps de capter les regards, les expressions, les hésitations ou les décisions.

Il est bâti sur des personnages réels et des situations ayant existé.

Si Kaddour Benghabrit, majestueusement incarné par Michael Lonsdale, fut le fondateur de l'Institut musulman de la Grande Mosquée de Paris. S'il ferma probablement les yeux sur les faux papiers fabriqués dans la mosquée, le film lui prête plus de crédit puisqu'il devient sur la pellicule un acteur de cette résistance. Le fait est qu'il sauva effectivement un chanteur juif de la déportation en falsifiant l'identité d'une tombe dans le cimetière de Bobigny, afin que celui-ci puisse dire que son père y était enterré. Ce cimetière étant musulman, cette action l'a effectivement sauvé.

Ce jeune chanteur, incarné par Mahmud Shalaby, jeune acteur arabo-israë
lien, a donc bel et bien existé. Effectivement homosexuel, son penchant pour les garçons n'est montré dans le film que de façon très discrète. Lors de ses chansons il est doublé par Pinhas Cohen, célèbre chanteur marocain.

Celui qui, en revanche, n'a pas existé, est Younes, le personnage principal du film. Il est, selon le film lui-même, un hommage à tous les anonymes qui ont combattu. Ismael Ferroukhi a voulu faire un être profondément humain, avec ses doutes et ses ambiguïtés. « Pour moi, explique-t-il, ce n’est pas un saint, mais un personnage plein d’humanité, parfois ambivalent, qui tâtonne et bifurque, car il a une conscience, même si au départ elle est un peu refoulée. Petit à petit, sa conscience donne une direction à sa vie, et se battre pour
la liberté devient son objectif ultime. »
D'abord vendeur au marché noir, il collabore avec la police avant de se faire éjecter parce qu'il a été repéré (en fait il est allé le dire à Si Kaddour Benghabrit, recteur de la mosquée). Il ne rentrera pas pour autant dans la résistance, persuadé que ce n'est pas « sa guerre. » Mais l'arrestation de celle qu'il aime le fera basculer et il prendra finalement les armes contre le régime nazi.

Même si on n'échappe pas à une certaine caricature du régime de Vichy (le policier hargneux à la tête de salaud) et malgré le point de vue de l'historien Benjamin Stora, conseiller du film qui voit du racisme partout (« Le sentiment qui domine à leur é
gard, c’est la complète ignorance, puisqu’ils ne sont ni représentés, ni connus. Cette
"non existence" correspond à une forme de racisme par le mépris, l’ignorance. »), le film échappe à l'habituelle condamnation de la population parisienne. Deux petits enfants juifs sont ainsi récupérés par une voisine qui ne fait pas pour autant partie de la résistance.

Ismaël Ferroukhi tombe cependant dans le piège idéologique connu du rapprochement entre régime nazi et colonisation française. Younes et ses copains cèdent à la dialectique communiste de l'époque : libérons la France de l'envahisseur nazi et nous délivrerons l'Algérie de l'envahisseur français. En gros, chacun
chez soi et les moutons seront bien gardés. Mais qui peut encore penser que les deux sont comparables ? À part Abdelaziz Bouteflika, autant aimé par son peuple que le choléra, qui pourrait affirmer sans se ridiculiser que la France n'a rien apporté à l'Algérie ? Qui peut affirmer que la France s'est conduite de la même façon que l'Allemagne nazie ? Et, surtout, qui peut démontrer que le peuple algérien souhaitait en masse l'indépendance ?

Car le cinéma a ceci de particulier qu'il a un effet loupe, ce qui fait peser sur les épaules du cinéaste une très lourde responsabilité. Qu'il y ait eu des Algériens militants pour l'indépendance, c'est un fait. Mais à force de ne montrer que les Algériens indépendantistes, à force de masquer l'existence des harkis et, surtout, de
la grande masse algérienne silencieuse qui se contentait de vivre tranquillement au quotidien, on finit par persuader le spectateur que la situation était aussi simpliste que la proposition suivante : les Algériens voulaient se libérer du joug de la France, qui se contentait de pomper comme un parasite les richesses de l'Algérie.

Une telle attitude favorise au moins deux choses : d'une part elle nourrit les rancunes et met gravement à mal le rapprochement franco-algérien (qui ne sera vraiment possible qu'avec le départ d'Aziz Bouteflika, dont les Algériens n'arrivent pas à se débarrasser), et d'autre part elle perpétue un mythe véhiculé par Moscou, dont les communistes étaient de fidèles petits soldats.

Il
faut cependant apporter une nuance, car la personne glorifiée par le film, Messali Hadj, n'était pas franchement proche du FLN (Front de libération nationale), piloté par l'URSS. Les combats sanglants qui eurent lieu entre ce dernier « parti » et le PPA, fondé par ce personnage, sont là pour en témoigner. Pourtant on aurait tort de tirer des conclusions hâtives puisque les idées de Messali Hadj étaient malgré tout très proches du communisme. On y retrouve toujours cette dialectique qu'il faut libérer l'Algérien d'un envahisseur assimilable au nazisme.

Quoiqu'il en soit, dans le film, les communistes sont montrés plus comme des résistants libérateurs que comme des pions à la solde de Moscou, ce qui suppose un parti pris assumé par le réalisateur.

Dans un contexte tendu où les grandes puissances se frottent sur cette question de la reconnaissance à l'ONU d'un état palestinien, ce film a au moins le mérite de tenter de rapprocher les deux parties. Reste à éclaircir le nombre de juifs sauvés par la mosquée de Paris. Albert Assouline affirme 1600, Alain Boyer penche pour 500 et Serge Klarsfeld prétend n'en avoir jamais entendu parler.

Sacré Serge va !