Les Huit salopards

Film : Les Huit salopards (2015)

Réalisateur : Quentin Tarantino

Acteurs : Samuel L. Jackson (Le commandant Warren), Kurt Russell (John Ruth "Le Bourreau"), Jennifer Jason Leigh (Daisy Domergue "La Prisonnière"), Walton Goggins (Chris Mannix "Le...

Durée : 02:47:00


« Le huitième film de Quentin Tarantino ! »  Quand le réalisateur pèse plus lourd que son film, que le titre de son œuvre n’est que le sous-titre de sa propre mégalomanie, le propos artistique est en danger. Après de nombreux succès comme Pulp Fiction ou Django Unchained, et l’émergence de son indiscutable talent, Tarantino sort son huitième film : celui des tous les excès. Durée, violence, dialogue, quatrième mur… Tout part à volo pour un résultat mitigé, mais qui fera assurément date.

Tarantino a toujours été meilleur scénariste que réalisateur, mais il avait rarement été aussi bon dans l’un et mauvais dans l’autre. La mise en scène est très bancale et ne mène à rien, les plans les plus tarabiscotés ne trouvent pas leur place ni leur sens, et l’utilisation de l’espace, et la mise en place claire des lieux est objectivement ratée : pour un huis-clos, c’est problématique (à la fin du film, j’étais incapable de reproduire le plan du refuge). Autre, et gravissime problème : l’éclairage. Il n’est jamais raccord. L’usage des spots, travaillé et esthétique à chaque plan, parait néanmoins grugé. Dans un refuge en bois éclairé à la lanterne, les lumières blanches brisent toujours le quatrième mur et désenchantent le truchement du cinéma. Un projecteur est même visible dans un plan. Ajoutons l’usage du ralenti, magnifique le temps d'un plan sur la course des chevaux dans la neige, disséqués en gros plans sur leurs sabots ou leur tête énervée, reste un procédé trop grossier lors de scènes d’actions. Il ne stylise pas le geste mais sert simplement à rendre lisible la réaction soudaine des personnages – comprenez le dégainement nerveux des colts et leur détonation incisive qui brise une longue et angoissante attente. En filmant au ralenti cette action iconique, héritage du western spaghetti, le réalisateur désamorce l’expectative et la pression qu’il avait si génialement mis sur le spectateur grâce au scénario et aux dialogues.

Du point de vue des dialogues et de la tension, c’est un succès. Le film s’ouvre (quel euphémisme) sur deux heures de dialogues ! Le tout est écrit avec talent, récité avec un rythme et une diction telle que le temps passe en douceur – à condition, certes, d’être adepte de ces longs dialogues. Samuel L. Jackson survole complètement son rôle, à l’aise tant avec son personnage loufoque et mystérieux de chasseur de prime, noir, réformé de la cavalerie nordiste (écrit à son attention) qu’avec les dialogues (grand habitué du style Tarantino). Kurt Russel est aussi très crédible et délivre une belle performance, mais c’est Jennifer Jason Leigh qui remporte la palme du jeu le plus génial et troublant. Cette femme condamnée à mort, qui brave les chasseurs de primes et se fait tabasser dans un mélange de larmes et d’éclats de rire, qui n’en finit pas de se défigurer pour terminer couverte tant de son sang que de celui des autres…

Ce western profondément malsain ne sait même plus s’il se moque du genre ou s’il lui rend hommage – la traversée du désert de Le bon, la brute et le truand est même parodiée, de surcroit entachée d’une torture sexuelle. De la même manière, on croirait que Tarantino rend lui-même hommage à son propre cinéma… mais il finit par se parodier… et entache tout son génie d’écrivain de sa lourdeur grasse, lubrique, et sadique de réalisateur en pane d’inspiration. Il fera mieux, on peut en être sûr.