Les Inconnus dans la maison

Film : Les Inconnus dans la maison (1941)

Réalisateur : Henri Decoin

Acteurs : Raimu (Hector Loursat), Juliette Faber (Nicole Loursat), Gabrielle Fontan (Fine), Jacques Baumer (Rogissart)

Durée : 01:35:00


La plupart des gens connaissent L'inconnu dans la maison, de Georges Lautner, qui met en scène Jean-Paul Belmondo dans la peau d'un avocat quelque peu alcoolisé, mais pas son grand-frère, un petit bijou porté par Raimu et lui aussi adaptation cinématographique de l’œuvre homonyme de Georges Simenon.

C'est un tort, voilà tout.

Car ce film est à n'en pas douter un morceau d'anthologie du cinéma français à plusieurs titres.

D'abord, il met en scène un Raimu au sommet de sa forme, dont la bassesse côtoie la grandiloquence avec un brio qui inspirera Gabin à la génération suivante.

Ensuite Raimu n'est pas le seul acteur brillant. La plupart des jeunes témoins du procès sont particulièrement attachants.

Par ailleurs – est-ce la marque d'une époque ? – la caméra est d'une sobriété qui frise le réalisme cinématographique (à distinguer, par pitié, du réalisme philosophique), sobriété partagée par le scénario d'Henri-Georges Clouzot qu'on ne présente plus puisqu'il eut la chance d'exercer à une époque où l'on prêtait une égale attention à tous les métiers principaux du cinéma (réalisateur, scénariste, acteurs, etc.).

Mais on ignore souvent que ce film fut au centre d'une des polémiques les plus stupides de toute l'histoire du cinéma. Le nom de l'assassin étant un nom juif (je ne vous dis pas lequel pour ne pas vous pourrir le dénouement), l’œuvre fut taxée d'antisémitisme et ne put être diffusée outre-atlantique qu'avec le nom transformé en « Amédée, » ce qui me paraît totalement « antiamédite. » Pour réussir à faire passer la pilule (il fallait oser !), les détracteurs du film accusèrent Henri-Georges Clouzot d'avoir changé le nom du jeune homme qui s'appelait dans le roman de Simenon : « Julien. » C'est le comble du ridicule, puisque dans le roman ce prénom n'était qu'un surnom permettant de distinguer le jeune homme de son père, qui portait le même nom juif. Bref une histoire à rendre antidébilite, qui essaya surtout, comme je le pense, de jeter le discrédit sur Simenon, signataire du Péril juif dans la gazette de Liège !

Sur le fond le brave avocat est un alcoolique invétéré dont le travers est clairement dénoncé par le film. Le scénario s'attache à montrer, en particulier dans les mots qu'il glisse dans la bouche de Raimu, l'impact catastrophique de cette addiction sur Nicole, sa fille, qui ne s'en sort finalement pas si mal.

Mais l'intéressant du propos se faufile probablement entre les lignes. Dans sa première plaidoirie, l'avocat préfigure une révolution qui se déroulera quelques années après, un certain mois de mai 1968, en dénonçant la bourgeoisie corruptrice de jeunesse. N'allons pas trop hâtivement taxer Simenon et Decoin de communisme. Même si le premier avait des amitiés très rouges, et qu'il a nourri toute sa jeunesse une certaine rancœur à l'encontre des riches, il reste un enfant du jésuitisme connu pour s'être farouchement opposé, outre à la Franc-Maçonnerie, au communisme.

Enfin l'enquête est suivie au travers d'un mode essentiellement verbal, puisque le spectateur suit avec intérêt le déroulement des témoignages et plaidoiries qui composent l'audience.

Voilà donc un joli film de procès bien mené, bien interprété et qui brille au firmament des caméras françaises !..