Les Neiges du Kilimandjaro

Film : Les Neiges du Kilimandjaro (2011)

Réalisateur : Robert Guédiguian

Acteurs : Ariane Ascaride (Marie-Claire), Jean-Pierre Darroussin (Michel), Gérard Meylan (Raoul), Marilyne Canto (Denise)

Durée : 01:47:00


Un film mignonnet et sobrement réalisé, qui canonise à la mode des communistes un couple aimant aux choix pas si saints.

Décidément Jean-Pierre Daroussin est au drame social ce que l'abeille est au miel ! Après le film De bon matin, de Jean-Marc Moutout en 2011 et pour le moins dramatique, Les neiges du Kilimanjaro met en scène un drame d'un autre type, mais étrangement similaire : un homme bon va être la victime d'un chômage brutal sur fond de crise économique et devoir faire avec. Pourtant, dans Les neiges du Klimanjaro, les conséquences du chômage sont moins extrêmes. À l'aube de la
retraite, il coule des jours heureux avec sa petite femme rendue fort sympathique par l'excellent jeu d'actrice d'Ariane Ascaride.

Car ces deux tourtereaux ne sont pas banals.

Lui est un syndicaliste convaincu, amoureux de Jean Jaurès et fan de Spiderman, le justicier masqué. Son intégrité lui vaut d'être apprécié par tous ses collègues mais le pousse à prendre la place d'un autre dans la charrette des licenciements massifs. Doux avec les faibles, dur avec les forts, père de trois enfants qui l'admirent et le respectent, Michel porte à son épouse, après 20 ans de mariage, une tendre affection.

Elle est une épouse attentionnée, pimpante, humble et travailleuse. Elle soutient son mari dans ses choix courageux, et aime profondément ses enfants.

L'agression dont ils vont être victimes ne va pas entamer l'amour qu'ils se portent, mais une fois la découverte fortuite de l'identité d'un de leurs agresseurs, Christophe, ils vont l'un et l'autre s'embarquer dans des affres de perplexité. Celui-ci est en effet un des salariés licenciés en même temps que Michel. « Ils sont agressés par l’un des leurs et ça les détruit intellectuellement, explique le réalisateur, par rapport à ce pour quoi ils ont toujours lutté. C’est insupportable pour eux, qui n’ont que quelques maigres acquis, comme, au bout d’une vie de travail, on arrive à en avoir enfin, comme on arrivait à en avoir. Tous les experts du monde politique et syndical le constatent : on vit un déclassement. C’est la première
fois, historiquement, que nous sommes face à une génération qui risque de vivre moins bien que ses parents. »

Pour notre héros, le coup est dur. Il se sent responsable du désarroi du jeune homme et se remet en cause. Le tirage au sort des personnes licenciées était-il la bonne solution ? Serait-il devenu un bourgeois ? Pire : aurait-il été complice du patronat ? Il entre alors dans une boucle tant vertueuse que vicieuse. Vertueuse parce qu'il va vouloir aider Christophe, découvrir sa façon de vivre et ses soucis. Comme pour excuser à tout prix son acte violent et malhonnête, le film peint un jeune homme tranquille, qui s'occupe comme une mère de ses deux petits frères pendant que la sienne enchaîne les parties de jambes en l'air pour profiter de la vie. L'argent du vol, quant à lui, sert à rembourser ses cré
anciers. Or, si la délinquance de Christophe est explicable, comment pourrait-elle être ainsi justifiable ? Faut-il nécessairement que le pauvre soit malhonnête ? On retrouve ici cette idée chérie par Victor Hugo que la pauvreté engendrant le manque irrépressible, la personne en situation précaire soit obligée de transgresser la loi pour survivre. Il ne reste plus que cette transgression soit un acte de vol avec violence pour que l'injustifiable soit justifié. Si, pourtant, l'état de nécessité est capable de changer certains vols de biens de première nécessité en simple soustraction non condamnable, il en va évidemment autrement des vols accomplis avec violence.

Cette conclusion entraîne des conséquences importantes car notre saint communiste décide, à la vue des difficulté
s vécues par ce pauvre Christophe, de retirer sa plainte. Fort heureusement le droit français est encore suffisamment aligné sur la vertu de justice pour permettre au ministère public de poursuivre l'individu même après le retrait de plainte. La miséricorde de Michel pourrait être justifiable s'il était la seule victime du prévenu, mais il oublie que ce comportement constitue un réel danger pour la société, qu'il convient de neutraliser. C'est ainsi que l'arrestation de Christophe va l'empêcher de commettre un autre vol avec violence qu'il planifiait avec son complice.

L'orientation idéologique du film (Robert Guédiguian est un ancien du Parti communiste, qui s'est en particulier engagé contre le projet de constitution européenne) perce tout à fait quand le scénario dévoile sa vision de la police. Robinson Stévenin,
le commissaire de police en charge de l'affaire, a sorti sa tête de salaud des mauvais jours. « On dira qu'il a résisté, » dit-il en tendant une matraque à Michel tandis que Christophe est menotté à sa chaise. Il lui conseille même de le frapper par derrière, afin de limiter les risques de riposte. Que doit penser le spectateur témoin d'une police brutale prête à infliger de mauvais traitements à un jeune homme gentil et responsable qui s'occupe de sa famille avec courage et bienveillance, et qui n'a utilisé l'argent de sa rapine qu'à des fins de remboursement de créance ? Cette vision manichéenne ne saurait résoudre paisiblement les problèmes sociaux qu'elle dénonce.

Il n'en reste pas moins que l'attitude du couple est admirable. Ayant pardonné à leur agresseur,
ils vont comme dans le poème de Victor Hugo (Les pauvres gens) dont le film s'est inspiré, prendre en charge la petite famille et subvenir à leurs besoins. Cette attitude de solidarité, nonobstant les motivations bien peu justes énoncées plus haut, se pare d'une certaine beauté qui explique indubitablement son succès tant dans la presse qu'auprès du public. « La fin du poème, explique le réalisateur, c’est-à-dire l’adoption des enfants de la voisine décédée par le pauvre pêcheur, qui dit "nous avions cinq enfants, cela va faire sept" et qui découvre que sa femme l’a devancé en les ramenant chez eux, est absolument bouleversante. Un tel élan de bonté, un tel excès de
coeur, c’est exemplaire. Et, en plus, il y a cette concordance, ce geste amoureux des deux personnages, l’homme et la femme, qui sont à égalité dans la générosité. J’ai immédiatement pensé que ça ferait une magnifique fin de film. Il ne restait plus qu’à trouver un chemin contemporain pour arriver à cette fin là. »