Les noces funèbres

Film : Les noces funèbres (2004)

Réalisateur : Tim Burton et Mike Johnson

Acteurs : les voix de Johnny Dep (Victor), Helena Bonham Carter (Emily), Emily Watson (Victoria)... .

Durée : 01:15:00


Dure entreprise que de traiter de ce sujet morbide et beau à la fois. Morbide à cause de la mort, beau à cause de l’amour. Tim Burton n’en est pas à son premier voyage dans l’au-delà. Il a déjà su montrer au travers de certains films sombres mais jamais noirs ses talents de réalisateur fantastique. En effet, sa passion pour les monstres et les créatures imaginaires a produit de nombreuses œuvres toutes aussi magiques et étranges
les unes que les autres. Si nous tentons l’aventure, nous pourrons trouver un Big Fish (2003), un « cavalier sans tête » (Sleepy Hollow, 1999 ) quelque peu énervé par son sort, un Edward aux mains d’argent incompris (1991), un « épouvantable Jack » (L’étrange Noël de Monsieur Jack, 1994), un mystérieux « Batman » (Batman, 1988, et Batman, le défi, 1991), une armée de martiens déjantés (Mars attacks, 1996), des singes un peu trop savants (La planète des singes, 2001), et enfin pour clore la visite, une morte romantique au cœur et au corps brisé. Monde « burtonien » donc accoutumé au sombre, à l’effrayant, au laid… attitude que certains qualifieront peut-être abusivement de gothique. Mais il y a dans Les noces funèbres la fraîcheur et l’espoir qui manquent au gothisme trop introverti pour se soucier de la solitude, de la souffrance et de la grandeur des êtres.  Le film est une œuvre qui porte incontestablement sur le mariage, et qui plus est sur le mariage impossible. Souvenirs ! Alors que tous les Roméo
et toutes les Juliette de l’histoire du cinéma commençaient à perdre de leur notoriété, Tim Burton vient redonner un nouveau souffle à ce thème universel de l’amour interdit : le mariage entre une morte et un vivant, le mariage de la vie et de la mort. Le premier degré est évidemment une histoire imaginaire qui ne risque pas d’arriver (espérons), mais il conviendra plus loin de discuter du second degré de l’œuvre.  Pouvait-on faire du beau avec une histoire errant dans le royaume des morts en décomposition et tremblant dans le monde non moins laid des vivants ? D’un côté les morts se désintègrent, pourrissent sous la terre et le désespoir et de l’autre côté les cœurs battent dans la poitrine des conventions et de l’hypocrisie. De la laideur partout alors ? Comme bien souvent, de même que les fleurs poussent au milieu des ronces, l’amour se débat au centre de l’égoïsme. Il est par ailleurs amusant de constater que les couleurs sont plus variées chez les morts que chez les vivants : « Le royaume des morts
est un monde fou, très lumineux, une symphonie de couleurs vives… » (Nathan Lowry, directeur artistique, in le dossier de presse).  Si la matière était dure à tailler, la forme finale ressemble autant à ces gargouilles sur les cathédrales qu’à une brillante statue de glace : terrible et lumineux ! Artistes patients et passionnés, Tim Burton et Mike Johnson ont construit un monde où la fluidité du mouvement, malgré le procédé du « stop-motion », s’apparente tantôt à une douce brise, tantôt à une inquiétante tornade qui nous transporte dans les décors étranges et impressionnants d’une architecture éclectique (selon le directeur artistique, « production épique avec des structures qui s’élèvent à 5 mètres de hauteur et atteignent 8 à 10 mètres de profondeur… », et l’architecture va de l’époque victorienne à l’Europe centrale). Inspiré d’une légende russe, on retrouve dans la conception le charme slave froid et profond d’une culture endurcie mais sensible. Par ailleurs, un humour délicat, cher au réalisateur,
se révèle un ingrédient indispensable dans l’alchimie de l’œuvre qui sans cela pourrait sombrer dans le glauque. A-t-on déjà vu un squelette de chien « faire le mort » ? Les personnages, marionnettes maquillées avec soin, prennent vie sous les voix (et, dirait-on parfois, sous les traits) d’acteurs connus comme le talentueux Johnny Dep donnant la réplique à Helena Bonham Carter (Charlie et la chocolaterie, 2004 ; Big Fish, 2003…) et Emily Watson (dernièrement dans Paris, je t’aime de Joel Cohen en 2005). Certains passages méritent d’être soulignés par leur grande profondeur, leur grande simplicité aussi : le duo au piano d’Emily et Victor est particulièrement touchant. De plus la mise en scène est riche en allusions et en symbolisme. Par exemple les spectateurs pourront remarquer qu’une simple ombre s’avère être un implant assez déterminant (indice livré de façon implicite au spectateur). En outre, Les noces funèbres, tout comme L’étrange Noël de Monsieur Jack auparavant, n’est pas seulement un film d’
animation, c’est aussi un pupitre donné au compositeur Danny Elfman (douzième collaboration avec Tim Burton) qui mène sous la danse gracieuse de sa baguette une musique aussi drôle qu’émouvante. Peut-être les grands inconditionnels de Monsieur Jack trouveront-ils la bande originale moins accrochante et moins présente, mais ça n’enlève rien à l’originalité et à la cohérence de la composition.   Bien que le film ait été travaillé pendant environ un an, on regrette la durée du spectacle (1h15mn) qui rend l’âme un peu rapidement, voire classiquement. Il est vrai que cet univers n’est plus vraiment très surprenant depuis L’étrange Noël de Monsieur Jack, mais toujours séduisant. De même certains personnages sont un peu trop caricaturaux, même si le fait de grossir les caractères rend le message plus accessible à tous quoique tordu, notamment dans la satire du conventionnalisme chez les parents des héros.

 
Difficile de trancher sur la nature
exacte du film ! L’ambiance sombre est contrebalancée par un esprit éclairé. Si le film peut être considéré comme un film noir – mais la référence au « film noir » en tant que style est en l’occurrence inexacte –, ce n’est qu’en raison de sa plasticité et non de son contenu. En effet, comme le laisse entendre son titre, Les noces funèbres est un film sur le mariage (plus que sur l’amour en tant que tel d’ailleurs) avec ses enjeux et sa beauté. A une certaine époque les mariages étaient considérés comme l’union non seulement de deux êtres mais aussi de deux familles. C’était l’occasion pour certains parents de choisir le futur en fonction des intérêts uniques de la famille, pour des raisons de reconnaissance ou d’argent. Bien évidemment cette attitude est excessive car le mariage concerne avant tout les époux qui ont sous leur responsabilité de construire un foyer. Surtout, le consentement doit être libre sans quoi l’accord n’a pas de sens. L’attitude de Victor à cet égard est étonnante puisqu’il est
totalement résigné, du moins au début. C’est un homme gentil qui ne voudrait en aucun cas offenser ses parents alors il accepte leur décision même si ses maladresses dénotent une certaine réticence. Victoria, quant à elle, est soucieuse de savoir si elle aimera l’homme qu’elle va devoir épouser… c’est louable ! On se demande alors où peut bien mener la suite. Le mariage entre ces deux personnages aura-t-il une réelle existence ? L’histoire y répond en simplifiant les choses. L’union fortuite dans une forêt sombre et enneigée entre une revenante et un humain est surprenante : les russes sont peut-être plus accoutumés à ce genre de récit que les occidentaux ! Quoiqu’il en soit la première réaction est d’être choqué alors qu’en réalité l’idée résulte uniquement d’une fiction même s’il est vrai que « ce qui est lié sur terre est lié dans les cieux », implique ainsi un lien entre la vie sur terre et l’au-delà. Ici, il n’y a pas d’ambiguïtés, et le vieux squelette sage est là pour le rappeler : le lien dure «
jusqu’à ce que la mort vous sépare » or Emily est déjà morte ! En fait, le film est simplement basé sur un non-sens qui ne s’explique que par une analyse au second degré. Le message et le dénouement sont clairs. Certains mélanges ne font pas bon ménage. On ne flirte pas avec la mort et Marivaux aurait ajouté qu’« on ne badine pas avec l’amour » ! L’attitude objective d’Emily, c'est-à-dire sans tenir compte du fait que la situation est impossible, est très honorable par son esprit de sacrifice et de générosité. Pourquoi ? Ne dévoilons pas tout le film ! Victor, quant à lui, fait preuve de mollesse en se laissant porter par les évènements mais il saura par moments faire montre d’héroïsme. Il faut dire que son aventure est assez déroutante ! Monsieur Jack avait cependant plus de charisme... A ce propos, la vedette est sans aucun doute Emily et c’est par elle en grande partie qu’est porté le message. En revanche, Tim Burton n’a pas été très gentil avec son évêque à la fois amusant et détestable. Il ne s’y
attarde pas trop mais il en ressort une image assez négative au final. De plus, la nature lugubre et la complexité de certaines scènes dissuadent de projeter le film aux enfants impressionnables. En effet, ce film requiert une faculté d’abstraction et de distanciation dont le jeune enfant est dépourvu.  

Jean LOSFELD