Les poupées russes

Film : Les poupées russes (2004)

Réalisateur : Cédric Klapisch

Acteurs : Romain Duris (Xavier), Audrey Tautou (Martine), Kelly Reilly (Wendy), Cécile de France (Isabelle), Kevin Bishop (William) .

Durée : 02:05:00


Certains diront que  L'auberge espagnole  (2002) appelait une suite et pourtant Cédric Klapisch ne l’avait pas prévu, pire, il ne voulait pas la faire. Finalement c’est avec plaisir que nous retrouvons les acteurs principaux du précédent film qui ont tous répondu présent à l’appel. Mais quelle maturité dans le jeu ! Quel travail de leur
personnage ! Romain Duris mérite une attention toute particulière. Sa collaboration avec Klapisch est très satisfaisante. Ils n’ont d’ailleurs pas hésité à se comparer au tandem Truffaut/Jean-Pierre Léaud : Klapisch a insisté pour qu’ils voient ensemble tous leurs films. A l’instar de Léaud à travers Antoine Doinel, on voit Duris évoluer au fur et à mesure des bobines. Et il fallait du talent car le personnage de Xavier est un personnage complexe d’autant plus qu’il représente toute une société. Il est une synthèse de tous les besoins des jeunes qui s’épanouissent pour devenir adultes. Les poupées russes est un film de mœurs. La difficulté était de montrer une certaine réalité en en dessinant fortement certains contours ce qui est le propre de la caricature. Aucun excès, le réalisateur manie le style avec élégance. « J'ai fait un travail sur la notion de caricature. C'est présent avec la façon dont la sitcom est traitée. C'est quelque chose avec laquelle je flirte depuis mes premiers films, où j'essaie
de voir pourquoi caricaturer ou grossir le trait n'est pas forcément quelque chose de négatif. Jacques Tati m'a mis un peu sur cette voie, puis Pedro Almodovar [...] Almodovar arrive à trouver une finesse dans la caricature que je trouve impressionnante. [...] Dans L'Auberge espagnole, la problématique était de savoir comment j'allais pouvoir parler d'un Italien, d'un Allemand, d'une Belge ou d'un Français en grossissant le trait sans être raciste. Là, je me suis dit qu'il fallait allait plus loin. Le fait de raconter une histoire d'amour n'est intéressant que si cela est archétypal. Le but ultime c'est d'arriver à être nuancé dans ce langage là. Il faut atteindre une sorte d'épure en grossissant le trait. » On peut dire qu’il s’en sort très bien. Plus encore que dans L’auberge espagnole, les rôles sont admirablement campés dans une optique à la fois de réalisme et de représentation caricaturale. Il en effet difficile de ne pas s’identifier à ces personnages aux tempéraments et aux besoins
variés. Par ailleurs, l’aventure se déroule dans une ambiance pleine d’humour, un humour à la fois perspicace et tendre. Notons une grande richesse des ingrédients comiques que ce soit dans le jeu des acteurs, dans les dialogues ou dans la réalisation. La forme fait penser, osons la comparaison, à celle de Tim Burton dans le sens où Klapisch aime matérialiser l’imaginaire de sorte que l’on partage non seulement la psychologie des personnages mais aussi leurs phantasmes, leurs délires, leur pensées comiques ou fières, tout ça agrémenté par la voix off de Xavier. Ce rapport entre réalité et imaginaire est utilisé comme élément de comédie. La réalisation est, sinon originale, bien soignée : arrêts sur image, ralentis explicites, multiples plans simultanés, répétitions (séquence du TGV qui va ou qui revient en Angleterre) donnant une dynamique à l’action du film loin d’être ennuyeux tout au long de ses deux heures. Dynamisme et efficacité bien rendus également par une orchestration réussie des différents plans (
Par exemple la balade de Xavier et Wendy dans un parc : plan-séquence de la discussion qui finit sur un très beau plan d'ensemble très significatif). De plus, La musique est parfaitement dans l’esprit général : rythmée, amusante, émouvante… jeune.  Cédric Klapisch n’invente rien concernant l’amour. Il en fait simplement ressortir les éléments et met les bons mots dessus. Les personnages cherchent l’amour et leur démarche empirique les perd. L’atmosphère de flou, d’incertitude, de tâtonnement amoureux est bien montrée : une succession de plans rapides faisant défiler les nombreuses conquêtes de Xavier nous met au parfum de sa vie désorganisée et instable. La charmante Wendy, qui se faisait remarquer par son sérieux dans l’auberge espagnole, se place dans des situations affectives extrêmement délicates. Le fait de procéder par clichés permet au réalisateur de bien mettre en évidence tous les paradoxes de l’amour.

L’amour décrit dans une comédie est souvent plus réaliste
que dans les drames parce qu’il y a un côté amusant et ironique qu’il faut souligner. Bien sûr, « on ne badine pas avec l’amour » mais on confond trop souvent, que ce soit au cinéma ou ailleurs, sérieux et triste. Les poupées russes a l’avantage de mettre en valeur les deux aspects : l’aspect joyeux et l’aspect émouvant de l’amour. Le problème est que le film lui-même est une preuve du déclin de la jeunesse. Tous les personnages ont une vie qui ne fait envie à personne : relations amoureuses compliquées, ruptures presque systématiques, tromperies, mensonges, manque de respect, tristesse, pertes de repères… Mais la caricature est suffisament fine pour que l’on reconnaisse la réalité. Malheureusement il semble que le film soit le reflet si ce n’est l’image exacte d’une jeunesse perdue dans les méandres du sentimentalisme. Livrée à elle-même, elle ne sait plus où donner de la tête, elle ne comprend pas pourquoi rien ne fonctionne, pourquoi la vie est si compliquée… Compliquée ? Il faudrait dire complexifiée !
Un passage nous montre Xavier en train de s’énerver contre les difficultés de l’amour. Il commence à mûrir, à se rendre compte combien le facteur humain est déterminant dans cette difficulté. Tout est vain ! Il regrette tellement de passer à côté du bonheur par faiblesse ou par maladresse. Klapisch est un fils des temps modernes et son regard critique est limité. En effet il nous montre des personnages en train d’évoluer, de se stabiliser, d’apprendre à aimer, mais il s’arrête là. Finalement le film ne nous dit pas d’où vient le malaise. Si l’amour est une quête il n’en est pas pour autant un terrain d’expérimentation en attendant de trouver la bonne formule. Donc avoir plusieurs partenaires ne pose pas de problème, ce qu’il faut c’est la sincérité ! Dangereux… Et si l’amour était rendu difficile à cause de cet éparpillement affectif, de ce désordre sexuel ? Il semble qu’il manque une dimension fondamentale à l’amour : la volonté d’aimer. Pour reprendre l’expression du chanteur Bénabar, tomber amoureux «
comme on tombe d’une chaise » est douloureux. Pas d’amour sans volonté. Même si des tas de théories fatalistes, comme celle de « l’âme sœur », du « coup de foudre »… essaient de remplacer cette vérité, il ne peut y avoir de relation durable. Il y a donc une grande part d’utopie dans l’œuvre de Klapisch, peut-être un peu de naïveté aussi. Klapisch ne remet pas en cause la société, il l’a prend comme elle est et l’accepte : « Dans ce film, si le but est de parler d’amour, il était important d’en parler d’une façon contemporaine. Il y a comme un mensonge admis sur ce sujet. Peu de gens avouent qu’ils sont sortis avec plusieurs personnes dans leur vie, fille ou garçon d’ailleurs. Le fait d’avoir vécu plusieurs histoires d’amour dans sa vie est devenu assez courant. Aujourd’hui on doit reconnaître qu’on n’est plus dans « l’homme ou la femme de ma vie ». Il est vrai que l’on aimerait sur le thème un regard plus critique, plus percutant. Quelle est la solution à cette recherche amoureuse ? Le détachement ou la
fébrilité ? Malheureusement on a peine à croire au dénouement de l’histoire, même si on en a très envie. Dommage que tout ce qui constitue le désordre de la société soit banalisé.

Cependant, il ne faut pas perdre de vue l’esprit global. Le message est plutôt positif dans l’ensemble, même s’il est très souvent porté par l’amie lesbienne de Xavier qui est loin d’avoir une vie exemplaire. « En fait, révèle Cédric Klapisch dans une interview, il y a deux attitudes dans la vie : rêver et arrêter de rêver. Devenir grand, c’est aussi arrêter de rêver. Par contre, c’est important de ne pas abandonner le rêve intégralement parce que sinon, on devient vieux avant l’âge mais, en même temps, il faut savoir ne pas vivre que dans un monde impossible. » C’est un film sur la maturité où l’on voit des hommes et des femmes rechercher leur équilibre professionnel et humain. L’ont-ils trouvé ? Pas tous ! En tout cas le charmant petit couple russe relève le niveau. Cependant, même si l'idée des
poupées russes est une analogie intéressante, il ne faut pas en oublier ses limites : et si la première poupée qui cache les autres étaient aussi la bonne ?

 

Jean LOSFELD