Les quatre cents coups

Film : Les quatre cents coups (1959)

Réalisateur : François Truffaut

Acteurs : Jean-Pierre Léaud (Antoine Doinel), Claire Maurier (Mme Doinel), Albert Rémy (Mr Doinel), Guy Decomble (le professeur de français), Patrick Auffray (René Bigey), Georges Flamant (Mr Bigey), Henri...

Durée : 01:33:00


 

C’est grâce à Marin Karmitz que le visage bouleversant de Jean Pierre Léaud envahit à nouveau nos écrans. Mk2 a effectué sur le film le même travail de restauration que pour Le Dictateur, Les Temps modernes et Le Mécano de la générale. Les restaurateurs n’ont pas cherché à rendre l’image la plus propre possible au risque de la dénaturer, comme c’est souvent le cas pour des restaurations visant uniquement l’édition en dvd. Le résultat est remarquable.

De ce film, on pourrait dire beaucoup de choses. Commençons peut-être par raconter son histoire. François Truffaut est disciple et quasi fils adoptif d’André Bazin, fondateur des Cahiers du cinéma et peut-être le plus grand critique français. Sous son patronage, il entre aux Cahiers en 54 en écrivant un article d’une grande violence pamphlétaire contre un certain cinéma français institutionnalisé, prétentieux et populiste. Trois ans plus tard, c’est le critique français le plus connu. Il a pris la tête du groupe des « jeunes têtes de Turcs » (l’expression est de Bazin) qui allait bientôt révolutionner le cinéma. Ses titres provocateurs en couvertures des Cahiers ou d’Arts font fureur, comme le célèbre « le cinéma français crève sous les fausses légendes ». Mais, n’épargnant rien ni personne, c’est aussi le critique le plus détesté de certains cinéastes (pas les meilleurs en fait) et de ses charmants confrères. En 57, l’accréditation au festival de Cannes lui est même refusée. L’année d’après, Les quatre cents coups sous le bras, accompagné de Léaud et de Cocteau, il triomphera dans ce même palais du festival et manquera de peu la palme d’or. C’est dire assez les qualités exceptionnelles du film.
Il est particulièrement instructif de comparer le film avec le court métrage que Truffaut avait tourné auparavant, Les Mistons. Dans ce film d’un quart d’heure avec Bernadette Lafont, Truffaut tombait dans l’erreur courante des jeunes cinéastes de ne pas faire confiance à l’image et de recourir systématiquement à la voix off, au risque du pléonasme. Les quatre cents coups sont eux admirable de ce point de vue. Truffaut dans l’Amour en fuite a d’ailleurs repris une scène, celle où la mère d’Antoine enlève ses collants devant lui, mais cette fois là avec un commentaire off qui explique ce qui se passe et ce que ressent l’enfant. L’ajout de la voix off supprimait tout génie à ce court passage, car la scène dès lors rejoignait l’attitude, contre laquelle Truffaut et ses camarades de la Nouvelle Vague s’étaient inscrit en faux, celle de ce cinéma français qui par sa sottise et son didactisme imposait au spectateur un jugement moral précis sur ses personnages. Point de cela dans ce premier long métrage, la caméra est ici un outil de compréhension, non une guillotine.
On présente souvent Les quatre cents coups comme le manifeste de la Nouvelle Vague. Il faut cependant se méfier des discours sibyllins, tant on a pu dire d’âneries sur cette période, voyant des écoles là où il n’y avait qu’un phénomène social ou bien un phénomène purement économique, là où il y avait une révolution esthétique. Nous renvoyons nos lecteurs au livre de Jean Douchet, seul ouvrage sérieux sur la question. En fait, s’il existe une école « Nouvelle Vague », elle semble bien difficile à cerner, au-delà de certaines habitudes communes à la plupart des nouveaux réalisateurs de l’époque, comme d’avoir recours à des acteurs non professionnels, à des décors naturels ou de faire des films à petit budget (on remarquera qu’aucun de ces points n’est essentiel). Il n’est pas si simple comme on s’en doute de réunir sous la même bannière la stylisation très particulière de Jean-Luc Godard et le naturalisme dénudé de Jean Rouch. Les quatre cents coups en fait semblent bien être le film pivot où se retrouvent et s’unissent les différentes tendances de la Nouvelle Vague. Le film marie en effet un désir de simplicité et de vérité (voir par exemple les derniers panoramiques lors de la course de Léaud, filmé de la façon la plus simple possible) à une certaine originalité formelle (comme lors de l’entretien d’Antoine avec la psychologue, où celle-ci reste toute la scène hors champs).
Le film unit aussi ces deux antagonismes dans l’usage remarquable de discrétion des symboles. On sait que certains poètes du dimanche surchargent leurs œuvres de significations métaphoriques, lamentable cache misère de leur manque de talent. Du coup, s’ils visent la chapelle Sixtine, ils ne nous offrent que le fronton de l’Assemblée Nationale. Les symboles sont très présents dans Les quatre cents coups, mais tellement bien intégrés au corps du récit, qu’il semble qu’ils ne soient qu’une création des spectateurs sans échos dans la volonté de l’auteur. Ainsi cette scène dans la centrifugeuse, où Antoine est écrasé contre la paroi, sans réussir à bouger, est aussi bien une scène d’errance (avec sa lenteur et l’absence de procédé dramatique fort) comme on aurait pu en trouver dans Le signe du Lion d’Eric Rohmer, que la métaphore du fatum qui pèse sur les épaules du jeune homme. Si Truffaut avait signalé le symbole au spectateur par des cadrages spéciaux, un montage rapide ou par l’utilisation de la musique (une petite phrase de Vivaldi aurait très bien convenu), nul doute que le film aurait eu un autre visage, moins naturel et spontané.
Revoir ce film aujourd’hui est une chance, celle de pouvoir puiser à sa source le cinéma dans sa pureté et sa richesse.

Dans Domicile Conjugal la femme d’Antoine Doinel lui dira alors qu’il est en train d’écrire un livre sur son enfance : « On n’écrit pas un roman pour régler ses comptes ». C’est l’erreur que Truffaut évite avec toute l’élégance et le charme qui lui était propre.
Mis à part l’instituteur, personnage de comédie un peu trop caricatural, les différents adultes que croisent Antoine sont tous peint avec intelligence, bonté, et si nécessaire, une douce indulgence pour leurs renoncements. Leurs défauts ne sont pourtant pas cachés, mais le but du cinéaste est plus d’inviter à la réflexion que de tenir une séance publique de tribunal.
Le père apparaît comme un personnage lâche, qui cherche juste à sauvegarder une apparence d’entente afin que cela ne l’empêche pas de jouir de la vie, qu’il dévore d’ailleurs avec bonhomie. Même s’il n’est pas le vrai père d’Antoine, il lui incombait, en tant que chef de la famille, de prévenir ses écarts, de les châtier, mais surtout d’avoir le courage d’imposer à sa femme qu’elle s’occupe mieux de lui, ne serait-ce que d’un matériellement. Or, c’est tout juste s’il est capable de lui faire reproche de ses infidélités.
La mère d’Antoine est une femme active, qui n’a que peu de temps pour son fils. Mais outre l’abandon où elle le laisse perpétuellement, il est clair qu’elle n’a pour lui aucune attention particulière. La scène où les deux parents parlent à table d’Antoine comme s’il n’était pas là est très forte. Le pire moment sera celui où elle essaiera de jouer le jeu de l’affection, prenant visiblement Antoine pour bien plus gamin qu’il n’est. C’est dans ce même esprit qu’elle ne fait preuve que de peu de pudeur devant lui.
Antoine ne semble pas être plus salle gosse qu’un autre, mais il apparaît rapidement qu’il ne fera qu’empirer s’il reste dans cette ambiance familiale empesté. Malheureusement, il est clair que la maison de correction n’est pas une solution.
Truffaut a sans doute beaucoup mis de lui-même dans le personnage du jeune Doinnel, comme par exemple cette soif de beauté, que ne pouvant épancher auprès des adultes, il satisfait dans la littérature. La bougie qu’il allume au daguerréotype de Balzac, c’est la petite flamme menue et fragile qui brille dans son âme, petite étincelle rien qu’à lui, qu’il ne sait pas encore entretenir, et dont il ne sait pas avec quelle facilité elle peut s’éteindre. Or cette bougie, Antoine est obligé de la recouvrir d’un voile, car notre société, infecté par le snobisme et l’amour de la bassesse est incapable de goûter la beauté comme les enfants. Doinel/Truffaut a bien faillit devenir un de ces Mozart assassinés dont Saint Exupéry pleurait leurs petites âmes éteintes.