Les Tuche

Film : Les Tuche (2010)

Réalisateur : Olivier Baroux

Acteurs : Jean-Paul Rouve (Jeff Tuche / Jacquou Tuche), Isabelle Nanty (Cathy Tuche), Claire Nadeau (Mamie Suze), Theo Fernandez (Donald), Sarah Stern (Stéphanie )... .

Durée : 01:35:00


 Une comédie burlesque moyennement drôle qui met en scène des acteurs talentueux mais dont le message nie la valeur du travail et l'épanouissement personnel.
Olivier Baroux ne sort pas avec son quatrième film de ce qu'il maîtrise le mieux, la comédie. Même s'il l'a retravaillé, il n'est cette fois-ci pas à l'origine du scénario. Dans ce projet il dit avoir été séduit par la ressemblance de la famille Tuche avec les Simpson, « déjantés mais attachants » mais également par l'aspect « subversif » où l'on voit « un personnage fou de joie de se faire virer de son boulot parce qu'il va enfin profiter de la vie » (Olivier Baroux, in dossier de presse).

Par le biais de la comédie burlesque, (voire surréaliste) Olivier Baroux traite du thème archi classique des rapports entre richesse et pauvreté en brodant sur l'expression populaire non moins classique « l'argent ne fait pas le bonheur ». Que se passe-t-il lorsque qu'une famille « bof » archétypale gagne 100 millions d'euros ? Le sujet est évidemment un bon terreau pour la comédie, souvent construite sur des paradoxes, le choc d'univers antinomique. Les ambassadeurs du mauvais goût et de la pomme de terre s'invitent à Monaco, principauté exceptionnelle où règnent princes et princesses. De nombreuses scènes jouent donc sur ce phénomène : on se doute que l'arrivée dans un palace va provoquer quelques vagues, de même pour le club privé « Country Club » où il faut être
parrainé par un membre pour pouvoir s'inscrire. La famille Tuche, simple et de bonne volonté, cherche à s'intégrer. Il leur faut donc rencontrer des gens qui acceptent de les côtoyer, d'où quelques dialogues amusants qui, à part quelques formules bien senties, manquent cependant de force. Les gags sont parfois amenés de manière maladroite de sorte qu'on a l'impression que le scénario a été écrit comme une succession de sketches. L'équation est assez simple : on prend une famille de ploucs et on les place dans des univers décalés (clubs, palaces, maisons grandioses, voitures de luxe, écoles privées prestigieuses). La trame de l'histoire ne présente ainsi pas vraiment d'intérêt d'autant qu'elle assez facile à deviner. Comme bien souvent dans ce type de film, après l'euphorie de la fortune, il faut trouver un ressort d'intrigue qui vient semer le trouble.

La qualité principale de cette comédie est sans doute le casting. Jean-Paul Rouve incarne un Monsieur Tuche particulièrement convaincant quoique clairement caricatural. Son expérience de Robin des bois (troupe de théâtre formée en 1996 connue pour son humour complètement décalé) lui a facilité la construction de son personnage. « Jeff Tuche rappelle un personnage que je faisais avec les Robins des bois, « Radio Bière Foot », mais en moins caricatural » (Jean-Paul Rouve). Ici le but était de faire un personnage certes haut en couleur et un peu ridicule mais attachant et sincère. L'alchimie fonctionne. Jeff est exaspérant de simplicité mais sympathique dans son
rapport avec sa famille. Isabelle Nanti est également remarquable dans sa composition pleine de nuances du personnage de Cathy, d'ailleurs plus authentique et moins caricatural que celui de Jeff. Les enfants Tuche sont également bien représentés : la miss Bouzolles fan de Paris Hilton, Wilfried « Tuche Daddy » qui s'habille en rappeur mais refoule son homosexualité, et Donald « coincoin » le petit génie incompris de la fratrie.
 

Au-delà de la partie de rigolade, le film se veut porteur d'un message. « L'
histoire des Tuches est une fable qui, sans donner de leçon, à travers la comédie, nous ramène à des valeurs simples, vraies et à une certaine idée de la liberté. L'homme a d'abord commencé par la cueillette et la chasse. C'est après qu'on a inventé des tas de choses comme le taylorisme ou le stakhanovisme qui ont imposé un rythme de travail toujours plus lourd... »
(Olivier Baroux). Le film commence en effet en expliquant qu'un ancêtre de la famille Tuche avait inventé dans le village de Bouzolles le chômage, en convainquant les habitants de lui donner un peu d'argent tous les mois en attendant qu'il trouve du travail... Quant à Jeff, ne pouvant appliquer le même stratagème aujourd'hui, il est contraint de travailler jusqu'au jour où il est licencié. Il peut enfin être chômeur ! « Dès les premières lignes, l'
histoire dit que l'on n'est pas obligé de travailler pour être heureux...
 » 

Même si Olivier Baroux se défend de « glorifier l'oisiveté », on note que le film donne une image de la famille assez catastrophique. Souhaitant attirer davantage la sympathie du spectateur que sa moquerie, les cinéastes finissent par minimiser tous les dysfonctionnements de la famille Tuche qui ne se remet finalement jamais en question. Si il est bon de ne pas jouer un rôle et de rester soi-même en toutes circonstances, cela n'implique pas qu'
il faille aussi conserver ses défauts. La condition sociale « défavorisée » n'est pas synonyme d'inculture, de mauvais goût, de bêtise, d'impolitesse, du moins ce n'est pas une fatalité. On arguera qu'il s'agit d'une comédie et qu'il est normal d'avoir des personnages très contrastés mais ça n'exclut pas de tirer un peu vers le haut le public. Finalement, c'est l'ambiance camping (qui a aussi du bon) qui finit par déteindre sur la haute société qui se détend un peu. En revanche, les Tuches ne récupèrent rien : « Tuche Daddy » continue d'être ridicule, Miss Bouzolles s'amourache en quelques jours de n'importe qui... Seul Donald, grâce à l'école qui révèle ses qualités, progresse. En définitive, entre les bourgeois pourris par l'argent et les mondanités et les «bofs » dégénérés, le film ne propose par de juste milieu qui pourrait nous réconcilier un peu avec l'humanité.
 

Il reste que l'œuvre véhicule quelques bonnes idées, basiques mais justes. Les Tuche se rendent compte par exemple que depuis qu'ils ont tout ce qu'ils veulent il leur manque quelque chose. Ce quelque chose c'est l'esprit de famille que la grande maison tend à dissoudre. Ils sont peut-être ploucs mais ils s'aiment. C'est bien, mais ça ne suffit pas et même s'ils séduisent par leur simplicité et leur gentillesse, il représente une famille déplorable sans valeurs et paresseuse. Lorsque la voix off de Donald nous apprend que la famille Tuche a racheté une usine à Bouzolles et qu'elle a instauré la semaine de vingt heures, on comprend qu'il faut travailler moins non seulement pour gagner moins mais surtout pour être heureux. Pourvu que le film ne soit pas exporté à
l'étranger !


Jean LOSFELD